jeudi 21 juillet 2011

La Conférence de l’Institut de Préhistoire Contemporaine – Épisode 2

Noyé : Est-ce que quelqu’un peut faire un résumé pour les Suisses des huit jours passés ?

Ariel : Le premier jour, Jean-Luc Noyé a fait un anti-exposé sur la non-existence de l’économie. Le second, nous avons débattu d’un texte des Américains sur l’argent. Le troisième jour, il y a eu un très vif débat pour et contre les exposés à contenu. Le quatrième jour, c’est la célébrité qui a été mise sur la sellette et le cinquième jour est enfin apparu le thème de l’insatisfaction.

Noyé : L’insatisfaction envers la conférence s’est avérée être la seule chose que nous avions tous en commun.

Brame : En gros, il y avait deux tendances : ceux qui veulent discuter de choses concrètes et ceux qui ne veulent parler que de la conférence.

Ornas : Quelles étaient les choses concrètes ?

Brame : L’économie.

(Rires)

Noyé : Il n’y a pas de quoi rire. Vous êtes ici pour discuter de mes idées. Comme on a beaucoup discuté pour savoir s’il y avait un consensus entre nous, j’ai regardé le mot dans le dictionnaire. Il signifie « accord » et il est donc toujours faussement employé par les journalistes lorsqu’ils écrivent « cette société marche au consensus » ou « le consensus est brisé ».

Joan : Il est employé comme « unanimité ».

Dynamite : Un consensus social signifie que les gens sont d’accord.

Noyé : Le sens a glissé. Quel accord ? Tout est basé sur le silence et la soumission.

Brame : La question s’est posé parce qu’il y a ici des gens qui ne parlent pas, qui ne parlent jamais. Il n’y a pas eu de décision explicite de l’orientation de la conférence. C’était un accord implicite.

Dynamite : Oui mais dès le début la conférence a porté sur l’objet de la conférence.

Elie : On a parlé de Dieu qui a plus d’existence que l’économie. D’après, Ken Knabb, c’est une force pratique.

Paolo : L’économie c’est aussi la science de la rareté et l’administration de la maison.

Noyé : Je ne suis pas compris ! C’est la chose elle-même que je nie, l’économie effective. Pas la théorie de la chose ! A partir du XVIIIe l’économie remplace la religion.

Joan : Si cette chose n’existe pas, qu’est-ce qui existe ?

Noyé (galant) : La communication...

Paolo : Et la biologie ?

Noyé : Elle n’a pas pour but de faire marcher les pauvres, de conserver le pouvoir. Il peut toujours y avoir du délire, de la sociobiologie par exemple mais quoi de plus pur que la physique ? La physique n’est pas responsable d’Hiroshima. Staline a fait tout autant de morts avec des moyens artisanaux.

Tom : Communication me semble trop positif.

Noyé : Merde ! Je sais qu’ici je ne suis d’accord avec personne. Ce que je ne supporte pas, c’est l’économie bâton de gendarme, celle qui parle par la bouche des chefs d’états. Si on arrive à renverser cette idée, les pauvres se révolteront. C’est sûr ! Mais je ne prétends pas, preuves à l’appui, que si l’économie n’existe pas, le monde va s’effondrer.


Paolo : Tu es donc une menace pour les maîtres du monde ?

Noyé : Je ne sais pas. Ils m’ignorent. J’écris et publie « l’économie n’existe pas » et personne ne me répond.

Paolo : Aux Etats-Unis l’économie en tant qu’idéologie dominante n’a jamais existé.

Noyé : Et alors ? A part Marshall Sallins qui essaye de réfuter le marxisme aucune pensée n’est jamais venue de là-bas. La question est : comment avec si peu d’effectif la police arrive-t-elle à encadrer tant de gens ? Ceci dit, du temps de Rome, de police, il n’y en avait pas du tout.

Paolo : Sans doute parce que ce n’est pas la police qui fait marcher le monde.

Noyé : Et c’est bien là le mystère. C’est à Lausanne, en 1964, en lisant dans un taxi que j’ai eu mon illumination : l’économie n’existe pas et personne ne le sait. J’ai compris d’un coup que Marx en critiquant le droit enculait les mouches.

Paolo : Si le monde marche tout seul, il n’y a pas de classe dominante.

