jeudi 28 juillet 2011

La Conférence de l’Institut de Préhistoire Contemporaine - Épisode 6

Yves Tenret : Bien vu ! C’est exactement le même problème.

Dynamite : Mon insatisfaction porte sur le fait que l’on parle de l’insatisfaction au lieu d’essayer d’y mettre fin. Tu m’as assommé de sarcasmes, traité de boy-scout. Sembene a répondu que ta position, qui est aussi celle de Noyé, est de la thérapie de groupe. Je suis contre ce débat et contre tes paradoxes, tes pirouettes, tes tours de passe-passe. Des verres s’entrechoquent. Le gros des troupes trinque.

Yves Tenret : Excuse-moi Dynamite. D’un coup, les gens parlent tous. Je n’ai pas pu saisir ce que tu as dit. Qu’est-ce que tu combats ?

Dynamite : Cette position-là !

Yves Tenret : Quelle position ?

Dynamite : De débattre de notre insatisfaction. Je suis contre. Cela ne va nous mener à rien. Ce serait lâche de ma part de vous laissez continuer. Je suis prêt à mettre mes couilles sur la table pour ne pas sortir d’ici totalement insatisfait. Donc, toi, comme tu veux qu’on sorte insatisfait...

Yves Tenret : J’aurai gagné et je pourrais afficher une vieille paire de couilles au-dessus de ma porte !

Dynamite : Tu auras gagné. Mais, attention, je ne veux pas sortir comme les gens qui sont satisfaits d’eux-mêmes en disant : « Bon, j’ai résolu tous mes problèmes, je peux rentrer chez moi content ». Je veux sortir satisfait en constatant que nous avons commencé à combattre ma propre misère. Si tu appelles ça du boy-scoutisme eh bien je suis un boy-scout. Je ne veux pas parler de problèmes plurimillénaires et irrésolvables.

Raouf : Que l’on sache au moins au bout de quinze jours ce sur quoi on est, ou pas, d’accord, que cela ne reste pas dans un flou artistique, qu’on sache qui est qui. Rester dans l’abstraction, c’est empêcher beaucoup de gens d’intervenir alors que si on entre dans le concret, le pratique, le terre-à-terre, leurs problèmes, ils pourront en parler.

Noyé : Mais qui veut que la conférence ne s’exprime qu’en termes abstraits ? Moi ?

Raouf : Qui, je ne sais pas. Mais je sais que l’abstraction, c’est comme un cerf-volant, toujours plus haut et toujours hors de portée de la conférence.

Noyé : Pourtant tu en parles là !

Sembene : Véronique a dit qu’il y a parmi nous des gueules qui ne lui revenaient pas. Et alors ? Nous ne sommes pas ici pour se plaire les uns aux autres. C’est ça qui serait justement bien : Qu’on se dise ce qui d’habitude ne se dit pas !

Noyé : Je ne vois toujours pas en quoi on n’est pas d’accord. J’ai glorifié le fait que la conférence ait réussi à être négative. Et je ne m’en contente pas !

Sembene : Que tu dis ! Noyé : Brékékékex koax koax ! Brékékékékex koax koax ! Voilà ce que je te réponds. Et en grec ! Je coasserais toute la journée s’il le faut. Brékékékéx koax koax ! (Il s’étrangle de rire, tousse, reprend difficilement son souffle). Je finirais bien par vous clouer le koas à tous. (Il se remet à rire tout seul). Ce ne sont pas des bredouillardises ça, ni du Libéramerde ou de l’Immonde !

Raouf (en aparté, à voix basse à Yves Tenret) : Je suis d’accord avec Sembene. Et toi ?

Yves Tenret (Fort) : Ce que tu es grégaire !

Raouf : Pourquoi tu me traites comme ça ? Parce que je suis noir ?

Yves Tenret (Ecœuré) : C’est ça, ouais, c’est ça, t’es grégaire parce que t’es noir...

Raouf : Mais Sembene est mon frère !

Yves Tenret : Et alors ? J’en ai pas de frère moi. Fais comme tout le monde : affronte ta solitude.

