Sembene : Noyé veut que nous soyons comme au Banquet où Alcibiade prétend qu’il est plus beau que les autres.
Yves Tenret : T’énerves pas comme ça.
Noyé : On en est loin du Banquet.
Sembene : Je revendique le Banquet comme méthode.
Noyé : Je n’ai jamais parlé de ça. J’ai juste dit dimanche soir que je m’opposerais par tous les moyens dont je dispose à tous ceux qui refuseraient de traiter de l’insatisfaction.
Sembene : Tu ne disais pas seulement cela. Tu disais aussi qu’on obtiendrait de grands résultats en faisant en sorte qu’il ne se produise rien et en le reconnaissant.
Noyé : Je n’ai pas dit ça ! Ecoutons les bandes. J’ai glorifié la négativité de la conférence. C’est une chose unique au monde. Ça n’a jamais existé ça. 40 personnes qui arrivent à être 7 jours assemblées à ne rien faire de leur commune volonté. Mais je n’ai pas dit que c’était l’unique méthode, que la méthode était trouvée, achevée. Je n’ai pas porté ça au pinacle. Non, non et non ! Je ne suis ni immobiliste ni passéiste. Je ne dis pas qu’on doit être satisfait de cela. Bien au contraire puisque c’est l’insatisfaction qui est motrice. On ne doit donc surtout pas s’en satisfaire. On doit être également insatisfait de l’insatisfaction. Hegel écrit que le négatif a ceci de bien qu’il est aussi un négatif vis-à-vis de lui-même.
Yves Tenret : J’ouvre une parenthèse : le dépassement de l’insatisfaction n’est pas la satisfaction !
Noyé : Oui !
Yves Tenret : Je l’avais dit auparavant.
Le chœur des femmes : Non ! NON !
Yves Tenret (bon joueur) : Tout le monde ne l’avait peut-être pas entendu mais ça n’a pas d’importance du moment que tout le monde est d’accord là-dessus maintenant.
Noyé : Dans le cas contraire l’histoire aurait une fin. C’est cela la grande faiblesse de Hegel : pour lui, l’histoire a une fin.
Raouf (exaspéré) : Bon d’accord mais c’est quoi alors ta méthode ?
Noyé : Ma méthode consiste à ne pas quitter la conférence avant que chacun en soit satisfait.
Maniaque : Cela sous-entend une conférence éternelle.
Noyé : Oui et c’est ça que j’espère, une conférence éternelle.
Long silence stupéfait. Chuchotements inaudibles.
Raouf (à Yves Tenret) : Pourquoi tu affirmes que tout ce qu’on dit ici s’adresse à Jean-Luc Noyé ?
Yves Tenret : C’est à toi de travailler là-dessus, pas à moi. C’est votre culte de la personnalité, pas le mien. Tu sembles être le seul que ça tracasse. Tu veux qu’on en discute collectivement ?
Raouf : Oui ! Très bonne idée !
Yves Tenret : Moi, je n’ai rien contre Noyé. Il travaille lui...
Luis (à Yves Tenret) : Mais regarde-toi ! Tu te prends pour qui ? Tu tournes le dos à plein de gens.
Yves Tenret (à Tom, son voisin de droite) : Je te tourne le dos ?
Tom : Non, non.
Brouhaha désapprobateur.
Yves Tenret : Je crois au travail, à la sublimation, aux hiérarchies naturelles.
Hurlements exaspérés - particulièrement chez les Sénégalais et les Nicaraguayens.
Yves Tenret : Quand Noyé parle, vous observez tous un silence que je n’hésiterais pas à qualifier de religieux...
Brouhaha dément.
Yves Tenret : Vous en voulez une preuve ? Vous l’avez là ! Dès que je parle tout le monde s’agite, se désinhibe !
Brouhaha hyper dément.
Sadoc : Tu te trompes complètement. Nous n’avons aucun problème avec Jean-Luc. En tout cas, on est ici pour en parler...
Yves Tenret : Bien, très bien !
Raouf : Moi, je refuse de parler de quelqu’un en particulier.
Ariel (pompier montant au feu) : C’est tellement difficile de parler de cet implicite.
Noyé (exalté) : Et pour cause, et pour cause, il tient depuis 50 000 ans !
Ariel (soulagé et rougissant) : C’est exactement ça. Moi, cet implicite je l’appellerais le naturel.
Yves Tenret : Et pourquoi pas le « ça va de soi » ?
Ariel (en extase, fixant Noyé) : Tu te rappelles que l’autre jour on a dit : chassez...
Noyé : ...le naturel, il revient au galop. Oui, c’est bien de ce naturel là dont il s’agit. Je ne sais plus qui l’auteur original de la phrase d’ailleurs.
Yves Tenret : Descartes ?
Paolo : Non un des Encyclopédistes.
Ariel : Est-ce que cette discussion sur l’insatisfaction ne risque pas de détruire le naturel plutôt que de ruiner l’implicite, d’extirper ce qu’on voulait conserver ?
