jeudi 30 juin 2011

Histoire désinvolte - Épisode 4

Mais ne nous égarons pas trop sur des chemins de traverse qui bien souvent ne mènent nulle part, comme le savait pertinemment Martin Hei(l !)d., qui était loin d’être un âne. Vouloir rentrer dans la politique, c’est comme vouloir entrer dans la carrière quand les aînés ne sont pas du tout décidés à en sortir : this means war, my dear boy ! Et la guerre, ce n’est guère que la politique poursuivie (jusqu’à ce que mort s’en suive) par d’autres moyens ; même quand il s’agit d’une guéguerre — ce qui n’était pas le cas de la guerre d’Algérie qui était une vraie guerre (de la liberté) ; même si elle n’était présentée que comme une simple opération de (basse) police par ceux qui la menaient contre les « rebelles » qui « semaient le désordre » et qui, conséquemment, récoltèrent des balles — qui ne furent donc pas perdues pour les « beaux enfants » (maghrébins) qu’elles fauchaient dans la fleur de l’âge — et de l’électricité dans les couilles en prime — parce que c’était tout de même une guerre avec tout le confort moderne — jusqu’à ce que tout rentre dans l’ordre — ou peu s’en faut. Si je vous parle de la guerre d’Algérie, c’est parce que Guy D. et ses amis aimaient bien l’Algérie (et les Algériens) — au départ, c’était surtout les bistrots algériens, où en plus de se rincer la dalle bon marché, on trouvait du haschich et du kif à des prix tout à fait raisonnables — ; et qu’ils se devaient de prendre partie pour ces fiers combattants contre lesquels la République Française envoyait au casse-pipe de jeunes pioupious qui auraient pu être leurs frères — comme ces anciens « Moineaux » qui refusèrent de collaborer à cette ignominie ; et qui appelaient à la désertion avec les 121. La Déclaration des 121 que signa le jeune Guy — et Michèle B.— n’était sans doute qu’une pétition (de principe) ; mais qui exposait tout de même ses signataires à être embastillés par la République — nonobstant le fait que cette République, cinquième du nom, ne doit précisément son existence qu’à la prise et à la destruction de cette Bastille — qui reste la mère (symbolique) de toutes les forteresses de l’iniquité encore à abattre — par de farouches sans-culottes qui étaient les « rebelles » de l’époque. Ce serait presque à vous dégoûter de vouloir faire une révolution ; mais les situationnistes n’étaient pas dégoûtés pour autant : ils avaient vraiment l’intention d’en faire une, de Révolution — pourtant si l’on veut bien considérer avec le vieil G.W.F. H. que « la vérité de l’intention est dans le résultat », il faudra admettre que ce fut là un échec : mais les causes perdues ne sont-elles pas les plus belles ? — ce qui n’empêche pas qu’elles soient perdues — et quand bien même ce n’est pas bêtement — ce n’est tout de même pas très intelligent, il faut bien le reconnaître — ; d’ailleurs, le vieux D. devra bien finir quand même par admettre qu’il avait merdé — et qu’il fallait repartir de zéro — « reprendre depuis le début », comme on peut le lire à la fin de son film testamentaire à l’usage des jeunes générations, au titre en forme de serpent qui se mord la queue ; et qui, comme il se doit, « méprise cette poussière d’images qui le compose » — ce qui est la moindre des choses pour un film anti-spectaculaire (désintégré).

Le pauvre Guy qui n’aura pas vraiment connu son père, se cherchera des pères (de substitution). Et aussi des frères28 (d’adoption) ; le dernier en date étant pour l’heure Henri L. que nous avons mentionné et sur lequel il faut revenir parce que c’est grâce à lui que Guy a rencontré un de ses nouveaux frères d’armes : Raoul V. ; « enfant perdu » lui aussi qui, une fois retrouvé et adoubé, deviendra pour un temps le nouveau pair de son « frère » Guy. Le « frère » Raoul qui pour le moment ne fait pas encore partie de la famille, est résident du royaume de Belgique, où il exerce ce qu’on appelait jadis le « noble métier d’enseignant » — qui ne consistait pas encore à faire du gardiennage en milieu hostile — ; quand il n’est pas plutôt occupé à détourner les jeunes filles mineures — imprudemment confiées à la garde de celui qui n’était pas encore connu comme le « vampire du Borinage », ni associé avec le « boucher du Jutland », au sein de cette « association de malfaiteurs » qu’était tout de même un peu l’I.S., — mais néanmoins suffisamment dessalées pour ne pas s’offusquer de cette pratique du « détournement » — par ailleurs courante chez les situationnistes qui l’appliquaient, il faut bien le reconnaître, aussi à d’autres domaines — que s’apprêtait à rejoindre le jeune Raoul ; et préférer l’aventure avec un jeune professeur rebelle, à la perspective de mener la vie — qui n’est pas toujours rose — d’une courageuse petite mère de famille flamande peu nombreuse et promise à une décomposition certaine — avant une recomposition toujours hasardeuse — suite à la disparition de l’autorité paternelle consécutive à une noyade accidentelle — quoique prévisible — dans la Gueuse lors d’une orgie de moules-frites (pas fraiches) — et qui a donc tourné en eau de boudin (noir).

