Comme on le voit, les choses se présentaient plutôt bien pour Jean-Pierre. Enfin, jusqu’à ce que paraisse le premier volume de la Correspondance des éditions susnommées ; et qu’éclate « l’affaire » — la catastrophe. On trouvait dans cet ouvrage, en fin de volume, une série de lettres envoyées à Gérard (Lebo) par Jean-Pierre où il lui exposait ses dernières élucubrations — auxquelles, soit dit en passant, le pauvre Gérard n’a pas dû comprendre grand-chose — mais ce n’est pas le sujet — ; or, arguant fallacieusement du délai d’impression, l’éditeur avait tronqué cette correspondance à laquelle il manquait ainsi quatre lettres — de plus, il ironisait, dans une Notule conclusive, sur le malheureux Jean-Pierre qui : « Tandis que ce livre était déjà chez l’imprimeur […] continuait d’adresser à Champ Libre des lettres du même genre, également sans réponse. » On comprendra aisément que Jean-Pierre n’ait pas très bien pris la chose (c’est un euphémisme). Furieux, l’Oberdada Hegelsturmführer V. — c’est ainsi qu’il aimait parfois à se présenter, modestement, et non sans humour — somma D. de se désolidariser immédiatement de son éditeur et de rompre séance tenante avec l’immonde falsificateur (juif). Mais, voilà, Guy fit la sourde oreille : silence radio. Fou de rage, Jean-Pierre se fendit d’un libelle vengeur — FIN du situationnisme paisible — où il dénonçait à la face du monde — en fait du « petit milieu » philositu qui seul s’intéressait à la chose — l’abominable falsification dont il était victime de la part des deux « complices ». C’est ainsi que prit FIN, en même temps que le « situationnisme paisible », les relations entre Jean-Pierre et Guy ; et que débuta l’attaque du camp « marxo-situationniste », retranché dans le Champ Libre qu’il allait pilonner sans merci jusqu’à sa destruction par « de braves ouvriers parisiens ». Mais, on était encore loin d’avoir tout vu — ni entendu
Le 5 mars 1984, Gérard L. est retrouvé assassiné de quatre balles dans la tête dans un parking parisien — dans la plus pure tradition du film noir — ce qui aurait dû aiguiller la police vers un certain « milieu » plutôt que vers l’entourage situ de l’impresario des stars du cinéma français ; mais les voies de la police sont aussi difficilement pénétrables — et néanmoins prévisibles — que celles de Dieu (qui n’existe pas). En apprenant la nouvelle Jean-Pierre explosa littéralement de joie : ainsi le Destin n’avait pas permis qu’un falsificateur (juif) l’emporte au paradis (des chrétiens). Il voulait, on le comprend, faire partager son bonheur au monde entier. Il réussira un joli coup en faisant publier par Libéramerde (J.-P. V. dixit), dans son courrier des lecteurs, un bel échantillon de sa prose vengeresse.55
Voilà. J’en aurais terminé avec le Supplément (gratuit) à cette Histoire désinvolte, mais néanmoins documenté, si je ne devais y ajouter encore un Appendice — je sais, ça commence à faire long — ; parce l’Histoire que j’ai entrepris de raconter n’est pas encore arrivée à son terminus et que je suis bien décidé à l’y mener coûte que coûte avant de vous laisser descendre : il en va de la Vérité (historique) avec laquelle on ne transige pas — la vérité, toute la vérité, rien que la vérité : je le jure.
Nous venons d’enterrer Gérard-le-Magnifique 56 ; il nous faut encore assister à la liquidation du Champ Libre. Ecoutons J.-P.-Hegelsturmführer-V., lettre au R. P. D., jésuite : « Vieux pédé, alors que je passais par hasard dans la rue Saint-Sulpice, je pus assister à la démolition de la boutique du falsificateur juif L[.] Quelle délicieuse surprise. Braves ouvriers parisiens ! J’aurai donc survécu à la mort du falsificateur, à la mort de sa femme, à la disparition des Éditions Champ Libre, à la disparition des Éditions Gérard L[.] Quelle hécatombe ! […] »57 Que dire de plus ? Pourtant, le bonheur de V. ne pouvait être complet tant que le « gros Guy » — qui ressemblait, c’est vrai, de plus en plus à Coluche, après qu’il eût été le sosie de Philippe Noiret — n’était pas crevé lui aussi ; et continuait de se goberger en toute impunité dans sa gentilhommière. Mais tout arrive à son heure à qui sait attendre. Le 30 novembre 1994, « Atteint de polynévrite alcoolique », Guy D. se fait « sauter le caisson » — comme on dit en romanesque noir : en fait il s’est tiré une balle dans le cœur — « dans sa propriété de Champot, près de Bellevue-la-Montagne en Haute-Loire ». La Presse (qui ment) rendra un hommage (quasi) unanime au dernier des situationnistes — qui était aussi le premier ; tant il est vrai que si, comme le dit l’adage : « Les derniers seront les premiers », l’inverse se vérifie également — en l’occurrence, en tout cas.
« Rideau »58 donc, comme l’écrira (vite fait, mal fait) le graphomane incontinent Marc-Édouard N. — dit le nabot —, grand ami de Jean-Pierre. Quant à Jean-Pierre, il faut maintenant en finir avec lui aussi, pour mettre le point final — c’est promis — à cette Histoire désinvolte mais néanmoins véridique du « situationnisme » qui s’éternise.
(À suivre)
(À suivre)
Notes
Note 55.
Libération, jeudi 15 mars 1984, Courrier : « Chiant Libre. Le bruit et le führer. INSTITUT DE PRÉHISTOIRE CONTEMPORAINE. Boite postale 20 75221 Paris Cedex 05. A Madame Hélène Hazema, Journapute à Libéramerde, Paris le 8 mars 1984, Chère Madame, comme vous avez pu le constater, le destin n’a pas permis qu’un falsificateur demeure l’éditeur de Jacques Mesrine. Quel que soit l’instrument de ce destin, il est bon qu’une telle infamie n’ait pu se maintenir. Il est bon que parfois certains morts ne puissent être bafoués impunément. Je ne suis pas, Madame, votre serviteur. Oberdada Hegelsturmführer VOYER » : « Ah! Qu'en termes galants ces choses-là sont mises ! »
Note 56.
« G. Lebovici / né le 25 août 1932 / Assassiné le 5 mars 1984 — Quel ami pour ses amis ! / Pour ses gens et parents / Quel seigneur / Quel ennemi pour l’ennemi / Quel chef pour les intrépides / Et constants / Quel jugement pour les sages ! / Pour les plaisants quelle grâce ! / Quel grand sens ! / Bénin pour ses dépendants / Mais pour les méchants hardis / Quel lion » (Epitaphe sur la tombe de Gérard Lebovici, le poème qui y figure — à l’initiative de Debord — est tiré des Stances sur la mort de mon père de Jorge Manrique, Traduites du Castillan par Guy Debord, Champ Libre, 1982
Note 57.
Lettre du Hegelsturmführer Voyer au R.P. Debord, jésuite. (Jean-Pierre Voyer, Limites de conversation, Editions Anonymes, 1998.)
Note 58.
Rideau, Le Rocher, 1992 ; livre de Marc-Edouard Nabe, ami et admirateur de Voyer. Cet intarissable pisse-copie se garde pourtant bien de citer une seule fois son nom. C’est beau, l’« amitié ».
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