Véronique : Moi je ne veux pas rechercher l’insatisfaction. Ce que je veux c’est pouvoir la montrer ici. Parce que je suis insatisfaite et je veux qu’on le sache, je veux le dire à tout le monde. Je veux dire pourquoi. Je veux réussir à dire pourquoi. Simplement réussir à dire pourquoi. Il y a des gens ici que je hais ! Oui, oui, des gens que je déteste ! Ils me font chier depuis le début de la conférence. C’est tout. Et à chaque fois que je crois que je vais pouvoir arriver à leur dire qu’ils me font chier et pourquoi je les déteste, ça s’échappe et je n’arrive pas à saisir pourquoi je les déteste. Mais je sais que je les déteste et ça, ce n’est pas rien. C’est déjà quelque chose.
Sadoc : Tu peux préciser qui sont les gens que tu détestes ?
Yves Tenret : Où tu vas comme ça ? Tu fais une erreur ?
Sadoc : Ecoute tout à l’heure...
Yves Tenret : Attends ! Attends !
Sadoc : Quand Raouf parlait...
Yves Tenret : Mais je n’étais pas là. Je ne sais pas qui elle déteste.
Sadoc (à bout de nerf) : Mais... Hein ! Laisse-moi parler ! Quand tu parles, je t’écoute, quand je parle, tu m’écoutes ! Tout à l’heure Raouf a parlé des rapports orthodoxes, des chiens de garde, et il a nommé Ariel.
Yves Tenret : Ce n’est pas ça que j’entends dans l’intervention de Dame Noyé. Ce que j’entends, c’est la passion. C’est d’ailleurs l’une des choses qui m’a impressionné quand je suis arrivé ici : dix jours de conférence et pas une seule exclusion. Vous êtes une vraie machine à intégrer les gens !
Sadoc (cognant violemment la table) : Ecoute !
Yves Tenret (pas plus impressionné que ça) : Il ne faut pas se leurrer : ce qui a de la vie, ce qui vit exclut. Il ne s’agit pas d’exclure pour exclure mais à un moment donné, il y a des gens qui doivent partir presque d’eux-mêmes car ils ne se sentent plus concernés. C’est bien pour ça que je posais le problème du terrorisme, des sectes et du boy-scoutisme. Imaginons un instant qu’il y a ici disons six personnes qui parlent entre elles de façon cryptée et que cela soit incompréhensible pour les autres. Cela ne pousserait-il pas certains à partir ?
Sadoc : Ecoute, hein...
Yves Tenret : Cela se passe le lundi. Le mardi il n’y a plus que 15 personnes et tout peut enfin redémarrer sur des bases intéressantes...
Sadoc : Moi, je dis que...
Paolo : On ne peut pas demander à 40 personnes...
Yves Tenret : Pourquoi ? Vous pouvez demander ce que vous voulez à 100 millions de personnes. Allez-y ! Faites le remake d’Intolérance. Engagez 60 000 figurants !
Laurent : Ecoute-moi. Il y a un truc...
Yves Tenret : Ne vous gênez pas pour moi. Refaites la Guerre des Boers !
Laurent (Menaçant) : Allons-y ! Parlons un peu de Baden Powell, parlons de tes méthodes d’animateur culturel, de la façon dont tu empêches tout débat, de ta façon de reprendre ce que les gens disent et de leur relancer tel quel à la figure. Tout ça me paraît bien artificiel et m’insatisfait fortement.
Yves Tenret : On ne peut pas satisfaire tout le monde en même temps...
Raouf (Encore plus menaçant) : Tu ne peux pas traiter les gens à la légère comme ça, dire : vous avez un problème avec Jean-Luc, réglez-le ! Pourquoi en faites-vous un saint ?
Yves Tenret : On parlait de l’Internationale situationniste avant. Pourquoi ont-ils exclu de nombreuses personnes ? Par goût de l’exclusion ?
Raouf (Prêt à frapper) : Non, non, non ! Pourquoi ont-ils pu faire de l’exclusion un prétexte pour être ensemble ? Pour finir l’Internationale situationniste n’était plus que ça, des exclusions ! Pourquoi ils ont...
Yves Tenret : C’est bon... On a compris... D’accord...
Raouf (montrant les dents) : ...exclut le prosituationnisme en théorie mais non pas pu l’exclure dans certains cas particuliers.
Yves Tenret (conciliant) : Absolument ! Alors là, on a absolument le même point de vue...
Raouf : Pourquoi tu refuses de parler de l’aura que dégage Jean-Luc, de son influence sur un tel ou sur un tel et puis de l’admiration que d’autres peuvent ressentir pour lui, qui est en fait une admiration plus pour sa méthode que pour lui personnellement. Essayons d’en parler tous ensemble, de rationaliser tout ça.
On débouche de nouvelles bouteilles de blanc d’Anjou.
Yves Tenret : Est-ce que tu comprends...
Noyé : Ne parle pas pour moi !
Yves Tenret (comme s’il n’avait rien entendu) : Raouf, est-ce que tu peux comprendre qu’il y a ici des personnes qui ne sentent pas concernée par tout ça ?
Noyé (déterminé) : Ne parle pas pour ma personne !
Raouf : C’est de la censure. Chacun vient avec des problèmes généraux mais a priori n’est pas venu pour parler de la même chose.
Yves Tenret : Il peut y avoir des points de vue différents, divers sur le même problème.
Luis : Tu sais ce que c’est puisque tu as été emmerdé par le mana que les voyous diffusent, le prestige qu’ils ont, prestige basé sur des conneries...
Le vin coule à flots.
(À suivre)
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