(Il crache sur Raouf).

Raouf (hurlant) : Il m’a craché dessus !

Yves Tenret (surpris, effaré) : Comment ça ? Je t’ai craché dessus moi ?

Raouf (triomphant) : Il m’a craché dessus, c’est un raciste !

Yves Tenret hausse les épaules et lui tourne le dos en croisant ostensiblement les bras devant lui. Brouhaha généralisé. On entend : Il faut l’expulser ! Tapes-le ! Raouf empoigne un bras de Yves Tenret, celui-ci se dégage et fait face. Il n’y a plus un bruit. Ornas s’interpose. Jacques leur sert à boire en plaisantant de façon inaudible. Cela se calme lentement.

Raouf : Tu as de la chance, mon vieux, moi, je suis un type qui ne se bat pas. Mais ne crois pas que tu vas t’en sortir à si bon compte.

Chœur des femmes : Il est raciste ! Il faut l’expulser ! Noyé (calmant d’une main les clameurs des harpies) : Ou nous faisons avec lui ou nous ne lui parlons plus.

Paolo : Faisons comme s’il n’était pas là. Rien ne nous en empêche. Assumons-nous ! Je ne me sentirais pas stalinien en le sortant.

Dynamite : Votons !

Paolo : Non ! Sortons-le d’abord.

Noyé : Votons. Qui est pour voter ?

Dix mains se lèvent timidement.

Noyé : La question est réglée : on ne vote pas et il reste.

Dynamite : Ce n’est pas possible. Il faut que la conférence prenne une décision.
Paolo : Notre groupe va enfin avoir une identité.

Noyé : Tu veux rire ? Il n’y a jamais eu de groupe et ceci en est la preuve.

Paolo : Bon, qui veut me nommer délégué pour que je le fasse sortir ?

Rires nerveux chez les Centre et Nord-américains, rire lourd de menaces contenues.

Brame : Y a-t-il d’autres propositions ?

Joan : Oui ! Partons tous et laissons-le seul ici.

Noyé : Moi, les exclusions ça me répugne mais ce n’est pas une position absolue donc je me rangerais à l’avis de la majorité.

Antoine : Dans un quart d’heure, il se taira tout seul.


Rire dément de Yves Tenret qui se lève, toise l’assistance, ne rencontre que des regards fuyants, fredonne « Viva La Quince Brigada » et se dirige vers la sortie.

Paolo : Attends ! On le chasse sans avoir voté. C’est antidémocratique.

Ornas fonce et sert un verre à Yves Tenret qui rejoint sa place et se remet à boire.

Joan : Mais lui non plus n’est pas démocratique.

Yves Tenret (théâtral) : Je sors ! C’est ça que vous voulez ? Je peux le faire !

Dynamite : Demandons-lui poliment de sortir.

Noyé (exaspéré) : Il ne le fera pas ! Ça fait au moins cinq fois qu’il dit qu’il va sortir !

Dynamite : C’est bien vrai qu’il ne sort pas.

Noyé : Patience. Tout arrive à qui sait attendre !

Rires et insultes.

Joan : Démocrate ou pas, qu’est-ce que ça change ? Il faut se prononcer. On veut de lui ou non ?

Noyé : Votons !

Paolo : Alors allons-y !

Eurydice : Sortons-le sans voter ! Il ne mérite pas qu’on vote.

Noyé : Non ! Moi, je m’y oppose.

Fabiola : Demandons-lui de sortir.

Auguste : Je suis aussi pour cette proposition.

Dynamite : Moi aussi.

Brame : Votons à main levée.

Paolo : D’accord. Je vais expliquer mon vote...

Tom : Moi je m’abstiens !

Paolo : Riendeplussimple. Il faut l’évacuer parce qu’il nous empêche de communiquer entre nous.

Noyé : Ce n’est pas évident. Oui et non. Bordel, qu’est-ce qu’on fait d’autre à présent que de tenter de communiquer ? Pour la communication, nous sommes dans un jour faste !

Paolo : Mais pas du tout, du tout. Depuis qu’il est là, je n’ai pas dit un seul mot !

