vendredi 29 juillet 2011

La Conférence de l’Institut de Préhistoire Contemporaine – Épisode 7

C’EST BIZARRE MAIS JE TROUVE ÇA -NOYÉ ET SES GROUPIES- TOUJOURS AUSSI INTÉRESSANT QU’À L’ÉPOQUE...

FIN DE LA PREMIÈRE JOURNÉE.

Brouhaha de satisfaction. Voix guerrières. Beaucoup de cris.

Joan : Il faut se faire respecter !

Noyé : Mais on se fait respecter.

Mme Maniaque : Non, pas du tout, tout à l’heure, les Sénégalais se sont fait insulter.

Noyé : Et alors ? Le chien aboie, la caravane passe...

Dynamite : Non ça c’est trop facile !

Luis : Je crois que la force de la conférence c’est qu’il a essayé de nous provoquer personne par personne, moi entre autre, et qu’il n’est pas mort alors que chez nous...

Joan : C’est ce qu’il mérite !

Luis : Il m’a menacé de mort donc je le tue.

Yves Tenret : Te gêne pas. Tue-moi. J’en ai rien à foutre.

Joan : Cela ne m’étonne pas.

Fabiola : Mais la force de la conférence c’est que Luis ne l’a pas fait !

Tom : Comment se fait-il que dans n’importe quel bistrot, on peut refuser de parler à des gens alors qu’ici...

Noyé : C’est ce qu’il faut ! Dans n’importe quel bistrot, il aurait été écarté comme un chien galeux mais pas ici parce que c’est la démocratie.

Yves Tenret : Vas-y Jean-Luc ! Tu les tiens !

Exclamations et mouvements de colère.

Noyé : Qu’est-ce qu’on a perdu là ? On est gagnant sur toute la ligne !

Yves Tenret : Bravo ! Insiste ! Tu as 100% raison !

Noyé : Je veux faire mon autocritique : en acceptant de voter sur la possibilité d’une exclusion, j’ai trahi mes principes qui sont de ne pas écarter l’insatisfaction tant que la question n’est pas réglée ! C’est la seule chose qui peut nous distinguer du monde.

Sadoc : Les propos sur le terrorisme qu’il a tenu au départ faisaient parties de sa provocation. Il voulait en venir à ça : insulter les gens, provoquer une bagarre, pousser l’aile gauche du situationnisme à s’auto dissoudre.

Yves Tenret : Ce n’est pas vrai. J’ai horreur des bagarres. C’est candidement que j’aime l’insatisfaction. Je l’apprécie en tant que telle, en elle-même. J’ai cessé de me battre à l’âge de 13 ans. Même les filles ici sont plus fortes que moi !

Hilarité généralisée - brouhaha.

Raouf : Tu es plus fort que tout le monde.

Yves Tenret : Je suis moins fort que tout le monde.

Raouf : Tu es plus fort que tout le monde.

Yves Tenret : Ce n’est pas vrai.

Raouf : Comment ça se fait alors que tu oses provoquer impunément tout le monde ?

Yves Tenret : Je ne provoque personne. Je m’exprime, c’est tout.

Raouf : Tu ne peux pas maintenant te réfugier derrière Noyé. Il faut que tu t’assumes, que tu ailles au bout de ton propre point de vue.

Noyé : C’est bien. Tranchons la question !

Tom : On est là depuis une semaine et la seule personne qui s’est prétendu dépositaire de la dialectique, c’est Yves T.

Je souris. Raouf me frappe. Noyé crie : « Arrête, arrête ». Hurlements, tumulte, sièges renversés. Raouf éclate une chaise dans le mur et empoigne un pied effilé. Ornas s’interpose en braillant : « Si tu veux du sang, il va y avoir du sang ! ». Raouf se laisse prendre son pied par Noyé. Il se calme.

Brame : On est étouffé ici par des certitudes.

Sadoc : Yves T. a été concis tout à l’heure.

Brouhaha. Cris : A mort ! A mort !

Dynamite : Qui a manifesté des certitudes ?

Ariel : Yves T. quand il a affirmé qu’il était nécessaire pour une assemblée d’exclure des membres.

Noyé (ravi) : Ah oui ! Oui, oui !

Ariel : Une assemblée souveraine...

Noyé : C’est un a priori.

Ariel : Mon a priori à moi et qu’une assemblée souveraine n’a pas nécessairement besoin de guillotine. (Brouhaha. Oui ! Non !) Une assemblée qui se constitue, justement c’est à partir du moment où elle est obligée d’expulser les gars qui la composent. Elle expulse à l’extérieur...