Or donc, Raoul V. jeune prof en cavale avec une de ses élèves les plus douées (en libertinage) s’apprêtait à rejoindre le royaume de France et Paris, où Henri L. un autre professeur dont il était lui-même l’élève — et qui lui aussi aimait beaucoup la jeunesse quand elle est belle et révoltée comme le petit couple germanopratin, formé par Guy et Michèle D. qu’il venait de rencontrer et allait mettre en contact avec le transfuge belge qui ne demandait que ça — parce que le hasard (objectif) fait forcément bien les choses qui doivent nécessairement arriver — ne l’attendait pas si tôt ce matin-là — ou était-ce plutôt le soir qu’arriva ce visiteur ? C’est ainsi que Raoul V. rejoignit les rangs de l’I.S. La jeune recrue allait rapidement prendre du galon au sein de l’organisation ; jusqu’à acquérir une réputation (presque) égale à celle de son chef historique — ce qui est peut-être le vrai motif de la disgrâce qui le frappera ultérieurement — c’est en tout cas une hypothèse (gratuite) que j’avance et dont on fera ce qu’on voudra — ; même si celui qui fut allégué était qu’il n’avait pas su se montrer à la hauteur d’une situation éminemment historique — elle aussi — où l’action de l’I.S. devait atteindre des sommets : lors de la révolte de mai 68 — sur laquelle nous reviendrons. En effet, le bouillant Raoul, au lieu de rester faire la Révolution avec ses petits camarades, avait préféré honorer ses engagements auprès d’une dame de ses amies — qui était certainement fort honorable ; et qu’il se devait donc d’honorer comme il se doit — il s’agissait de conduire la belle pour les vacances en Espagne — la petite histoire ne dit pas si c’était à Cadix, « tchic, tchic, aïe aïe aïe » — ; ce qui lui fit malencontreusement rater l’important rendez-vous qu’il avait avec l’Histoire qui s’était mise en marche à Paris, alors qu’il était, lui, bloqué en Espagne par à une grève des trains consécutive au redémarrage, justement, de cette l’Histoire dont il put ainsi goûter pleinement l’ironie — qui consistait en l’occurrence à réduire un situationniste (historique lui aussi) au rôle de spectateur d’une révolution qu’il avait appelée de ses vœux — qui s’avérèrent ainsi ne pas être pieux puisqu’ils étaient en train, justement, de se réaliser — mais sans lui — ; ce que ne devait pas manquer de lui reprocher par la suite son « frère » Guy qui n’aurait pas hésiter alors à le mettre illico presto en vacances d’I.S. — si celui-ci n’avait pris lui-même les devant en démissionnant — dans le même mouvement qu’il y mettait l’I.S. en se mettant lui-même en congé d’icelle  : ce qui équivalait à une liquidation générale — qui fut enregistré par l’Histoire sous l’appellation de : Véritable scission dans l’Internationale ; ce qui signifiait en clair qu’il y avait D. d’un côté et plus rien de l’autre — ; ce qu’ayant subodoré, « frère » Raoul avait anticipé, comme je viens de l’indiquer, en annonçant qu’il renonçait désormais à faire partie d’une confrérie décidément aussi haïssable que n’importe quelle famille. Mais encore une fois, je me laisse aller moi aussi à anticiper ; ce qui n’est pas bien lorsqu’on raconte une histoire parce qu’on en dévoile ainsi la fin — ce qui n’a pas d’importance parce que (ici et) maintenant tout le monde la connaît ; enfin, quand je dis tout le monde c’est façon de parler, parce qu’il ne s’agit que de ceux qu’elle intéresse, évidemment — d’ailleurs, qui se passionnerait pour une histoire qui ne présenterait aucun intérêt pour lui ? — personne, je ne vous le fais pas dire — puisque c’est moi qui vous le dis — mais vous auriez certainement dit la même chose si on vous l’avait demandé — et peut-être même sans qu’on vous le demande — mais, de toute façon, je ne vous demande rien : je raconte, enfin j’essaie. Poursuivons donc ; c’est-à-dire : reprenons là où nous en étions resté : in medias res ; ou peu s’en faut.

(À suivre)


Notes

Note 28.
Jean-Marie Apostolidès écrit (Les Tombeaux de Guy Debord , Champs/Flammarion, 2006.) : « […] l’étude concrète des conditions de fonctionnement de groupes d’avant-garde montrent que les idées qui prévalent sont celles des hommes qui triomphent dans les combats fratricides pour le pouvoir et la légitimité au sein de ces groupes. » ; et : « […] être c’est être plusieurs, c’est exister d’abord au sein d’un groupe qui vous reconnaît. Il [Debord] ne se sent pleinement vivre que dans l’atmosphère des égaux. L’égalité absolue des frères empêche théoriquement l’émergence d’une figure paternelle qui a toujours hanté Debord et qu’il redoute autant qu’il en souhaite la venue. »

Petit dictionnaire de citations à l'usage des jeunes générations - Extrait 3


les enfants de l’AVENIR

Nous autres enfants de l’avenir, comment pourrions-nous être chez nous dans pareil aujourd’hui !
 
