dimanche 28 avril 2013

Considérations et anecdotes diverses autour de Guy Debord recueillies et arrangées par France Culture / 3



Anselm Jappe : « […] Donc Debord justement parce qu’il avait une autre approche de Marx qui venait plutôt de ses racines littéraires et artistiques, je pense qu’il à su dire des choses que personne d’autre n’avait compris à cette époque-là, il a redécouvert un autre Marx, donc le Marx qui essentiellement se base sur la critique de la valeur, de la marchandise et du travail ; […] dans La Société du spectacle, il décrit le spectacle comme la forme contemporaine de la marchandise — c’est aussi le sens de la toute première phrase de La Société du spectacle qui reprend la même première phrase du Capital seulement en remplaçant le mot marchandise qu’utilise Marx par spectacle — ; il voulait peut-être écrire ce que Marx aurait écrit si en 1967, donc exactement un siècle après le Capital, si Marx avait encore écrit un autre Capital. »

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Michèle Bernstein : « J’ai trouvé l’exposition que j’ai vue… […] ; je la trouve une bonne surprise ; ça aurait pu être bien pire, je trouve que c’est plutôt bien fait. »

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Gérard Berréby : « L’exposition à la BnF, si je ne me trompe pas, succède… l’exposition de Guy Debord succède à l’exposition précédente qui était consacrée aux Rothschild et précède — et je trouve ça extraordinaire — une exposition sur Astérix ; c’est parfait pour moi : Debord passe, Astérix arrive. »

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Michèle Bernstein : « Je suis persuadée que les mômes de 20 ans qui sont comme nous, s’il y en a — et y en a surement — ; nous quand on avait 20 ans, personne ne nous connaissait et personne ne savait si nous allions boire un verre chez Paco à Aubervilliers ou dans les Halles ; personne ne savait. Je n’ai jamais dit, quand je travaillais, que j’étais situationniste par exemple, ou que j’étais la femme de Guy Debord, surtout pas ; de la même façon s’il y a des gens qui font maintenant des choses aussi passionnantes ou intéressantes que ce que nous faisions à l’époque, donc on ne les connaît pas, et nous ne savons pas où, mais statistiquement je pense que c’est possible — et même probable ; non ? »

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samedi 27 avril 2013

Considérations et anecdotes diverses autour de Guy Debord recueillies et arrangées par France Culture / 2



Michèle Bernstein : « Alors, Daniel Blanchard a écrit partout, et dit, que Guy avait rompu avec lui parce que je ne pouvais pas le blairer ; alors Daniel Blanchard donne comme raison que je l’aurais nourri d’un poulet rôti boulevard de Sébastopol avec des frites que je n’aurais pas faites moi-même ; je me demande si Daniel Blanchard avait réalisé que nous vivions dans un trou à rats que j’avais un rond de gaz dans le couloir qui servait d’entrée, pas d’eau chaude, pas de lavabo, et des tas d’autres commodités manquant ; bref, lui je ne sais qui lui préparait le bœuf en daube et le navarin d’agneau, mais pour nous, le poulet rôti et les frites du coin avant la malbouffe à l’époque où y avait pas de poulet de batterie, c’était la fête ; et j’avais certainement prévu pour lui quelques très bonnes bouteilles de Bordeaux de l’épicière de la rue Quincampoix. Si il veut savoir pourquoi il a été exclu, ce pauvre crétin, c’est parce que Guy, dont c’était aussi le préféré, voulait qu’il devienne situationniste ; et quand il a vu que Daniel — que Canjuers — resterait social barbare, avec Cornelius, Castoriadis, et bien il s’est fâché avec lui en pensant qu’il n’y avait rien à en tirer. »