Noyé : Ça Hegel le savait déjà. Les riches ne dominent pas le monde. Ils dominent les pauvres. En mai 68, cette domination a été battue en brèche, les gens se parlaient. (Il se gonfle, jette un long regard autour de lui et se tait. Le silence s’éternisant, il reprend la parole) Bon, bon. Alors ? Faites-moi des objections !

Raouf : Qu’est-ce qui fait que Mitterrand domine Abdou Diouf ?

Brame : Tu n’as pas le droit de parler d’un sujet qui n’intéresse que toi !

Paolo : Toute cette histoire d’économie est trop triviale.

Noyé : Quelle trivialité que d’appeler l’esclavage par son nom, l’esclavage ! Appelons-le liberté, comme ça cela sera moins trivial.

Paolo : Ce qui compte c’est l’argent !

Brame : Aux Etats-Unis c’est ce qui domine.

Noyé (ailleurs) : C’est parce que nous essayons d’écrire des choses intelligentes que nous n’arrivons pas à écrire. Alors que les putes intellectuelles, elles...

Brame : Nous sommes des intellos, nous n’avons pas le sens pratique.

Noyé : C’est désespérant. Je n’arrive pas à apporter une preuve de l’inexistence de l’économie. Mais qui a apporté une preuve de l’inexistence de Dieu ?

Paolo : Les Américains, toutes leurs idées sont dans leur pratique.

Noyé (illuminé) : Mais alors, il faut dissoudre tout de suite la conférence !

Stupeur. Exclamations indignées. Paolo bredouille, s’excuse.

Sadoc : La différence c’est le mana ! L’argent a plus de mana aux Etats-Unis.

Noyé : Les micros ordinateurs vont arriver en masse. Les gens vont passer leur journée à tapoter devant un écran. Tout le monde va s’occuper de communication mais personne ne va communiquer. Où sont les Socrate, les Alcibiade, les Alexandre le Grand ? Où est la vie riche ?

Véronique : Les employés se font doublement baiser : Ils sont persuadés de faire un travail intéressant !

Noyé : Ils ont raison ! Ils touchent à l’essence du monde, à la divinité, à la communication universelle !

Véronique : Le monde des bureaux ignore la contradiction. Il est invincible.

Herzog : Dans l’ordinateur, il y a tout, le travail et les loisirs. Le travail chez soi !

Noyé : C’est l’Internationale situationniste en plus avancé. La marchandise a toujours été de l’information. Maintenant, ce fait est révélé publiquement. Selon Hegel, la richesse et la communication, ce sont des individus assemblés décidant de ce qu’est le monde. Ce sera ça la fondation du monde, le devenir divinité du monde.

Yves Tenret : Puis-je revenir à votre question du début ? Est-ce que quelqu’un a déjà assisté à une conférence de ce type dont il est sorti satisfait ?

Ariel : On a parlé de l’objet de la conférence comme devant être, entre autre ou principalement, le négatif. En mai 68, dans les assemblées qui se sont constituées, qui ont discuté de leur constitution, exclusivement de cela, il n’y a pas eu de récupération. A chaque fois qu’il a été question d’intervenir sur le monde lui-même, les ouvriers, les usines, on a été récupéré.

Noyé : Je n’ai jamais connu de conférence satisfaisante et c’est pourquoi je m’oppose à ce que le sujet de la conférence soit autre que celui là.

Yves Tenret : Quel serait le dépassement de ce négatif ?

Dynamite : Notre idéal de satisfaction ?

Yves Tenret : Exactement.

Noyé : Pour moi, aucun modèle positif n’existe sauf certaines références historiques comme Athènes, les Grecs, le Banquet de Xénophon.

Brame : C’est le terrain pour se débarrasser de ce qui nous a insatisfait dans nos expériences précédentes et atteindre le niveau de celles dont on a entendu parler comme l’Internationale situationniste par exemple.

Dynamite : Cette assemblée s’est présentée comme une critique de toutes les formes passées de conférence ou de façon d’être ensemble. Chaque fois qu’une façon ancienne essaie de s’installer, elle est détruite par la conférence.

Noyé : C’est ça oui. Chaque fois qu’un vote a été proposé, il a été repoussé sans que personne ne le repousse précisément.

Brame : Le positif du négatif peut continuer à nous laisser insatisfait, on peut repousser un positif positif.

Yves Tenret : Aïe ma tête ! L’insatisfaction est-elle pour vous oui ou non positive ?