Nietzsche, Le gai savoir.

mercredi 29 juin 2011

Histoire désinvolte - Épisode 3

2. Maintenant, l’I.S.


Après la formidable gueule de bois qui suivit la petite sauterie de Cosio — « Nous sommes restés saouls pendant une semaine. C’est ainsi que l’Internationale situationniste a été créée. »20, résume sobrement un témoin direct et de bonne foi — autant du moins que peut l’être un ivrogne impénitent — où l’élite de la future I.S. passa l’essentiel de son temps à trinquer à la santé du nouveau né, il n’était évidemment pas question pour le général D. — le petit caporal du quartier était monté en grade et en puissance, comme on dit aujourd’hui — de laisser cette belle troupe inactive, à cuver le vin — qu’elle avait tiré elle même et bu jusqu’à la lie — dans quelque cave que ce soit — si pompeuse fut-elle ; et si pompettes fussent-ils.

Maintenant que les hostilités allaient reprendre sur un plus vaste théâtre et avec un effectif augmenté, il convenait d’annoncer la couleur avec éclat au monde ; et de la faire claquer au vent de l’Histoire (la « grande »). Ce qui fut fait par la publication d’un premier numéro du journal de campagne de la nouvelle Internationale — qui commençait par flinguer vite fait ce qui restait de la bande à Dédé-les-amourettes21, un autre des anciens pères spirituels d’adoption du jeune D., dont il était opportun de régler le compte parce que, lui et sa bande de minus attardés, continuaient à revendiquer un territoire où ils n’avaient, à l’évidence, plus rien à faire. Place aux jeunes voyous (et voyelles) situs ! pour lesquels Guy avait ramassé l’essentiel de son programme en une formule choc empruntée à l’« enfant perdu » de Charleville : « Ne travaillez jamais » — qu’il prétendait avoir tracé lui-même sur le mur d’une des forteresses de l’ennemi — un soir de beuverie à n’en pas douter ; puisque Jean-Michel M., son pote de bistrot de l’époque, qui devait ce soir-là être aussi fait que D., prétend lui que ce n’est pas vrai : « Enfin, moi je sais qu’y a un mensonge, c’est l’histoire de : Ne travaillez jamais ». Va savoir Charles22.

À la place du petit bulletin paroissial de l’I.L. — qui s’intitulait joliment : Potlatch ; pour emmerder le plouc inculte (c’était fait exprès : c’est quoi au juste potlatch ? demandait l’imbécile — de Paris ou d’ailleurs) —, une feuille confidentielle — qui circulait sous le manteau de quelques élus — tapée à la machine par l’infidèle Michèle B. (qui n’hésitait pas à s’envoyer en l’air avec les « Moineaux » de passage ; voyous ou/et voyelles, elle n’était pas exclusive dans ce domaine : libertinage oblige)23 , allait paraître un superbe objet (de collection) dans son habit (métallisé)24 de lumière (versicolore), où s’inscrivait sobrement : Internationale Situationniste ; destiné à en mettre plein la vue du monde qui semblait pourtant vouloir encore ignorer l’I.S.

En attendant, Guy — qui avait remisé Ernest au placard des accessoires passés de mode — en avait profité pour se rapprocher du prince Asger — ou plutôt, c’était le prince de Danemark qui avait décidé de se rapprocher de son cher « maudit » en venant s’installer dans son fief de Paris, « une ville qui était alors [encore] si belle que bien des gens [avaient] préféré y être pauvres, plutôt que riches n’importe où ailleurs »25 — et qui à présent, c’est bien triste à dire : « n’existe plus ». Mais le prince Asger avait la bougeotte depuis toujours ; et il ne se privait pas de vadrouiller tous azimuts : « Toujours la voyage », comme dit la chanson du troubadour (alcoolique) Kevin Ayers, qui n’a rien à voir avec cette Histoire, mais que j’aime bien. C’est d’ailleurs grâce à ces moyens que Guy put enfin réaliser des films avec de vraies images fausses — comme toutes les images — qui sont d’autant plus fausses qu’elles sont trop belles pour être honnêtes.

