jeudi 7 juillet 2011

Histoire désinvolte - Épisode 9


3. FIN de l’I.S


S’il y a, à l’évidence, un apport de l’I.S. à la révolte de mai, il y en a, inversement, aussi un de 68 à l’I.S. (action réciproque : si l’I.S., pour une part, a fait son temps, elle est aussi l’expression de ce temps qui non seulement l’a faite mais qui l’a défaite) ; et cet apport — en dehors de la confirmation de l’excellence de la théorie situationniste — fut l’infusion d’un sang neuf — dont l’I.S. avait cruellement besoin — en provenance directe de la révolte — qui, plus qu’une « révolte de la jeunesse » fut « une nouvelle jeunesse de la révolte » — qui ne suffira malheureusement pas à la sauver d’un naufrage pour l’heure encore masqué par une euphorie de surface sous laquelle affleuraient les récifs qui allaient envoyer l’I.S. par le fond (métaphore nautique : fluctuat et mergitur). Mais, nous n’en sommes pas encore (tout à fait) là. Pour l’heure donc, c’est l’autosatisfaction qui semble dominer dans la « nouvelle I.S. » requinquée. Pourtant, Guy faisait plutôt la gueule : en effet, il est en train de se coltiner, presqu’à lui tout seul, le douzième numéro de la revue situe à la couverture flashy45 — il ne savait pas encore que ce serait le dernier ; mais il s’en doutait quand même un peu, vu le peu d’ardeur des « militants » qui l’entouraient sans l’aider dans son travail. Face à une telle situation, il se devait de réagir en « chef ». Ce qu’il se décida finalement à faire en démissionnant de la Direction de la revue, qu’il assurait jusque-là. C’est René V. qui dut s’y coller ; et c’est avec lui aux manettes que fut mis en chantier — l’expression est, on le verra, assez adéquate — le futur numéro 13 d’I.S. — qui ne verra jamais le jour. Las ! tout partait en couilles (molles) : « l’élite » situationniste n’était plus que l’ombre d’elle-même. Et c’est ce triste spectacle qu’elle allait donner à voir à Venise46, lors de la VIe et dernière Mostra de l’organisation, en octobre 69 (année érotique, certes ; mais annus horribilis pour Guy et sa bande en pleine débandade). Que dire de plus : la FIN était proche. Mais nous aurons encore à assister à quelques péripéties — et à une pantalonnade connue sous l’appellation de : Débat d’orientation de l’ex-Internationale situationniste. En fait de « débat », c’est au triste spectacle — encore — d’une poignée de situs incapables de rédiger ne serait-ce que quatre lignes dignes de figurer dans une revue de théorie révolutionnaire qui se respecte, qu’on assista ; et en fait d’« orientation », c’est une totale désorientation collective qu’ils manifestèrent ; au grand dam de Guy qui, écœuré dut se résoudre à « épurer » à tout va ; mais rien n’y fit. Fin 70, il tire ses dernières cartouches et annonce la création d’une « tendance », dans ce qui reste de l’I.S. ; que rejoignent immédiatement (et opportunément) les plus malins : René R., René V. et Gianfranco S. Tirant l’ultime conséquence de la situation, « Ils » réclament une « scission » — parce que : là, maintenant, çà commençait à bien faire ! Le « frère » Raoul décida prudemment (et préventivement) de donner sa démission. Cette fois, c’était bien la FIN (sans remède) de tout : les Américains n’auront pas le temps de faire sécession qu’ils se retrouvent dehors ; René V. démissionnera lui aussi ; l’autre René, R., est quant à lui expulsé comme un malpropre (pour une sombre affaire de tiroir-caisse). C’est ce qu’on appelle une « liquidation totale avant fermeture définitive » : ne reste plus que Guy et son pote le rital, Gianfranco S. — plus pour longtemps d’ailleurs ; il aura tout juste le temps de contresigner les Thèses sur l’IS et son temps, rédigées par le seul Guy avant de disparaître lui aussi. En 1972, La véritable scission dans l’Internationale paraît aux éditions Champ Libre. « L’aventure situationniste » est bien morte.

Que vous dire de plus, « beaux enfants » ? Je pourrais — devrais ? — m’arrêter là, sur ce procès verbal de liquidation aux accents curieusement triomphalistes : « désormais les situationnistes sont partout », à en croire le rédacteur en chef de La Véritable scission ; et la Révolution marche à grands pas : alles gut, alles klar. Ce n’était manifestement là qu’une « belle histoire » que l’on racontait aux enfants (perdus) du siècle pour les endormir ; parce qu’on était bien fatigué soi-même et que l’on n’aspirait qu’à reposer sur son lit de lauriers fraichement coupés.

Le réveil sera difficile. Il restera à beaucoup — et pour longtemps — un goût amer dans la bouche ; comme au sortir d’une mauvaise cuite quand qu’on a la tête dans le cul et qu’on sait déjà qu’il faudra recommencer à boire — pour essayer d’y voir plus clair — peut-être ?

(À suivre)

Notes

Note 45.
Il est patent qu’il a beaucoup contribué à la rédaction de tous les bulletins de l’I.S. — principalement les premiers dont il a rédigé la plus grande partie.

Note 46.
Ironie de l’Histoire, c’est déjà dans cette même ville que devait disparaître « corps et biens », l’un des situationnistes historiques : Ralph Rumney (Cf. I.S., numéro 1, Nouvelles de l’Internationale, Venise a vaincu Ralph Rumney.)

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