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Boris Donné : « Si Debord est tellement fasciné par la belle langue épurée du 17e, si il cite tellement volontiers Bossuet, Pascal, Racine à l’occasion, et bien ça reste à mon avis la trace d’une éducation littéraire qui a été assimilée de manière parfaite ; à la culture classique scolaire qu’il a intégré, Debord superpose une culture d’avant-garde qui se développe peu à peu ; il est allé au Manifeste de Breton et à l’Anthologie de l’humour noir qui est une espèce, déjà, de petite compilation, qui est une parodie de manuel scolaire finalement ; et Debord, tout de suite accroche à ça. Je pense que, quand il a vingt ans, la connaissance de Sade qu’il peut avoir est très modeste, mais elle passe par l’image qu’en donne Breton dans l’Anthologie de l’humour noir ; même chose pour la fascination qu’il peut avoir pour Vaché, pour Isidore Ducasse, etc. ; et ses intérêts se diversifient en fait de façon très progressive, il se forge une culture marxienne, hégélienne, petit à petit, en piochant à droite et à gauche dans le meilleur de ce que lui apporte l’époque finalement ; et, il ne faut pas couper Debord de son époque et de sa génération ; et je pense que ça vaut particulièrement pour sa culture cinématographique par exemple, quel jeune adolescent qui, juste après la guerre, voit Les Enfants du paradis n’a pas été fasciné par ce film-là, Johnny Guitare, un peu plus tard, c’est aussi un film qui, dans les milieux intellectuels, reçoit un accueil très favorable parce que, il conjugue les prestiges du western avec quelque chose d’autre d’un peu plus trouble, d’un peu plus étrange ; et, clairement pour ses choix cinématographiques, on sent qu’il est resté très attaché à ce qui l’avait fasciné à la fin de l’adolescence ; dans In girum imus nocte, en 78, certains des passages les plus beaux viennent de Johnny Guitare — alors ça, c’est un peu plus tard qu’il l’a vu, il avait presque 30 ans —, mais beaucoup de passages aussi des films de Carné, Cocteau également une fascination de son adolescence, et on trouve des extrait de l’Orphée de Cocteau détournés dans In girum imus nocte. »

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Anselm Jappe : « […] vraiment pour Debord le monde était une espèce de grand jeu […].Et donc il voulait quand même comprendre, d’une certaine manière, comment on réussit aussi à se faire valoir dans le monde ; et également évidemment son approche de la révolution, c’était comme une tâche qu’il fallait mener à bien, et donc aussi en prévoyant toutes les issues possibles et aussi toutes les réactions de l’adversaire ; même la révolution était quand même essentiellement une espèce de sous-espèce de la pensée stratégique. Il faut toujours se souvenir, je pense, une des clés pour comprendre Debord ce sont les Mémoires du Cardinal de Retz, du 17e siècle ; ça l’a très marqué cette figure de quelqu’un qui a toute sa vie intrigué, organisé la Fronde et les révolutions à Paris ; d’une certaine manière, il l’a fait presque [avec l’]ambition de s’amuser, de vivre des choses extraordinaires ; et Retz a dit, à la lettre à peu près, est-ce qu’il y a une chose plus grande au monde que la conduite d’une partie. Il y a quand même, je pense l’idée, que lui, d’une certaine manière, il voulait jouer à la table des grands mais évidemment pas de manière vulgaire sur le devant de la scène, mais par derrière. »

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Michèle Bernstein : « […] quand je dis que j’aurais dû me méfier, c’est une plaisanterie, mais c’est vrai que à l’époque déjà Guy avait tendance à aimer la stratégie et ce genre de choses ; j’aurais dû me méfier, j’aurais dû me méfier quand on avait 20 ans, 22 ans, quand on s’est marié ; un garçon qui aime à ce point jouer avec les soldats de plomb, qui aime tellement Clausewitz, le Cardinal de Retz et ce genre de choses… Alors moi, c’était juste le contraire, parce que j’aime Bartleby… Tristram Shandy ça on s’est… comme des enfants qui se montrent leurs jouets Guy et moi on s’est passé des trucs qu’on avait pas lu donc ; mais je ne me suis pas méfiée parce que je l’aimais tant ; mais c’est vrai que c’était quand même inquiétant, parce que, il adorait les soldats de plomb et Clausewitz, et Machiavel, et tous les gens… et Balthasar Gracián ; et tous ces gens-là vous expliquent une seule chose — critique où pas critique — c’est quand même comment réussir. »


(À suivre)

jeudi 25 avril 2013

Considérations et anecdotes diverses autour de Guy Debord recueillies et arrangées par France Culture / 1