Noyé : Elle l’est. Cette conférence a au moins une chose de bien, c’est qu’elle n’a rien été.
Brame : Rien de ce qu’on ne voulait pas qu’elle soit.

Brouhaha.

Noyé : Elle a su demeurer rien. Il s’agit de renverser ça, que chacun sorte d’ici satisfait. C’est la méthode que je voulais proposer : nous n’interrompons pas cette conférence tant que chacun d’entre nous n’est pas satisfait.

Brame : Ce serait mieux de trouver quelque chose qu’on ne s’attendait pas à trouver.

Laurent : C’est bien parce que tout ça remet en question nos relations. Il y a des trucs pas francs entre nous, des tensions, un malaise.

Dynamite : Ça fait plus de 2 000 ans que ça existe, le problème des rapports entre les gens. Faisons du concret ou au moins partageons les heures entre le problème de l’insatisfaction et des problèmes concrets.

Maniaque : Je ne suis pas d’accord. Pour les sujets particuliers, il y a l’université. Nous sommes ici pour parler de ce que nous sommes lorsque nous sommes ensemble, pour parler du mouvement social.

Dynamite : Je ne vois pas comment on pourrait parler de l’insatisfaction d’être ensemble quand on n’a pas parlé de sujets particuliers sur lesquels cette insatisfaction a porté.

Brame : La tendance Maniaque contient tous les sujets particuliers.

Dynamite : Je vois ça dans un rapport plus dialectique.

Maniaque : Je ne veux pas partager le temps.

Brouhaha.

Ornas : Définissons l’insatisfaction par rapport à du concret. Yves T. parlait d’un modèle. On l’a : Les conférences institutionnelles avec des gens qui en représentent d’autres et des intérêts autres que les leurs.

Yves Tenret : Je pensais à l’exposé mandarinal. Celui qui sait expose à ceux qui ne savent pas.

Paolo : Ici nous n’acceptons pas ce rapport hiérarchique.

Yves Tenret : Tu penses que l’insatisfaction est une chose abstraite. Pour toi quand tu t’ennuies, cela reste abstrait. Pour moi, l’insatisfaction est concrète.

Paolo : Je ne suis pas sûr d’être si insatisfait que ça. Si j’étais 100% insatisfait, je serais parti.

Ornas : Il y a quand même des moments où vous avez bu de la bière !

Rires gras.

Raouf : Au début, comme on ne se connaissait pas, on ne pouvait pas discuter de l’insatisfaction d’être ensemble. Cette discussion est un résultat, un sujet particulier, le plus petit dénominateur commun que nous ayons. Brame faisait une différence entre conférence et assemblée. L’assemblée a commencé le premier août, la conférence par des échanges de lettres et des rapports entre certains d’entre nous, bien avant. Parlons de l’orthodoxie. Elle ne s’est pas cristallisée en une institution mais elle existe. L’insatisfaction vient pour moi des Noyéristes. Ils essayent de faire que tu sois comme ils veulent et non pas tel que toi tu veux être. C’est ça le poids mort du passé qui pèse sur nous.

Noyé : Peux-tu préciser tes attaques ?

Raouf : Si je donne un nom, on va perdre de vue le côté général de la chose.

Noyé : Mais non... Vas-y, nommes !

Raouf : Le Noyérisme, c’est parler des thèses de Jean-Luc sans les critiquer. L’orthodoxie, c’est organiser ce silence en évitant certaines questions. Ariel est paternaliste avec nous. Respecter quelqu’un et ses idées - nous n’avons pas les moyens théoriques requis pour les critiquer - ce n’est pas la même chose que de toujours rechercher son accord, ses compliments.

Sadoc : Mon attitude a fait réagir. J’étais en désaccord avec Jean-Luc sur la réfutation de l’économie. Il m’a insulté et c’était bien puisque cela m’a forcé à prendre parti.

Maniaque : Cette histoire, c’est du passé. Tout le monde est au courant. La question de l’orthodoxie reste néanmoins très importante.

Ariel : Pourquoi suis-je paternaliste ? En quoi ? Je t’ai tellement peu vu...
Raouf : Ça a suffit ! Généralement les gens passent des moments orthodoxes ensemble...

Rires. Je m’endors petit à petit. Quand j’émerge, je n’en reviens pas. Ils causent encore de la même chose !

(À suivre)

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