« Tout au long des années qui suivirent, des gens de vingt pays se trouvèrent pour entrer dans cette obscure conspiration aux exigences illimitées. »26 — comme l’écrira plus tard le vieux D. dans son testament cinématographique — avec lesquels l’encore jeune Guy commença de battre la campagne (internationale) et à fomenter des troubles, en menant de petites opérations-commando destinées à frapper l’imagination des populations avachies dans le confort de la modernité nouvellement équipée — télévision-machine-à-laver-les-cerveaux-eau-gaz-et-électricité-à-tous-les-étages — des cités « radieuses » du malfaisant Le C.-Sing-Sing. Electricité qui n’ était pas encore nucléaire — comme le devenaient à grande vitesse les cités-dortoirs-mouroirs du Corbusard27 — ; mais « la nucléarisation du monde », qui était nonobstant en marche — ce qui n’avait pas échappé à la vigilance toujours en éveil de l’état-major situ — comme en témoigne l’opération poétiquement intitulée : « Destruktion af RSG-6 : En Kollektiv Manifestation af Situationistisk International », menée au royaume de Danemark — où il y avait décidément quelque chose de pourri — par D. et ses hommes (femmes et enfants perdus), destinée à sensibiliser les populations anesthésiées, à la menace nucléaire suspendue au dessus de leurs (pauvres) têtes (décérébrées). Guy profita de l’occasion pour exposer furtivement ses célèbres Directives qui condensaient en une brève formule — dont l’efficace et la renommée n’eurent d’égal que l’occultation — qui dut beaucoup à leur destruction (partielle) par une bombe de l’ennemi qui réduisit en gravas le lieu de l’exposition — son programme complet pour sortir du XXe siècle : DÉPASSEMENT DE L’ART ; RÉALISATION DE LA PHILOSOPHIE ; TOUS CONTRE LE SPECTACLE ; ABOLITION DU TRAVAIL ALIÉNÉ ; NON À TOUS LES SPÉCIALISTES DU POUVOIR / LES CONSEILS OUVRIERS PARTOUT. Il y avait du travail, certes ; mais c’était envoyé, tout de même !

« Les situationnistes et les nouvelles formes d’actions dans la politique ou dans l’art », instructions rédigées par D. à l’occasion de l’opération anti-nucléaire danoise — qui était aussi une manifestation anti-artistique — avait valeur de manifeste et indiquait la voie qui serait désormais suivie par la guérilla situe. La politique ou l’art ? Le général D. avait déjà fait son choix. Si le combat sur le terrain déjà bien ravagé de l’art et de la culture continuait néanmoins, c’était plutôt par le fait d’une vieille habitude dont il était encore difficile de se débarrasser. C’était un mauvais « moment » à passer, comme disait Henri L. — qui n’allait pas tarder à jouer un rôle important dans cette Histoire —, qu’il fallait dépasser dialectiquement dans une praxis — Henri parlait couramment le standard marxist — qui devait comprendre la vie quotidienne — cette vie privée ; qui était surtout la vie privée de tout : de la somme et du reste — qu’il s’agissait de « décoloniser » de toute urgence pour qu’elle puisse devenir le lieu d’une véritable critique de la politique ; c’était le champ de bataille à investir prioritairement, si l’on voulait montrer qu’on avait des couilles au cul qui ne pendaient pas lamentablement dans le sac d’un nœud en berne au lieu d’être insurgé ; et sans l’érection duquel ceux qui parlent de révolution n’ont dans la bouche que le cadavre d’une bite molle. Bref, il fallait « s’engager », comme disait le Tartre, sur la voie aride et hérissée d’épines (au cul) de l’action politique (tic, tic, et toc) militante (qui quand elle en a ressemble à s’y méprendre à mon oncle). On voit quelles perspectives à la fois excitantes et angoissantes s’ouvraient à Guy D. et à « ses prétentions démesurées ».

(À suivre)


Notes

Note 20.
Ralph Rumney, Le Consul, Editions Allia, 1999.

Note 21.
Le lecteur aura reconnu André Breton.

Note 22.
Dans Le Temps gage, moissons rouges, Éditions Noésis, 2001, J.-M. Mension (alias Alexis Violet) revendique pour lui l’inscription, tracée rue de Seine « sur le dos de l’Institut » : « Je sais que dans ses Mémoires, Debord s’attribue la paternité de ce graffiti, et prétend l’avoir écrit à la craie. En fait, c’est moi qui ai fait le travail. Peut-être un jour, un troisième participant s’attribuera-t-il cette œuvre ? Qu’importe, l’essentiel est que nous étions tous d’accord avec ce mot d’ordre simple, net, intelligent et parfaitement rimbaldien. »

Note 23.
Le « libertinage » — qui est au centre des pratiques relationnelles de Guy Debord et Michèle Bernstein, se trouve particulièrement mis en lumière dans les deux romans que celle-ci a écrits : Tous les chevaux du roi et La Nuit — deux déclinaisons de la même histoire : la première façon Sagan ; la seconde à la manière du Nouveau roman —, à travers les relations des deux protagonistes : Gilles et Geneviève. « Le couple qu’il [Gilles] forme avec Geneviève est non seulement fondé sur une attirance réciproque mais sur une conception identique de la vie. Ce sont les nouveaux maîtres ; ils entendent bien asseoir leur autorité, en imposant à leur entourage immédiat les valeurs et les comportements qu’ils jugent les meilleurs, c’est-à-dire qui leur apportent le plus de satisfaction. […] Certes les conventions que se sont fixées au départ Gilles et Geneviève impliquent une totale liberté sexuelle de part et d’autre, mais seulement si leurs amours extraconjugales ne menacent pas la solidité de leur union. […] Dans la structure fraternelle, si la liberté sexuelle du partenaire est admise, sa liberté sentimentale, avec tout ce qu’elle implique, constitue une menace et fait problème. C’est ici un des points d’achoppement de la libération des mœurs, en 1968, comme aujourd’hui.» (Jean-Marie Apostolidès, Les Tombeaux de Guy Debord, Portrait de Guy-Ernest en jeune libertin, Champs/Flammarion, 2006.) 