L’émission de France Culture d’où sont tirés les extraits ici transcrits peut être écoutée dans son intégralité à l’adresse suivante :


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Boris Donné [Michèle Bernstein] : « Un anti-artiste, quelqu’un qui aura composé une œuvre au second degré, une œuvre de collages, mais qui lui-même aura écrit finalement un ensemble de textes relativement modeste ; peu de choses sont de sa main même dans ses œuvres ; dont les films ne comportent presque aucune image qu’il aura tourné lui-même ; quelques œuvres graphiques mais qui sont des collages là aussi ou bien de simples inscriptions […] ; quelqu’un qui aura eu l’ambition d’être entretenu : Ne travaillez jamais, il faut bien trouver des moyens d’existence, on les trouve en vivant au crochet des femmes qui partagent votre vie — ça été lé cas de Michèle Bernstein — [“Et à partir du moment où j’ai été bien payé, eh bien, c’est vrai, de toute façon, on séparait mon mois en trois : un tiers pour Guy, un tiers pour moi, un tiers pour la maison, pour les factures ; et ça a continué après, même quand on ne vivait plus ensemble, jusqu’à ce que Lebovici lui donne des sous pour La Société du spectacle — c’est pas parce que je quitte un garçon que je vais le réduire à la famine.”] — ; de riches mécènes qui viennent financer vos activités — ça été le cas de Gianfranco Sanguinetti à la fin de l’aventure de l’Internationale situationniste et puis ensuite de Gérard Lebovici ; et quelqu’un qui cherche à fasciner les autres, à avoir une prise sur eux par un charme qu’il exerce : et avec une finalité subversive d’une certaine façon. — [“Mais en même temps, je dois dire que quand on avait 25 ou 30 ans, si quelqu’un nous avait dit : votre avenir c’est une belle réussite, vous serez Trésor national et vous aurez une très belle exposition à la Bibliothèque nationale, j’ai l’impression qu’on l’aurait battu ; on était quand même beaucoup plus ambitieux que ça.”]

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Boris Donné : « Pour comprendre comment il a élaboré ses livres, ses films, il faut se dire que c’est quelqu’un qui, dans tout ce qu’il lit est en fait à la recherche de lui-même, c’est-à-dire que, il lit des ouvrages, classiques, des pièces de Shakespeare, les Essais de Montaigne, les Mémoires du cardinal de Retz ; il va au cinéma, voir de grands films comme Les Enfants du paradis, Orphée, comme Le Troisième homme, ou comme des films oubliés, des films de série B, et à chaque fois la question qui sous-tend la réception de ces œuvres c’est : mais en quoi est-ce que ça parle de moi ou en quoi est-ce que je peux amener ça à renvoyer une image de moi-même, de ma propre histoire, de ce que je suis, de ce que je pense ; alors il le fait souvent avec humour, et dans le processus du détournement il y a volontiers cet effet de décalage […], mais malgré tout le phénomène d’identification reste quelque chose de très fort et on sent bien que quand il détourne de Marcel Herrand incarnant Lacenaire dans Les Enfants du paradis, il y a une identification, une sympathie, une affection qui ne sont pas marqués par une distance ironique ou un éloignement qui relèverait du second degré. »

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Michèle Bernstein [Boris Donné] : « […] Alice et le frère d’Alice sont allés jeter les cendres au bout de… [“à la pointe du Vert-Galant à Paris et ce lieu, il y est attaché parce que c’était un des lieux de promenade des jeunes lettristes dans les années 50 ; mais c’est aussi, sur un plan historique, le lieu où avait été édifié le bucher du Grand Maître des Templiers, et les Templiers sont présents aussi dans Panégyrique, la règle de l’ordre du Temple est citée quelque fois et donc ça participe encore sans doute de cette mythologie personnelle.”] Moi, je l’ai appris, j’étais en Angleterre ; c’est une amie à moi de Libé qui me l’a dit avant les autres parce qu’elle avait vu la dépêche de AFP, elle m’a dit : tu sais Guy Debord vient de se suicider ; j’ai répondu : ah ! merde alors ; mais ça faisait longtemps que je l’avais pas vu ; après je me disais : maintenant y doit être arrivé au Havre. […] Je pensais qu’il se suiciderait, comme la plupart des gens, le jour de son anniversaire — je pensais d’ailleurs qu’il se suiciderait le jour de ses 60 ans, il en avait beaucoup parlé, beaucoup dit etc., et puis le gendre de Marx, enfin nous connaissons tout çà. Donc le jour de ses 60 ans j’ai vraiment regardé les journaux pour voir si Guy s’était suicidé : non, alors le jour de ses 61 j’ai regardé si Guy s’était suicidé : non ; et avant ses 63 ans, voilà qu’il se suicide un jour qui n’est pas son anniversaire ; mais on peut dire qu’il s’est euthanasié plutôt parce que depuis j’ai appris qu’il souffrait de sa polynévrite de sa goutte. […] »