Joan : Il nous a empêchés de traiter plein de questions intéressantes.

Noyé : D’accord mais...

Auguste : Tout ça est faux. Il nous sauve. Nous avions un besoin urgent de sa présence !

Noyé : C’est vrai que depuis qu’il est là je ne vois plus le temps passé. Ceux qui ont refusé de voter pour qu’il sorte, ont-ils une contre-proposition à faire ?

Jacques : Pour moi, c’est clair, je ne veux pas qu’il sorte. On lui reproche de nous avoir empêché de communiquer mais jusqu’à présent la conférence a tenté de le faire sans arrêt sans jamais y parvenir. Disons que les uns empêchaient les autres de communiquer. Je ne vois donc pas pourquoi on demanderait à Yves Tenret de sortir pour cette raison. On n’a pas exclu avant ceux qui m’empêchaient de communiquer, non ? Ce n’est pas un motif recevable, suffisant. J’ajouterais que je n’apprécie pas du tout son actuel état d’ébriété.

Paolo : Vous faites comme vous voulez mais chez nous quelqu’un qui viendrait comme ça nous vomir sur la gueule finirait au cimetière.

Noyé : On mélange tout. Discute-t-on du fait qu’il nous empêche de communiquer ou du fait qu’il insulte et vomit sur les gens ? Je conteste qu’il nous empêche de communiquer.

Jacques : Bravo !

Dynamite : Il faut l’empêcher de communiquer lui !

Rires.

Joan : Oui, il est raciste.

Yves Tenret : Pas du tout ! Regarde-moi quand tu me parles, beauté farouche ! Je ne suis pas raciste.

Fabiola : De l’ordre, s’il vous plaît ! Si tout le monde parle en même temps, les gens comme Jerry qui n’ont pas de voix ne pourront pas se faire entendre. Je ne veux pas crier.

Yves Tenret : Profites-en pour te taire alors !

Jacques : Ce sont les sujets abordés jusqu’à ce qu’enfin Yves Tenret vienne qui m’empêchaient de parler. Nous n’avons aucune raison de l’exclure !

Noyé : Je suis contre les insultes entre gentlemen, contre les personnes qui crachent sur d’autres personnes. Si on doit l’exclure, c’est pour ça mais on peut aussi le prier de présenter des excuses. En tout cas, on ne peut pas l’exclure parce qu’il nous empêche de communiquer.

Yves Tenret : Allez-y ! Ne vous gênez pas pour moi ! Faites comme chez vous ! Lynchez-moi ! Je ne suis même pas de la section suisse, n’ayez pas peur, personne ne va me défendre, je suis tout seul. Allez-y, sortez la corde !

Ariel : Moi je me range à l’avis de Jean-Luc ; on ne peut l’exclure mais pas au nom de la communication.

Maurice : Mais il est saoul ou pas ?

Noyé : Il a l’air de l’être un peu.

Maurice : Tu lui donnes encore à boire et il va dormir !

Gloussements.

Noyé : Voilà encore une autre solution !

Yves Tenret : C’est ça ! Donnez-moi à boire et je vais dormir pour vous faire plaisir.

Antoine : On discute, on discute, ça s’éternise alors qu’il n’y a qu’une solution : il faut le vider.

Yves Tenret : Vas-y. Montre l’exemple. Donne-moi un coup de pied dans la gueule. Ou dans les couilles si tu préfères.

Antoine : S’il reste cela veut dire que n’importe qui peut insulter qui il veut.

Yves Tenret (à la cantonade) : Il est encore plus nul que les autres celui-là !

Sadoc : C’est un provocateur envoyé par les flics ou par Debord pour saboter notre conférence. C’est pour ça qu’il s’est saoulé, pour se donner du courage, pour assumer ce qu’il devait faire. On ne peut pas le laisser repartir en pensant qu’il peut venir ici et insulter les gens...
Raouf : Impunément !

Brouhaha de satisfaction. Voix guerrières. Beaucoup de cris.

Joan : Il faut se faire respecter !

Noyé : Mais on se fait respecter.

(À suivre)

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