Note 24.
Le premier numéro d’I.S. paraît en juin 1958 — Directeur G.E. Debord ; Rédaction : 32, rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e —, sous couverture métallisée or. « Je cherche l’Or du Temps. », l’épitaphe sur la tombe d’André Breton aurait pu servir d’exergue à ce premier numéro d’I.S., qui s’ouvre par un article des Notes éditoriales intitulé : Amère victoire du surréalisme, où l’on expédie vite fait le mouvement de Breton — dont l’I.S. est pourtant la digne héritière. Dans son livre : Dans le chaudron du négatif, Editions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2003, Jean-Marc Mandosio, spécialiste de la Chrysopée — qui curieusement ne croit pas à la possibilité ni donc à la réalité de la transmutation des métaux — croit reconnaître dans le prologue de son livre, par l’intermédiaire de son « enquêteur » une influence de la littérature alchimique chez Debord — le début des Commentaires sur la société du spectacle serait un détournement de La Somme de la perfection, ou l’abrégé du magistère parfait des philosophes, de Geber, un alchimiste du XIIIe siècle — pour le moins étonnante chez quelqu’un qui n’avait que mépris pour « l’occultation » du surréalisme et pour tout ce qui était soupçonné de ressembler à du mysticisme — mais il précise peu après qu’il la croit peu probable quoi que possible. Contrairement à Vaneigem, comme il ne manque pas de le souligner qui, quant à lui, s’est intéressé au Mouvement du Libre-Esprit et qui faisait « grand cas de l’alchimie ». En effet, il y a chez celui-ci des références alchimiques nombreuses dans toute sa production ; on ne citera pour mémoire que son utilisation de l’iconographie alchimique pour la couverture de l’édition de poche de son livre : Nous qui désirons sans fin — il s’agit en l’occurrence d’une reproduction de l’Emblema XXXIV. De Secretis Natura, de l’Atalante fugitive, de Michael Maïer.
Mais peut-être Debord était-il crypto-mystique — côté qui ne devait évidemment pas paraître chez quelqu’un qui affichait un matérialisme sans faille ; mais on sait que les extrêmes ont une fâcheuse tendance à se rejoindre. D’ailleurs René Daumal qui s’y connaissait en mysticisme n’écrivait-il pas : « L’opposition ressassé entre matérialisme et idéalisme risque […] de ne pas signifier grand-chose de bien précis. La véritable opposition est entre matérialisme dialectique et idéalisme absolu d’une part, matérialisme rationaliste et spiritualisme d’autre part. […] / Idéalisme absolu et marxisme sont identiques dans leur essence en ce qu’ils nient absolument le dualisme et la contingence. » (Le Grand Jeu, IV, Automne 1932, Épreuves.) Voilà qui a le mérite de la clarté.

Notes 25, 26.
Guy Debord, In girum imus nocte et consumimur igni, 1978.

Note 27.
Bien sûr, c’est un jugement péremptoire : il n’avait pas voulu ça ; mais : « Le prétexte ordinaire de ceux qui font le malheur des autres est qu’ils veulent leur bien. » Par ailleurs, il faut dire que, Le Corbusier, tant vilipendé par l’I.L. et l’I.S., a pourtant bénéficié d’un jugement plutôt favorable, de la part du Jorn d’avant l’I.S. : « Qui est Le Corbusier ? C’est un homme qui a dilapidé l’équivalent de plusieurs milliers de couronnes dans des expériences ratées. C’est lui qui a marqué d’une empreinte indélébile tout ce qu’on appelle architecture moderne aujourd’hui. Il a présenté des projets si fantastiques qu’on ne peut que s’incliner. […] Il a travaillé à épurer notre environnement de l’académisme centenaire et du plâtre, à restaurer un sens de l’esthétisme dans ce qui est conçu à seule fin de remplir une fonction […].Il y a quelque chose d’enfantin chez Le Corbusier. […] Mais c’est plutôt dans sa manière d’observer une chose simple comme l’enfant dans Les nouveaux habits de l’Empereur. Détaché des conceptions traditionnelles, il prend les problèmes à la racine et ne comprend pas qu’on ne fasse pas comme lui. » ; et encore : « L’ART EST NÉCESSAIRE À L’ENGAGEMENT DE NOTRE VIE PARCE QUE L’HOMME NE PEUT SUPPORTER DE VIVRE DANS UN CADRE QUI NE MANIFESTE PAS PARTOUT SA PERSONNALITÉ. QU’UNE CHOSE DÉGAGE LA PERSONNALITÉ HUMAINE, QU’ELLE CONTIENT DIRECTEMENT UNE VIE HUMAINE, C’EST LA MARQUE ARTISTIQUE SUR LES CHOSES. Le Corbusier le sait et il peut convaincre un artiste compétent et talentueux comme Fernand Léger de le suivre. C’est peut-être pour cela qu’il perçoit la valeur de l’apport artistique. Combien de fois les architectes, tous pays confondus, ont reproché à Le Corbusier de ne pas savoir construire une maison ? Ça rouille et ça s’écroule. C’est peut-être vrai. Le Pavillon des Temps Nouveaux a failli nous tomber sur la tête [Jorn à participé à la création de ce pavillon, lors de l’Exposition universelle de 1937, où Le Corbusier exposait ses théories.] pendant les travaux, mais il a fini par trouver ce qui n’allait pas. Corbu ne se noie pas dans les détails. Pourquoi n’a-t-il pu construire que trois ou quatre maisons ? Pourquoi ne lui donne-t-on pas les moyens de travailler ? Parce que c’est un phénomène de notre époque, parce que c’est un artiste devenu technicien. […] il n’existe personne qui comme lui, soit parvenu à faire une synthèse entre le cadre de vie et l’urbanisme. […] » (Asger Jorn, Discours aux pingouins et autres écrits ; respectivement : Nouvelle peinture-nouvelle architecture, Fernand Léger et Le Corbusier et : Face à face ; écrits d’artistes, Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts, 2001.

