SUPER LES MECS, GÉNIAL, LES FILLES, VOILÀ LA SUITE !
Raouf : L’esprit est là, non ?
Ornas : Ce n’est pas un postulat de départ mais un enjeu.
Noyé : Sembene n’était pas content de ce qui se passait dimanche, c’est son opinion personnelle et il a le droit de nous la communiquer.
10 secondes d’un silence perplexe.
Paolo : Parier pour parier, je propose qu’on mise sur la satisfaction.
Noyé : Tu veux donc aussi le droit à la satisfaction ?
Paolo : Oui mais nous serons peut-être 39 satisfaits contre un insatisfait.
Noyé : Moi contrairement à Sembene, je vois à l’œuvre dans la conférence une méthode et des progrès. Je suis donc satisfait.
Paolo : Une méthode oui mais les progrès sont inexistants.
Noyé : Les progrès sont prodigieux !
Paolo : Relatifs, tu veux dire ?
Noyé : Prodigieux, inouïs. Je vais sans doute être démenti d’un moment à l’autre mais voilà c’est mon opinion.
Yves Tenret : Et la mienne c’est que c’est bien toi, Dynamite Palmas qui m’a fait penser au scoutisme.
Dynamite (ulcéré) : Au scoutisme !
Yves Tenret : Oui, tu es extrêmement positif.
Il proteste véhémentement.
Yves Tenret (s’adressant à tous) : C’est par générosité que je dis ça. Il ne comprend pas. Je veux être généreux avec vous. Je veux vous apporter quelque chose et comme je suis venu les mains vides, il ne me reste que mon opinion à vous offrir. Et mon opinion, Dynamite, est que même si tu es sans doute généreux toi aussi, ta confusion masque tout.
Dynamite (perdant les pédales) : Pourquoi ? Mais pourquoi ? Précise ce que tu penses.
Yves Tenret : Tu es positif. Que dire de plus ?
Dynamite : Qu’est-ce que ça prouve ?
Yves Tenret : Pourquoi tu le prends mal ? Boy scoutisme, ce n’est pas une insulte.
Dynamite (résigné) : Je sais, oui, je sais.
Yves Tenret : J’essaye juste de vous aider à lever tout l’implicite qui vous encombre les bronches, qui vous empêche de respirer. Je sais que vous voulez fonder objectivement cette conférence alors allons ensemble vers l’objectivité. Il n’y a pas de jugement de valeur dans mes interventions. En plus, (je tire avidement sur ma clope), comme je ne peux pas fumer, je deviens de plus en plus nerveux et je dois certainement dire parfois un peu n’importe quoi.
Dynamite : Moi, j’ai une vision négative du scoutisme.
Yves Tenret : Pourquoi tu ne t’aimes pas ? La haine de soi, c’est moche. Tu vois le scoutisme comme un encadrement de type militaire mais c’est aussi un mouvement qui permet aux enfants de partir ensemble en vacances et dans lequel on apprend à faire des b.a.
Dynamite : Pour moi, il n’y a pas de positif sans négatif et bien sûr, je préfère le négatif. Par contre, je me méfie des abstractions.
Yves Tenret : J’adore les abstractions !
Noyé (exaspéré, balayant tout ça de la main) : Revenons à l’implicite. C’est bien d’avoir des positions contraires comme Sembene et moi, de savoir trancher, de dire oui ou non, il y a une méthode, il n’y a pas de méthode, il y a du progrès, il n’y en a pas...
Dynamite : ...il y a des gens satisfaits...
Noyé : ...et des insatisfaits.
Maniaque (s’adressant à Yves Tenret) : Tu as dit que la question du terrorisme ou des sectes devait être posée ?
Yves Tenret : Oui, il faut étudier tous les groupes existants dans le genre du votre.
Maniaque : Véronique t’a répondu que c’était sans intérêt, que ça avait été déjà débattu tellement de fois ! Mais moi je crois que l’histoire des groupes autonomes dans le mouvement alternatif t’intéresse sincèrement.
Maniaque : Véronique t’a répondu que c’était sans intérêt, que ça avait été déjà débattu tellement de fois ! Mais moi je crois que l’histoire des groupes autonomes dans le mouvement alternatif t’intéresse sincèrement.
