mercredi 31 août 2011

Nodules 6 – Comme dans un miroir obscurément

À présent vous voyez comme dans miroir obscurément. Qu’est-ce à dire ? Que l’on voit plus ou moins clairement dans un miroir est accidentel. Ce qui caractérise le miroir est que l’on y voit un reflet; et le principal défaut du reflet est qu’il est inversé. Dans un miroir, on voit le monde à l’envers. Ce que dit Paul, ce n’est pas que nous voyons le monde confusément, mais que nous voyons le monde renversé comme dans un miroir. Ce qui implique que si nous étions conscient de voir comme dans un miroir, nous serions capables de voir véritablement. Que nous pourrions dépasser le stade du miroir. — Aussi en ce sens : On peut se représenter la réalité dans sa totalité comme la somme de la conscience et de ce qui est subconscient (ou inconscient). On peut matérialiser l’interface qui les sépare et qui les relie par un miroir (ou une surface liquide). On aura alors un double mouvement : du conscient vers le subconscient, on marche vers le miroir dans lequel on se réfléchit jusqu’à ce que, arrivé à l’interface*, on passe de l’autre côté ; du subconscient vers le conscient : on se trouve alors de l’autre côté du miroir, comme derrière une glace sans tain ; et au passage du seuil de la conscience, l’Autre se rencontre avec l’Un qui contemplait son image à l’envers dans le miroir et dans cette coïncidence s’abolit la différence entre la réalité et son reflet.


*Le siège de l’âme se trouve au point de contact entre le monde intérieur et extérieur. Là où ils se traversent — il est à chaque point de passage.

Novalis, Semences.

mardi 30 août 2011

Petit dictionnaire de citations à l’usage des jeunes générations – Extrait 31

la LANGUE vivante

La condition primitive de la langue était d’être vivante ; or, dira-t-on que le fait de la réduire à être une langue absolument morte la conserve telle quel était et telle que ceux qui la formèrent l’ont transmise ? Par conséquent conserver un mot, une forme, une signification, une sonorité ancienne, etc., et bannir un mot ou une tournure barbare, une mauvaise orthographe, un sens mal appliqué, etc., autant de choses accidentelles et qui plus est changeantes, s’appellera conserver la langue. Ne dira-t-on pas alors que la spolier de ses facultés générales, essentielles et immuables, ce n’est pas la gâter et l’altérer, mais au contraire la conserver ? Ces qualités sont à mon sens immuables, du moins tant que la langue ne change pas effectivement de qualité et ne devient pas une langue morte. Les seules facultés immuables d’une langue sont celles qui constituent son caractère, lui aussi immuable. Les mots, les tournures, les significations, les orthographes, les inflexions, etc., ne sont pas immuables, mais varient selon l’usage. Ainsi nos braves puristes veulent rendre éternel ce qui est mortel dans le langage et détruire ce qui est immortel ou ce qui doit l’être si l’on ne veut pas radicalement la modifier.
 
Giacomo Leopardi, Zibaldone.

lundi 29 août 2011

Le dernier Debord (pour en finir avec le sujet)

[Je suis évidemment prêt à en discuter plus avant avec des gens informés et de bonne foi.]