mardi 28 juin 2011

Petit dictionnaire de citations à l'usage des jeunes générations - Extrait 2


de l’instinct de MORT

Si l’homme était habité par un « instinct de mort », il n’aurait pas autant de peine à mourir.
 
Marcel Conche, Temps et destin.

Histoire désinvolte - Épisode 2


Revenons au quartier. Au quartier, on était facilement à cran — parfois même à cran d’arrêt : l’épée de l’époque. Il faut dire qu’indépendamment d’un environnement hostile, le petit cercle des chevaliers du négatif — souvent ronds comme des queues de pelle, autour de — quand ce n’était sous — leur table de bistrot carrée — ou rectangulaire, plus probablement —, se caractérisait par un modus vivendi — qui pouvait tourner facilement au modus moriendi10 — plutôt agonistique, imposé à la petite troupe par son leader. En effet, le jeune D. — qui était un diable d’homme — menait un train d’enfer ; et il entendait bien que chacun des membres de la confrérie s’y conformât ; malheur à celui qui restait en arrière ou qui faisait un faux pas (de côté) : il se trouvait immédiatement relégué dans les ténèbres extérieures sans autre forme de procès : exclu. Même le meilleur parmi les meilleurs de ces preux ne put y échapper : le Prince vaillant, lui aussi, fut impitoyablement dégradé11 — avant d être tardivement réhabilité, c’est vrai — ; c’est dire que quiconque pouvait être frappé à tout moment : le pauvre François D. devait l’apprendre à ses dépens — « Il était assez copain avant l’internationale lettriste avec François D., y’ s’aimaient beaucoup. Y’ se promenaient un jour, et puis y’ se quittent, et à ce moment-là D. dit à François : écoute François, nous ne nous reverrons plus. Et il a rompu avec D. D. a jamais compris pourquoi. Simplement parce que [Guy] D. vivait comme ça… vivait un temps très fort avec untel ou untel ; et une fois qu’y considérait que ce temps se distendait, il le quittait. »12 — qui n’a jamais compris pourquoi il avait été disgracié13. Parmi ceux qui furent frappé de disgrâce, il convient de réserver une place à part au Grand Gil J W. l’un de ses rares frères d’armes que l’on puisse considérer comme le pair de D. — mais celui qui « souhaitait trouver des égaux » était aussi celui « qui devait décider qui était égal à lui » ; et « Guy était un peu plus égal que les autres »14 — Gil se retrouva donc mis prématurément à « La retraite »15. Mais contrairement à tant d’autres, il ne s’en laissa pas conter — il connaissait l’Histoire — ; et frappant d’estoc, rétorqua superbement : « L’un n’exclut pas l’autre » — et l’Autre en resta comme deux ronds de W. parce que : « Tout ce qui est rond est W. », c’est bien connu.

La vie de quartier c’est bien gentil, mais c’est tout de même — même si on en change parfois et que l’on change aussi de bistrot — qu’une petite vie de quartier, dans une petite circonscription du grand orbe planétaire, seul théâtre d’opération digne de qui veut mener la « grande vie ». Et le jeune D., qui avait de l’ambition, ambitionnait plutôt d’inscrire son nom en lettres de feu « dans l’histoire des cataclysmes »16, que dans celle de la chevalerie errante — voire erratique. En attendant, les « Moineaux » avaient quand même changé de quartier. Sous la houlette du faucon Guy, ils avaient pris leur bâton de pèlerin pour venir se (re)poser sur la Montagne-Geneviève — ex-Sainte17, dégradée, mais nonobstant Reine couronnée par nos mécréants rebelles — dans le nouveau (petit) nid choisi par l’aiglon pour servir de repère à la (petite) bande : au Tonneau d’Or (du temps). Le connétable Guy-Ernest — pour l’heure encore inconnu dans le grand monde : ses seuls faits d’arme notables se résument à un film sans image qui devait beaucoup à son « papa » dada Isidore. ; et quelques menus scandales dont la renommée ne dépassait pas le clocher de Notre-Dame18 — se devait d’élargir son champ d’action (et celui de son objectif). Et cela passait nécessairement par une réorganisation de sa troupe dont les rangs s’étaient dégarnis ; par une nouvelle organisation. Il fallait recruter d’autres preux ; pour les faire marcher sous une autre bannière qui devait justifier plus sérieusement que la première de l’appellation d’Internationale, C’est ainsi que naquit l’I.S., des entrailles encore fumantes de l’I.L. Sa naissance, sans avoir été particulièrement difficile, se passa pourtant en deux temps et deux lieux différents — et plusieurs mouvements — : à Alba pour le premier, où grosso modo fut établie la plateforme qui devait servir de rampe de lancement à l’I.S. ; et à Cosio (d’Arroscia)19 pour le second où l’on procéda aux derniers réglages avant la mise en orbite du missile intercontinental baptisé : I.S. Le nouveau né, malgré sa nature composite était un enfant plutôt vigoureux et bien constitué, qui avait fière allure. Il n’allait pas tarder à montrer qu’il avait de qui tenir, en déchirant à belles dents les proies — faciles au début : la vieille garde artistique et culturelle en décomposition — qu’on lui offrirait. Mais il n’y aurait bientôt plus grand-chose à ravager de la vieille province artistique et culturelle ; et il faudrait passer à de plus substantielles nourritures. Nous y (re)viendrons.