Noyé : Elle se tue elle-même !

Yves Tenret : Soyons clair. Je n’ai jamais parlé d’expulser qui que ce soit. J’ai affirmé qu’on pouvait arriver à faire qu’il y ait des gens qui s’en aillent d’eux-mêmes en disant : « Je ne me sens pas concerné par votre propos » !

Sembene : Il y en a eu, il y en a eu.

Yves Tenret : Il en faut.

Ariel : Euh... Mais... Attends...

Yves Tenret : Il faut que cela soit ainsi sans arrêt. Et je n’ai pas du tout parlé d’expulsion parce que je pense qu’expulser quelqu’un serait faire preuve d’une grande faiblesse. Toute manifestation d’autorité quelle qu’elle soit est toujours une preuve de faiblesse.

Maniaque : Moi, je crois que...

Yves Tenret : Excuses-moi Maniaque mais le propos doit être tellement clair que les gens décident ne fusse que par ennui, et là que je défends l’abstraction...

Brame : Et ça c’est déjà produit !

Yves Tenret : Je défends l’investissement, pas le parlement universel de Maniaque, un parlement ça dort, on y meurt immédiatement d’ennui.

Brame : S’emmerder ou ne pas s’emmerder serait la question.

Yves Tenret : On donne tout ou on ne donne rien. C’est simple. Voilà. (Explosion indignée. Cris divers. Videz-le ! Etc.) Je ne suis pas du tout pour une pratique autoritaire. Je suis clair là-dessus. Je suis contre l’autorité et pour la passion. (Brouhaha : Salaud ! Ordure !) La passion exclut les tièdes.

Noyé (déterminé à reprendre la parole) : Ariel ne parlait pas de ça. (Il bégaye, ne sait plus ce qu’il voulait dire, transpire, s’accroche). Tu arrives, tu dis qu’on étouffe de certitudes ici, j’abonde immédiatement dans ton sens mais il y a aussi des a priori chez toi. Oui ? Non ? Ce n’est pas ce que je voulais dire. L’histoire en témoigne. Toutes les assemblées ont exclu certains de leurs membres.

Clameurs hystériques.

Yves Tenret : Dans les feux de la passion !

Noyé : Oui ! Tu as raison.

Clameurs hyper hystériques.

Yves Tenret : Qui est prêt à être guillotiné ?

Noyé : Ça demeure un a priori quand même, une certitude, mais elle a le mérite d’être exprimée. Toutes les assemblées jusqu’ici ont rejeté certains de leurs membres ou ceux-ci se sont exclus d’eux-mêmes.

Yves Tenret : Ce n’est pas la même chose. S’exclure volontairement ou être rejeté ne sont pas la même chose. J’ai horreur du rejet. Etant une minorité à moi tout seul, je suis contre l’exclusion. Je suis pour que le sujet s’en aille en constatant qu’il manque de désir à investir...

Ariel (suppliant) : Ecoute...

Yves Tenret : Ce n’est pas la même chose !

Brouhaha menaçant.

Ariel : Les exclusions dans l’Internationale situationniste c’était pour pouvoir mieux se resserrer, pour raffermir l’amitié.

Brouhaha indigné.

Yves Tenret : Leurs exclus, au fond d’eux-mêmes, étaient contents d’être enfin exclus parce qu’ils en avaient marre de l’investissement que l’Internationale situationniste leur demandait.

Brame : C’est vrai ! Ils l’ont tous prouvé en s’auto-anéantissant ensuite.

Yves Tenret : Les exclus sont partis soulager de partir. Jouer 3% de sa vie n’a rien à voir avec jouer tout, jouer 100%. Et ça vous le savez tous !

Brame : Il faudrait que notre conférence soit tellement passionnante que personne ne désire en être exclu.

Monique : Il règne une censure ici parce que la plupart ont peur de dire une bêtise.

Yves Tenret : Ceux qui ne se sentent pas concerné s’en vont et ceux qui sont prêt à s’investir restent. Ce n’est pas un a priori mais un a posteriori.

Noyé : Le rejet ou l’exclusion volontaire est chez toi une certitude.

Yves Tenret : Quelqu’un qui pendant une partie d’échec tape dans un échiquier est pour moi l’exemple type du facho. Deux personnes sont dans l’univers du jeu, une troisième pousse les pions à terre — c’est l’ennemi absolu ! Les gens qui jouent doivent être d’accord avec les règles du jeu à 100% ou dégager !