Il faut préciser ce que nous entendons par : « dernier Debord ». Grosso modo, il s’agit du Debord postérieur à la liquidation de l’I.S. Mais déjà la fin de l’I.S. tel que la présente Debord pose problème. Le compte rendu triomphaliste qui en est présenté dans La Véritable scission ne tient pas la route. Ce qui est présenté par Debord comme la victoire d’une I.S. qui, ayant fait son temps, pouvait donc disparaître la tête haute — masque en réalité la décomposition de l’I.S. en bout de course, sauvée in extremis par la révolte de mai 68 qui venait opportunément confirmer, de manière éclatante c’est vrai, ses thèses. Il suffit pour s’en convaincre de lire le Débat d’orientation de l’ex-internationale situationniste publié en son temps par Denevert — que l’on n’a pu retrouver que tardivement dans la Correspondance (à sens unique) publiée par Arthème Fayard. Il y a donc le Debord de L’I.S. (et d’avant) et celui d’après. Cela fait toute la différence : il est certes resté le même mais il a aussi changé. Tant qu’a duré l’aventure situationniste et que Debord était entouré d’« égaux » — même si, comme il apparaît, il était plus égal que les autres — il faisait partie d’une communauté. Après la liquidation nécessaire de l’I.S. qui coïncidait avec une popularité qu’elle n’avait jamais connue ni recherchée, Debord c’est retrouvé seul avec une notoriété et une popularité qu’il avait, jusque-là, fuit. C’est-à-dire qu’il s’est retrouvé dans la position de quelqu’un qu’on recherchait pour une notoriété qu’il avait acquise en d’autres temps en combattant avec d’autres gens qui n’étaient plus là pour l’entourer puisqu’il s’en était séparés — où qu’ils étaient partis d’eux-mêmes, pour certains. Il ne s’est donc retrouvé entouré que de groupies. Mais les groupies finissent toujours par lasser ; même quand elles font montre d’une indulgence complaisante pour les caprices du « maître ». Je pense particulièrement à Jean-François Martos qui a pourtant préféré sacrifier son « ami » Jean-Pierre (Baudet) plutôt que s’aliéner Debord (qui avait pourtant tort sur toute la ligne quand il accusait Baudet d’avoir « debordisé » de façon provocatrice les propos d’Anders — mais dans quel but ? puisque Baudet était lui-même un admirateur de Debord et qu’il avait réussi à « se faire admettre » justement pour ses compétences en allemand, langue dans laquelle écrivait Anders, mais que ne possédait pas Debord). Ce ne serait qu’humainement pitoyable si ça ne venait pas de gens qui affichaient des prétentions qui les placaient d’emblé au-dessus de la simple humanité. Ce genre de comportement pose manifestement problème. Comme devrait poser problème, par exemple, l’alcoolisme invétéré de Debord qui semble aller de soi pour ses biographes puisque, aussi bien, celui-ci l’a revendiqué jusque dans la mort. On aurait pourtant pu (et dû) se poser la question de savoir si cette pratique, constante depuis sa jeunesse et quand bien même elle se situerait dans « les limite de l’excès », ne devait pas entraîner à la longue, en même temps que des séquelles physiques, des dommages intellectuels. On aurait ainsi considéré sous un autre jour que celui de l’arbitraire ou de l’intransigeance rebelle son comportement vis-à-vis de gens qui a priori n’avaient aucune raison de lui être hostile. De la même manière qu’on pourrait comprendre pourquoi il n’a jamais voulu (ou pu) répondre sur le fond à l’un de ses dernier « frère », Jean-Pierre Voyer ; ou fait détruire le manuscrit de Panégyrique 2 dont il ne reste que le squelette — et d’autres de ses écrits tardifs, sans doute. Encore une fois, ces interrogations me semblent légitimes parce qu’elles procèdent d’une volonté de rendre véritablement justice à Debord. Ce dont ne semble pas se soucier ses exécuteurs testamentaires et les supplétifs* qu’ils emploient occupés qu’ils sont de promouvoir une icône devant laquelle il n’y a plus qu’à s’incliner pieusement.

* Emblématique à ce titre, il faut citer son biographe, Vincent Kaufmann, qui écrit dans la Notice de présentation des Œuvres de Guy Debord (Quarto), section : Encore plus inaccessible, à propos de « Cette mauvaise réputation… » : « Ceux qui guettaient depuis longtemps les signes d’un déclin y ont carrément vu celui de son agonie : “Debord n’a plus rien à dire.” Au fait, ils ne croyaient pas si bien dire… »

dimanche 28 août 2011

Lectures – Rue des Maléfices (3)

Un champ d’humour (d’humour souvent noir d’ailleurs, ô André Breton !) nous entoure, nous pénètre — et, qui sait ? peut-être nous détermine —, de même que l’énergie dans la constante de Planck.

[…]

Entendez bien :

… Rien ne se passe que d’éternel.
Il n’y a pas eu de commencement.
Il n’y aura pas de fin.
IL Y A.

Jacques Yonnet, Rue des Maléfices.

vendredi 26 août 2011

Lectures - Rue des Maléfices (2)

Je tente de récapituler, de repenser Paris. Les convultions qui secouaient le monde semblent aux yeux des entêtés à courte vue qui les ravalent à l’échelle humaine, s’être atténuées pour une longue période. Je n’en crois rien. Nulle part je ne retrouve, dans ma ville tant explorée, tant interrogée, tant pénétrée, cet assoupissement, cette quiétude lasse, symptômes d’une paix durable. Les gens sont fatigués, c’est vrai. Fatigués et déçus. De tout ils ont marre. Pas la ville. Elle continue de frémir. […] —, il y a sous les pavés de la révolte en puissance. Il faiu s’attendre absolument à tout. / Les événements dont il m’a plu de fixer le souvenir ne sont que les plus spectaculaires manifestations de forces que l’on veut « obscures », par peur, par ignorance, par routinière bêtise. Mais c’est maintenant un fait incontestable que les moindres paroles, les gestes les plus anodins, prennent en certains lieux et à certaine heures une importance, un poids inusités, et suscitent des prolongements qui dépassent de beaucoup l’intention.

Jacques Yonnet, Rue des Maléfices.

jeudi 25 août 2011

Sollers / Debord

Sollers est « tombé amoureux » — littéralement — de Debord à la lecture de Panégyrique*. Depuis cette « révélation », il est devenu une sorte d’autorité en la matière : pour Debord ? Voyez Sollers. Pourtant Debord méprisait Sollers ; il a bien essayé de le rencontrer, lui a fait toutes les avances : en vain. Ce qui n’a pas découragé « l’amoureux éconduit ». Hélas, il devra attendre la mort du « Grand Subversif », pour être reconnu par la « famille » ; c’est ainsi qu’il pourra consacrer un (mauvais) film à son « idole ». Passons. La question intéressante, en l’occurrence, est : pourquoi Sollers a-t-il « découvert » Debord avec Panégyrique ? La réponse est simple ; parce qu’il s’est reconnu dans ce Debord-là. Ce qui, en tout état de cause n’est pas à mettre au crédit de Debord : c’est qu’il en était donc arrivé . Ce que d’autres épisodes de sa « dernière manière » confirment. Nous en reparlerons (certainement).

