samedi 23 juillet 2011

La Déesse Blanche - Archive 1

J’AI VU LA DÉESSE BLANCHE AGENOUILLÉE DANS LE GRAND SARCOPHAGE DE PIERRE DE MONTSÉGUR. — La journée était au vent et à la pluie qui tombait à verse et glacée, entrecoupée de brèves plages ensoleillées, bientôt submergées par la vague déferlante des nuages belliqueux qui balayaient sans répits le ciel de mars finissant.

Dans la matinée, nous avions fait halte à Foix pour visiter le château de Gaston Phébus, aux pieds duquel nous étions passés longtemps sans nous arrêter. Comme nous nous apprêtions à nous diriger vers la citadelle, je remarquais dans la vitrine d’un magasin de Vins et Spiritueux, parmi les bouteilles rutilantes, voisinant celle d’un chevalier en armure, une statuette de pierre qui représentait une chouette — l’oiseau de Minerve qui ne prend son envole qu’à la nuit.

Plus tard, lorsque nous réprimes la route, je devais me souvenir d’avoir aperçu, la veille, le même oiseau de Minerve, posé derrière l’épaule d’un artiste de variété réputé pour son éthylisme, auquel la télévision consacrait ce soir là une émission commémorative de la mort. Et je me pris à regretter d’avoir négligé un signe qui venait de m’être adressé là pour la seconde fois.

Nous arrivâmes en vue de Montségur qui se dressait tel un gigantesque gnomon planté sur le cadran muet d’un paysage de neige où ne s’inscrivaient que les sombres figures des premiers contreforts pyrénéens Le vent qui soufflait avec violence semblait vouloir nous dissuader d’entreprendre une ascension hasardeuse. Mais, comme nous progressions malgré tout vers le sommet, passant outre ses injonctions, les nuages commencèrent à se déchirer, et le soleil jaillit sur l’azur éclatant.

Dans l’enceinte du château encore à demi plongée dans l’obscurité, non loin de l’entrée, un couple improbable s’entretenait gravement que notre arrivée avait dérangé — et sûrement ils savaient le secret, qu’il devaient garder, et qu’ils ont emporté lorsqu’ils sont partis sans que nous nous en apercevions, de cette femme nue modelée dans la neige qui s’offrait à nos regards incrédules, au centre de la cour, assise sur les talons comme une pénitente, et qui semblait attendre que le soleil descende pour la relever du long sommeil au fond duquel peut-être elle nous rêvait. Mais déjà le ciel parjure s’était assombri : cette éclaircie providentielle n’était qu’une promesse qui ne serait pas tenue.

Et pendant que nous redescendions, pressés par la bourrasque, il referma brutalement ses paupières lourdes de nuages, aveuglant l’œil du soleil. Sur le chemin du retour la pluie retombait. À Foix, je suis allé dans cette boutique si pleine d’esprit acheter la statuette — et une bouteille de vin aussi, que nous bûmes en rentrant — qui fait office de serre-livres à présent, et que je regarde le soir avant de m’endormir — et sans doute elle m’observe, elle aussi, de ses grands yeux qui traversent la nuit, pendant que je voyage en rêve vers le château de la Déesse Blanche.

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