Sur Proust et Kafka
Proust est un artiste. Il croit dans la vertu de l’art. Il croit même que seul l’art octroie la vertu. Pour lui c’est la transposition artistique qui donne sa valeur à la vie. La vie n’existe qu’après-coup ; dans l’exacte mesure où on aura su en restituer la substance dans l’œuvre d’art : la vraie vie c’est le roman. Cela ne va pas sans un style prolixe qui, dans son obsession de ne rien laisser échapper, de tout ressaisir, en arrive à la limite de l’illisible. Alors : à quoi bon. Il est vrai qu’en tendant l’oreille, on arrive à distinguer cette petit musique céleste qui est la récompense de l’esthète. Proust est à classer parmi les chiens musiciens dont parle Kafka dans les Recherches d’un chien. L’art est un beau mensonge inutile. Il n’aide pas à vivre. Il ne fait que remplacer une vie absente. Kafka ne croit pas à l’art; il ne croit à rien. Il cherche à comprendre sa vie. Il écrit parce qu’il pense que c’est ce qu’il est capable de faire le mieux ; mais il ne croit pas à l’écriture non plus. Le langage est tautologique. Et on ne peut pas aller au delà des mots. Pour Kafka les limites du langage sont les limites du monde où la vie est enfermée — et ce monde n’est pas gai. On y tourne en rond, solitaire ; puis on meurt. « Il y a un but, mais il n’y a pas de chemin. » Tout cela est bien désespérant. Kafka va droit au malaise essentiel — sans phrase, pourrait-on dire, par comparaison avec Proust, qui ne fait que maquiller artistiquement le problème. Proust est un mystificateur et un mythomane qui raconte des histoires pour se persuader — et pour persuader les autres — qu’il a vécu ; mais au fond, c’est un homme seul, enfermé dans sa chambre, comme Kafka — et qui va mourir.
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