Yves Tenret : Pas du tout ! Ma question est : Qu’est-ce qu’un individu, qu’est-ce qu’un groupe ? Ça ne va pas de soi pour moi. Ou pour le répéter autrement : pourquoi suis-je ici ? Etre debout si tôt et parler avec des gens, c’est incroyable ! Je ne suis pas un membre de votre confrérie. J’espère que tout le monde le sait. Je suis ici un peu par hasard. Si ma solitude reste ce qu’elle est d’habitude qu’est-ce que je fais ici ? Je vous donne tout ce que j’ai. Et vous, vous me donnez quoi ?
Noyé : C’est à cause de questions comme ça que je combats les terroristes. Ils ne posent pas des bombes pour faire sauter le monde mais pour être ensemble. Tout leur engagement se résume à ça : être bien ensemble.
Yves Tenret : Voilà, c’est exactement ça mon sujet !
Noyé : Ces gens ne font rien d’autre que ce que nous faisons ici. Ils prétendent faire le contraire, lutter pour les prolétaires, vouloir délivrer le monde mais ils font tout ça simplement pour être bien ensemble et ils le sont en plus. Ils y arrivent un certain temps, je pense et je l’espère.
Yves Tenret : Quand j’avais 18 ans, j’étais barman dans un bar de truands et je n’en suis pas devenu un parce que j’ai vite compris que toutes leurs activités de hors-la-loi n’avaient pour but que de rester ensemble. Ils étaient aussi grégaires que les flics. C’était une année avant mon service militaire et eux me proposaient sans arrêt de participer à de petits coups, faire le guet, etc. J’ai toujours refusé parce que je sentais bien que la finalité de leurs actions n’était pas un en-soi. C’était en 1967-68. Certains faisaient des braquages juste pour flamber, payer du champagne au 18 Blue Bell Girls of Paris et ensuite le raconter cinq cent fois à leurs potes maquereaux. Les groupes existent... Jean-Luc parle des terroristes comme moi je parlerais du milieu tard le soir dans un bistrot à une gonzesse que je voudrais emballer. Je ne pense rien des terroristes. Je n’ai jamais eu aucun rapport avec eux. Je n’en ai jamais vu. Est-ce qu’ils existent ? C’est des histoires dans les journaux. Mais je connais les truands de l’intérieur. Ils veulent juste être ensemble et frimer !
Maniaque : Pourtant c’est un scandale que nous soyons là tous ensemble. C’est le plus gros, le plus énorme des scandales. Et ce qu’il y a au-dessus... Il montre le plafond.
Yves Tenret : Partons du principe qu’il n’y a rien au-dessus.
Maniaque : On ne peut pas évacuer...
Yves Tenret : Vous avez vraiment tous un problème avec l’abstraction ! Tu as vu L’Age d’or de Bunuel ?
Maniaque (stupéfait) : Il y a longtemps.
Yves Tenret : Imagine que l’escalier d’accès à cet endroit se soit effondré... Il n’y viendrait plus de gymnaste et on pourrait enfin fumer ! (Rires nombreux, certains hystériques). On est bloqué ici et comme j’ai un paquet neuf de Gitanes sans filtre, on peut tenir un bon moment...
Maniaque : Mais alors pourquoi tu nous as demandés si nous avions évoqué le terrorisme ?
Yves Tenret : Parce que c’est un milieu hiérarchisé et que tu ne peux pas juste venir ici et dire : voilà je suis venu me soumettre à un chef, je veux un père. Les rares fois où j’ai participé à ce genre de choses, j’étais le chef et j’étais content. Je disais : voilà 50 tracts, 100 tracts, tu va à tel endroit, tu les distribues (il claque des mains) et ça marchait admirablement bien. Je ne crache pas dessus mais je m’étonne que des pros, des gens à votre niveau de conscience n’aient pas commencé par discuter de ça avant d’entamer le reste.
10 secondes d’un silence menaçant.
Noyé (jouant son va tout) : Maniaque dit que c’est un scandale que les gens se rencontrent... heu... n’arrivent pas à se rencontrer... et l’acceptent...
Maniaque : C’est abstrait...