Enorme brouhaha colérique. La voix de Sadoc domine le chœur ; il n’est pas d’accord.

Yves Tenret : Allez-y. Protégez vos petits conforts dérisoires.

L’insulte est énorme, l’indignation générale.

Yves Tenret : Celui qui connaît les règles de la partie peut la regarder, suivre le jeu. Mais les autres ?

Cris, invectives diverses.

Maniaque : Aujourd’hui, je ne m’ennuie pas.

Poilade.

Noyé : Je suis totalement d’accord avec Yves Tenret.

Silence tendu, de plomb.

Noyé : L’investissement est la règle que je vise. C’est même ma méthode personnelle.
Yves Tenret : Exactement !

Noyé (décontenancé par cette interruption) : Euh... Ma méthode personnelle...

Yves Tenret : Absolument, absolument et c’est ça qu’il faut juger, le manque d’investissement...

Noyé (en stéréo) : Et je juge les gens sur l’intensité de l’investissement.

Yves Tenret : Absolument ! Absolument !

Noyé : Et ce n’est pas pour moi la méthode de cette conférence mais c’est le but de ma vie.

Yves Tenret (impératif) : S’il ne reste rien d’autre, est-ce que je peux avoir la bouteille de rosé ?

Noyé : L’intensité de l’investissement, sur ce plan je suis d’accord.

Maurice : Attention, si on met trop de puissance pour établir la communication, à la limite, cela peut devenir inquiétant.

Noyé : Tant mieux ! J’ai placé dès le début cette conférence sous le signe de « L’Ange exterminateur » de Bunuel.

Yves Tenret grogne en aparté.

Noyé (interloqué mais restant digne) : Je soutiens aussi le droit au non-investissement ! (Il s’étrangle de rire. Deux, trois rires gras l’accompagnent) Liberté ! Liberté ! Démocratie ! Droit au non-investissement !

Yves Tenret : Je vais jouer franc-jeu avec vous. J’ai fait dix ans d’internat, j’ai toujours vécu en collectivité, je suis un habitué des bistrots et en moment, je n’arrive plus à parler à personne.

Ariel (hautain) : Et alors ?

Yves Tenret : Laisse-moi finir ! Je n’arrive plus à parler aux gens parce qu’ils ne m’intéressent pas, que nous n’avons plus aucun investissement ni aucune problématique commune. Pourquoi est-ce que je fréquenterais qui n’est pas prêt à entrer dans la partie avec moi ?

Raouf : Parce que tu vis sur terre mon vieux...

Yves Tenret : Ok mais moi je joue à 100%, la vie, la mort.

Raouf : Moi, je m’investis à 1000%. Je joue plus que je ne peux donner. La règle du jeu ça n’existe pas, c’est le résultat qui compte.

Noyé (hurlant) : Yves T. propose sa règle et il a le droit de la proposer.

Dynamite : La nécessité pour une organisation de finir par exclure est pour moi un a priori, discutons-en.

Yves Tenret : Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit : « Il y a des gens qui doivent partir à un moment donné parce qu’ils ont conscience qu’ils n’ont pas assez de choses à donner pour pouvoir rester ». Il faut être clair là-dessus. Cessez d’essayer de me faire passer pour un stalinien, pour un raciste ou pour un dingue.

Henri débouche avec force râles comiques d’autres bouteilles.

Laurent (minaudant) : Moi je ne veux pas crier...

Véronique (hystérique — voix de tête) : On s’en fout ! Pourquoi on ne crierait pas ? Nom de Dieu, on n’a jamais le droit de crier ici ! Je suis une grande crieuse ! Je demande, j’exige le droit de crier ! Bordel ! Qu’est-ce que c’est ces manières ?

Boucan infâme.

Noyé : Droit de crier ! Droit de crier !

Véronique : On ne peut rien faire ici. On se fait chier !

Brouhaha intense. Noyé et quatre, cinq autres dansent en hurlant : « Droit de crier ! »

Véronique (à Simone) : Pourquoi tu me regarde d’un air de dire « Pauvre conne » ?

Simone : Droit de traiter qui on veut de « pauvre conne » !

Véronique : Pour ça, je te fais confiance...

Noyé : De traiter de quoi ?

Simone : De putain de ta race ! De putain de ta mère ! De tout ce que tu veux.

Raouf : Droit de résister au traitement.

Rires.


(À suivre)

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