Notes

Note 10.
Le suicide était endémique dans le « quartier ». Debord fait une tentative en 1953 : « Il y a G.-E., qui a passé dix jours dans une maison de repos où on l’avait envoyé (ses parents) après un suicide manqué au gaz. » (Extrait d’une lettre de Gil Wolman à Jean-Louis Brau.) ; suicide de Kaki : « Camée, elle était passée par la fenêtre de son hôtel. Kaki était la reine du quartier. » (Jean- Michel Mension, Le Temps gage.), Debord lui rendra hommage dans une métagraphie : Mort de J.H. ou Fragiles Tissus (en souvenir de Kaki [Jacqueline Harispe, ancien mannequin de chez Dior], 1954) ; Jean-Michel Mension, dans l’émission de France Culture consacrée à l’I.S., où il est interviewé, dit : « “Le scandale n’est pas qu’on se tue ; c’est qu’on nous fasse vivre comme ça.” Oui, j’ai dit ça. Y’ avait dans le groupe une sœur et deux frères, et bon on buvait ; on était déjà… on avait déjà quitté le quartier je crois ; on était déjà rue de la Montagne-(Sainte)-Geneviève — la sœur — la grande sœur s’appelait Toutoune — bon elle s’en va, elle quitte le bistrot et deux heures après on la revoit, elle nous dit : le petit Pierre — c’était le plus jeune des frères — s’est suicidé. C’était un dimanche. Et bon, donc, la discussion est partie sur le suicide et tout et tout ; et bon, c’est là que j’ai dit que en fait ce qui était grave c’est pas de se suicider, c’était de vivre pendant vingt ans dans des conditions aussi déplorables, en gros quoi. Et là aussi ç’a été adopté comme la position, en gros, du groupe. »

Note 11.
« À la porte », potlatch 1, 22 juin 1954 : « L’internationale lettriste poursuit, depuis novembre 1952, l’élimination de la “Vieille Garde” ». Parmi la « charrette », qui comprend : Isou, Lemaître, Pomerans, Berna, Mension, Brau, Langlais, on trouve en fin de liste : « IVAN CHTCHEGLOV, alias GILLES IVAIN », exclu pour : « Mythomanie, délire d’interprétation – manque de conscience révolutionnaire. »

Note 12.
Jean-Michel Mension, enregistré lors d’une interview réalisée pour la série de quatre émissions sur l'Internationale situationniste, produite par Jean Daive en 1996 pour France Culture. On y entendait également : Marc’O, Ralph Rumney, Constant et Jacqueline de Jong. Une transcription partielle en a été réalisée par les Éditions Memento Mori, 1997, sous le titre de : Mémoires 1951-1997, Sur le passage de quelques personnes à travers une assez longue unité de temps.

Note 13.
« L’INDIVIDU DOIT ÊTRE PASSIONNANT OU NE PAS ÊTRE. Voilà qui promulgué en loi, alimentera les tribunaux de la Nouvelle Terreur. Remarque déjà l’utilisation faite de ce principe, avec jusqu’à présent la simple sanction de l’exclusion. » (Lettre de Guy Debord à Ivan Chtcheglov, Le Marquis de Sade a des yeux de fille, Éditions Arthème Fayard, 2004.)



Note 14.
Ralph Rumney, également sur France Culture.

Note 15.
Titre d’une rubrique de Potlatch 28, 22 mai 1957 : « Fillon et Wolman ont été exclu de l’internationale lettriste le 13 janvier. On leur reprochait depuis assez longtemps un mode de vie ridicule, cruellement souligné par une pensée chaque jour plus débile et plus mesquine. (Wolman avait eu un rôle important dans l’organisation de la gauche lettriste en 1952, puis dans la fondation de l’I.L. […] Fillon n’a rien fait.) »

Note 16.
« Prenez garde, André Breton, de figurer plus tard dans les manuels d’histoire littéraire, alors que si nous briguons quelque honneur, ce serait celui d’être inscrit pour la postérité dans l’histoire des cataclysmes. », René Daumal, Le Grand Jeu III, automne 1930, Lettre ouverte à André Breton sur les rapports du surréalisme et du Grand Jeu. Une mise en garde que le jeune Debord aurait pu et dû méditer pour lui-même.