Yves Tenret : Mais qu’est-ce que tu as contre l’abstraction ?
Maniaque : Je l’aime bien mais du côté positif, du côté de la trigonométrie.
Sembene (à Noyé) : Hier, tu disais que ceux qui parlent le plus sont les plus insatisfaits.
Noyé : Je n’ai pas dit ça. C’est même moi qui aie proposé le droit au silence.
Sembene : Passons. Mais comment éclaircir ce qui ne se dit pas ? Trop de choses restent tacites.
Noyé : C’est pour éviter cela que j’ai souvent proposé des votes. Qui pense ci ? Qui pense ça ?
Brame : Les gens qui se taisent ont leurs raisons de le faire.
Sembene : Il y a ici des conflits essentiels dont nous ne parlons pas. C’est comme au-dessus de nous, au rez-de-chaussée, à l’extérieur où les gens sont finalement contraints à ne pas parler, à ne pas s’exprimer, à ne pas communiquer du tout, sauf sous les façons autorisées par la loi. On perçoit ce qui se passe entre nous à travers des choses qu’on n’a pas laissées aux vestiaires en rentrant ici. C’est là que les Américains sont intéressants. Toi, Jean-Luc, tu critiques l’économie au nom de la communication mais ils sont déjà à la critique de la communication elle-même.. Nous sommes 40 personnes qui viennent de 30 pays différents, c’est émouvant. On a tous ressenti la nécessité de venir toute affaire cessante se parler directement. Ce n’est pas suffisant. Il y a quand même chez nous des restes de bolchevisme. Il faut mettre ça sur le tapis.
Laurent : Oui. Tout ce qu’on a d’étatique, de bolchevique, d’orthodoxe dans la tête.
Noyé : Yves Tenret est arrivé ici et a immédiatement communiqué son malaise, beaucoup plus vite que l’assemblée qui a mis 8 jours pour prendre conscience des même choses. Maintenant l’implicite et le ça va de soi me prennent à la gorge. Mais j’ai l’impression que Sembene parle d’autre chose. De quoi ?
Ornas : Il parle de la question du groupe. Abordons-la !
Noyé : Pour moi, on est en plein dedans. Pour le dire en termes francs, je ne sais pas si j’ai un seul ami ici. Et c’est cette question que je veux tirer au clair. Et je suppose que d’autres ne savent pas si je suis un ami pour eux. C’est la seule question qui importe.
Yves Tenret : Ok ! Ça m’intéresse.
Sembene : C’est impossible que tu trouves ça intéressant, c’est de la thérapie de groupe.
Yves Tenret : Et alors ? Pourquoi on ne ferait pas de thérapie de groupe ?
Simone : Et quoi encore ?
Joan : Qui a dit que c’était de la thérapie de groupe ?
Sembene : Moi, je ne veux pas de ça. Je ne veux pas être manipulé à cause de mon insatisfaction. J’ai l’intention d’obtenir des résultats sur la façon d’être ensemble, sur le mode fonctionnement d’une assemblée comme celle-ci, une assemblée qui ne soit pas simplement définie par rapport à ce qu’était ou n’était pas l’Internationale situationniste.
Yves Tenret : Sembene, si tu sors d’ici insatisfait, tu sauras que tu n’as pas été dans un de ces endroits où l’on paye pour s’adapter au monde. Tu es d’accord ?
Sembene : Oui.
Yves Tenret : Tu comprends ce que je dis ? On s’entend bien là ? On est dans la communication directe ?
Sembene : Oui.
Yves Tenret : Voilà. C’est tout ce que je dis. Je ne vise pas l’insatisfaction, la thérapie de groupe, je vise cette impossibilité à tenir ici un discours collectif qui soit une tentative d’adaptation au monde tel qu’il est. Si l’ensemble ici présent est supérieur à ses parties, tous sortiront d’ici avec des frustrations...
Sembene : Moi...
Yves Tenret : Raouf et toi vous focalisez trop sur Jean-Luc et pas assez sur vous-mêmes.
On ressert à boire. Je m’allume une nouvelle cigarette. Ça tend encore plus l’atmosphère. Raouf s’en roule à nouveau une aussi et la fume avec ostentation.
(À suivre)
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