* Je renvoie le lecteur (bénévole) à : Lettres à Philippe Sollers, Chroniqueur Mondain, et à quelques autres, que l’on peut consulter sur le site de Franc Einstein :


à la rubrique : Archives du Debord(el).

Petit dictionnaire de citations à l’usage des jeunes générations – Extrait 30


la maturité du SUICIDE

Quand viennent les premières déceptions, on savoure à longs traits le dégoût de la vie, on est une tête brûlée de la mort, et on est prêt, sans difficulté, à tout sacrifier à l’instant. Ce n’est que plus tard qu’on acquiert cette maturité gourmande du suicide, et on reconnaît qu’il est toujours mieux d’avoir la mort devant soi, que la vie derrière soi.
 
Karl Kraus, Dits et Contredits.

mercredi 24 août 2011

Une chanson du temps passé 5


Suicide is painless

Through early morning fog I see
The visions of the things to be
The pains that are withheld for me
I realize and I can see

That suicide is painless
It brings on many changes
And I can take or leave it if I please

The game of life is hard to play
I'm gonna lose it anyway […]

mardi 23 août 2011

Le système Sollers


Revenons brièvement sur le cas Sollers pour ce qu’il a de symptomatique et d’exemplaire — et à ce titre c’est un modèle. Le système Sollers est aussi une méthode que l’on peut résumer en une phrase : m’as-tu vu ? et qui consiste principalement dans une posture. Rien de plus facile en apparence. Vous choisissez une personnalité éminente dans son domaine. Vous posez pour la photo à ses côtés. Vous répétez la chose autant de fois que vous le souhaitez avec autant personnalités choisies qu’il est nécessaire pour constituer une galerie. Il s’agit d’en mettre plein la vue : d’épater avec la galerie, en somme : m’as-tu vu en petit marquis sadien ; m’as-tu vu en célinien gourmand ; m’as-tu vu en debordien de la dernière heure ; m’as-tu vu en nietzschéen farouche. Le but immédiat est évidemment de s’égaler à ces à ses personnalités éminentes ; le résultat à long terme, qu’on en vienne à se demander : mais qui est donc ce quidam à côté de Solllers ?

Lecture 7 - Le temps pour rien


Ce n’est pas pour rien qu’il existe tant de bistrots dans Paris […]. Ce n’est pas tellement pour boire que tant de gens y sont tout le temps fourrés. C’est pour se rencontrer, se réunir, se rassembler — se rassurer. Oui, se rassurer : les gens s’emmerdent tout le temps, et ils ont la trouille, la trouille de la solitude et de l’ennui. Et puis ils portent tous dans leur au-dedans leur bonne petite trouille-maison : la peur de la mort, tous autant je m’enfoutistes qu’ils aient l’air. Pour ne pas y penser ils feraient n’importe quoi. N’oublie pas que c’est avec cette trouille-là qu’on a bâti tous les temples et toutes les églises. Alors dans les villes comme celle-ci où quarante races se mélangent, tout le monde découvre toujours quelque chose à se dire. Mais voilà ce qu’il faut que tu saches : quand tu te trouves dans un troquet, que tu as décidé d’y revenir souvent, d’y rencontrer tes potes, si tu veux t’y tenir à l’aise et ne pas trouver au mauvais moment de cailloux dans l’engrenage, colle-toi dans un coinsteau, fais ta correspondance, lis, tâche de casser la croûte sur place et observe ce qui se passe pendant une grande journaille. Au moins deux fois dans le jour, et trois fois si ton bouchon est ouvert la nuit, il y a un moment du « temps pour rien ». C’est tout les jours à la même heure et à la même minute ; mais ça change suivant les endroits. Les gens parlent, ils se racontent leurs trucs, ils trinquent, et, paf ! la seconde de silence, où tout le monde reste immobile, le verre en l’air et les yeux arrêtés. Tout de suite après le boucan remet ça ; mais ta seconde où rien n’arrive, elle peut durer des cinq, des dix minutes. Et pendant ce temps-là, dehors et partout ailleurs, la vie, la vie des autres continue plus vite, beaucoup plus vite, comme une avalanche. Si tu es prévenu et que tu profites de ce moment-là pour ne pas lâcher les pédales et dire ton mot, tu es sûr d’être écouté, et même obéi si c’est nécessaire. Tu verras : fais-en l’expérience. / C’est absolument vrai.

Jacques Yonnet, Rue des Maléfices.

[Il faudrait évidemment mettre un sérieux bémol à l’acquiescement de Jacques Yonnet aux propos que lui tient Danse-toujours, si on voulait les rapporter à l’époque présente : L’Assassinat de Paris n’a pas épargné les bistrots ; et on aurait du mal à trouver, à Paris — ou bien ailleurs —, des endroits où tenter l’expérience dont il est question.]