Note 17.
« D’autre part, la montagne Ste Geneviève se révèle au long de l’histoire le haut-lieu de toutes les conspirations. Au XIXe s. le quartier le plus solidement insurrectionnel de Paris : Repaires des Sociétés Secrètes extrémistes d’alors – dans les bars de chiffonniers de la Rue des Patriarches. » (Lettre de Guy Debord à Ivan Chtcheglov, Le Marquis de Sade a des yeux de fille, Éditions Arthème Fayard, 2004.) — Bientôt, les lettristes internationaux entreprendront une opération de « déchristianisation » des noms de rues : « Depuis quelques mois, nous nous plaisons à mener campagne pour la suppression de ce vocable [Saint], dans la correspondance comme dans nos conversations. […] L’administration des P.T.T. se soumet dès à présent au vœu de son public : les lettres parviennent boulevard Germain ou rue Honoré. » (Potlatch 9-10-11, 17 au 30 août 1954, numéro spécial de vacances, En attendant la fermeture des églises.)

On notera que Debord qui affichait le plus profond mépris pour tous ce qui se rapprochait, de prés ou de loin, du « mysticisme », croit au génie du lieu — c’est pour cela qu’il transfère la Q.G. de l’I.L. à la Montagne-(Sainte)-Geneviève — et du nom : Le Tonneau d’Or, n’est pas choisi au hasard ; et attache par ailleurs beaucoup d’importance aux coïncidences signifiantes ; ce que Jung — que Debord ne cite jamais, trop « mystique », il préfère Freud, matérialiste bon teint — appelle synchronicité.

Note 18.
C’est le fameux « scandale de Notre-Dame » — mis au point par Serge Berna ; c’est lui également qui a rédigé le texte qui sera lu en chaire par le faux moine. Faisaient partie du « commando », outre Berna : Michel Mourre déguisé en Dominicain, qui tiendra le premier rôle, Ghislain Desnoyers de Marbaix et Jean Rullie qui sont sensés lui servir de gardes du corps — mais ils ne pourront pas empêcher l’intervention musclée du service d’ordre de Notre-Dame : ils seront roués de coups et Michel Mourre brièvement interné dans un hôpital psychiatrique. Debord y revient souvent ; mais il n’a pas participé lui-même à la chose. « Le 9 avril 1950, dimanche de Pâques de l’Année sainte, un groupe de quelques hommes franchit le seuil de Notre-Dame de Paris, se faufile dans la foule considérable assemblée pour la grand messe et gagne les approches de la chaire. L’un d’eux, Michel Mourre, a revêtu une robe de dominicain louée la veille pour la circonstance. Immuable le rite millénaire se déroule jusqu’au moment de l’élévation. C’est alors que déchirant le vaste silence qui pèse sur l’assistance recueillie, la voix du faux dominicain soudain se met à retentir, et proclame : Aujourd’hui jour de Pâques en l’année sainte ici dans l’insigne Basilique de Notre-Dame de Paris / J’accuse l’Église catholique universelle du détournement mortel de nos forces vives en faveur d’un ciel vide / J’accuse l’Église catholique d’escroquerie / J’accuse l’Église catholique d’infecter le monde de sa morale mortuaire, d’être le chancre de l’Occident décomposé. / En vérité, je vous le dis : Dieu est mort. / Nous vomissons la fadeur agonisante de vos prières, car vos prières ont grassement fumé les champs de bataille de notre Europe. / Allez dans le désert tragique et exaltant d’une terre où Dieu est mort et brassez à nouveau cette terre de vos mains nues, de vos mains d’ORGUEIL, de vos mains de prière. / Aujourd’hui jour de Pâques en l’Année sainte / Ici, dans l’insigne Basilique de Notre-Dame de France, nous clamons la mort du Christ-Dieu pour qu’enfin vive l’homme. » (Cité dans : Jean-Michel Mension, La Tribu, Editions Allia, 1998.)

Note 19.
« En septembre 1956, des représentants de différentes avant-gardes se retrouvent  à Alba à l’occasion d’un congrès convoqué par Jorn et Pinot-Gallizio. Wolman, dépêché sur place par les lettristes, le Hollandais Constant (ancien de Cobra et nouveau membre du MIBI) et les italiens du laboratoire expérimental s’entendent sur une plate-forme commune. […] Il ne manque plus qu’une conférence d’unification pour aboutir à la fondation du nouveau pôle artistique tant recherché. Cette conférence a lieu en Italie, à Cosio d’Arroscia, le 27 juillet 1957. Le Mouvement international pour un Bauhaus imaginiste, l’Internationale lettriste et le Comité psychogéographique de Londres de Ralph Rumney fusionnent dans une nouvelle organisation : l’Internationale situationniste (I.S.) » (Shigonebu Gonzalvez, Guy Debord ou La Beauté du négatif, Nautilus, 2002.)