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Jean-Michel Mension : « Je sais pas comment il a vraiment vécu la période après la dissolution de l’Internationale situationniste, je sais pas d’ailleurs si l’Internationale situationniste existait avant qu’on la dissolve. »


(À suivre)

mardi 23 avril 2013

Lectures – je n’aime pas la police de mon pays (Extraits)



Le 16 juin 1993, l’écrivain Didier Daeninckx lançait « l’Appel des 101 » en réaction au véritable meurtre d’un garçon de 17 ans, Makomé M’Bowolé, tué d’une balle dans la tête à bout touchant, au commissariat des Grandes-Carrières dans le XVIIe arrondissement de Paris. Peine mort appliquée pour le vol d’un paquet de cigarettes, au cours d’un l’interrogatoire illégal, revolver en main, par un inspecteur qui occupait utilement son temps en attendant que  le père de l’adolescent vienne le chercher. Le texte de cet appel était lourdement significatif, et, avec Jean-Michel Mension, nous nous y étions ralliés avec la volonté de donner un prolongement aux mots […]. / Malgré les signatures prestigieuses qui l’accompagnait, cet Appel des 101 ne devait pas se développer au-delà de ce communiqué qui se voulait offensif. Ce qui démontrait, une fois de plus, l’inanité des meilleurs sentiments humanitaires lorsque fait défaut la volonté de s’investir pleinement dans une lutte prolongée au-delà des proclamations, comme de la qualité des éventuels soutiens.
[…]
Un an après la mort violente de Makomé au commissariat des Grandes-Carrières, nous avions décidé, avec Jean-Michel, de prendre le relais de l’Appel des 101 qui n’avait vécu que le temps d’un communiqué. Il n’était plus possible de laisser passer — sans réagir durablement — les grosses bavures et les petites dérives. C’est à cette fin que nous avions convoqué une conférence de presse le 6 avril 1994, jour anniversaire du jeune Makomé M’Bowolé. […] / Tout d’abord nous avions rédigé, pour publication dans la presse, un manifeste destiné à faire connaître les grandes lignes de notre action. […] Dans le même temps, nous avions pris soin de déposer les statuts de l’Observatoire des libertés publiques comme association régie par la loi de 1901. L’objet déclaré ne faisait pas mystère de notre projet : « Recenser toutes les informations concernant les petites et les grandes exactions de la police. »
[…]
Malgré l’aboutissement de notre volonté de créer cet Observatoire des libertés publiques et son bulletin Que fait la police ?, nous nous sentions bien seuls avec mon camarade Jean-Michel. Nous savions que l’impact suscité par notre initiative serait limité, mais nous étions surpris du peu d’intérêt des groupes d’extrême-gauche.
[…]
Certes, nous n’étions pas nombreux mais, à deux nous avions le sentiment de faire du bruit comme 500. […] / Au début, faute de ressources, le tirage de Que fait la police ? devait se limiter à 100, puis à 200 exemplaires, adressés gratuitement aux associations et aux journaux, puis à tous ceux qui allaient bientôt en faire la demande.
[…]
Nous n’avons jamais été inquiétés, comme les plus pessimistes le prédisaient. Nous sommes passés de Pasqua à Debré et de Chevénement à Vaillant, avant de connaître Sarkozy, Villepin, Alliot-marie, Hortefeux, Guéant, Valls. Le ciel ne nous est pas tombé sur la tête.

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Le site de Que fait la police ?