vendredi 22 juillet 2011

La Conférence de l’Institut de Préhistoire Contemporaine – Épisode 3

Paolo : Toutes les assemblées qui ont eu du pouvoir l’ont utilisé.

Noyé : Le nôtre sera-ce le pouvoir de guillotiner 15 000 personnes ou celui d’être maître de sa vie ?

Paolo : Un pouvoir qui sera la critique de toutes les assemblées passées.

Dynamite : Justement dans la mesure où l’assemblée ne veut pas se créer, nous ne risquons pas de créer une secte ou un groupe terroriste.

Noyé : Je signale qu’on a aussi droit à la parole !

Rires.

Jerry : Et le droit aux moments d’orthodoxie.

Raouf : Et le droit à la critique.

Dynamite : Et le droit aux bégaiements.

Rires.

Raouf : Maintenant que nous commençons une expérience nouvelle, il faut dès le départ envisager les raisons pour lesquelles ça c’est toujours mal terminé auparavant.

Noyé : Soit écrasé par les armes, soit écrasé par l’inertie...

Raouf : Si je pose la question de l’orthodoxie, c’est parce depuis que j’ai été assez fort pour prononcer « ni dieu, ni maître », j’essaye de voir ce qui dans les rapports recrée ce type de croyances. Ariel, par exemple, essaye toujours de me ramener dans le droit chemin. Les pauvres sont orthodoxes vis-à-vis de ce monde quand ils ne se révoltent pas. Et parfois quand ils se révoltent, ils retournent vers une autre orthodoxie.

Dynamite : Je ne voulais pas dire que certains Africains étaient Noyéristes, juste que certains de leurs textes l’étaient. Je disais : j’espère que cette tendance n’existe pas.

Yves Tenret : La douleur, le sérieux la patience et le travail du négatif vous sont familiers. En arrivant, j’ai demandé à l’un d’entre vous : « Qu’est-ce qui s’est déjà passé ? » Il m’a répondu : « Pas grand chose. Je ne sais pas. Je me sens très insatisfait ». C’est très bien, me suis-je dit. Maintenant, vous partez dans des débats sur des personnes particulières, attention, cela risque d’être trop satisfaisant pour vous. Il vaudrait mieux rester à un certain degré d’insatisfaction, vérifier avec le plus de lucidité possible l’étendue de cette insatisfaction. L’enjeu, être ou ne pas être en présence de l’esprit, est de taille !

Tom : Il y a un glissement progressif vers...

Mme Maniaque : ...le plaisir !

Rires.

Tom : La conférence parle de l’insatisfaction comme si c’était un sujet.

Yves Tenret : Ce n’est pas un sujet, c’est une méthode !

Tom : On retombe dans l’abstraction.

Jean-Luc Noyé boude ostensiblement. Malsain grince des dents dans un coin d’ombre. Ornas prend des tonnes de notes.

Tom : Elie dit que la conférence ne peut parler que de la conférence. L’insatisfaction on l’a tous ressentie mais ce n’est pas une conférence sur l’insatisfaction.

Noyé : Ça ne doit pas devenir le sujet principal...

(il s’adresse à Noyé)

Tom : Pour la première fois de ma vie de pauvre avant-hier j’ai eu l’impression de trouver un centre. Que trouve-tu aussi important que la manière de vivre ensemble, d’organiser nos rapports, notre sociabilité, de vivre quoi ?

Noyé : La conférence n’est pas un sujet particulier, c’est l’irruption du général dans le particulier.

Trois longues minutes de silence. Certains se tiennent la tête à deux mains.

Noyé : L’insatisfaction que je ressens vis-à-vis de vous, mes correspondants, à la même forme que celle que revêt l’insatisfaction générale.

Maniaque : Et réciproquement !

Noyé rit.

Paolo : Tu es satisfait de toi-même, les lettres que tu nous envoie sont satisfaisantes pour toi ?

Noyé : En tant qu’artiste quand je trouve un développement harmonieux, j’en suis satisfait, comme l’était en son temps Beethoven. Mais on le sait bien, en fin de compte, les artistes sont toujours insatisfaits. Je ne peux pas séparer ma satisfaction narcissique de mon rapport à mes correspondants. Si je suis insatisfait de mes correspondants, je suis forcément insatisfait de moi-même. Je ne suis rien sans mes correspondants. Les plus beaux moments de mon existence, c’est quand j’ai été attaqué et que j’ai répondu à mes ennemis. Hélas, je n’ai jamais été attaqué par des amis. Je suppose que quand Alcibiade trahissait ses amis, il devait être content. Dire : « je suis mécontent de mes amis », c’est dire : « je suis mécontent de la vie que je mène ».

Tom : L’Internationale situationniste avait un grand pouvoir de séduction. Ce fut sa grandeur et sa perte. Aujourd’hui, on ne peut plus se contenter de pointer ici et là de l’insatisfaction.

Yves Tenret : Pourquoi ?

Tom : C’est très mauvais donc c’est bon. (Il rit tout seul.) Ça fait très mal.

Yves Tenret : Maso !

Noyé : C’était le projet de l’Internationale situationniste d’avoir pour objet immédiat leur manière d’être ensemble et ils ont toujours failli, failli, failli. Ils voulaient la révolution tout de suite. Ils ont tranquillement failli pendant dix ans là-dessus tout en le sachant. Debord le reconnaissait : on n’a jamais réussi à dériver, on n’a jamais construit de situation, disait-il. Et je pourrais vous en raconter d’autres, de ses faillites !

Yves Tenret : Mais dans cette faillite n’ont-ils pas produit un certain nombre d’objets de pensée et d’événements plus intéressant que bien des gens qui par rapport à leur propre programme n’ont jamais failli ?

Noyé : Je suis entièrement d’accord avec ça.

Yves Tenret : Donc l’insatisfaction est une méthode ! Ce serait aberrant que l’Internationale situationniste ait réussi à construire une situation qui marche. Où ? Dans quelle île déserte ?

Noyé : L’Internationale situationniste aurait pu être une situation construire.

Yves Tenret : Elle l’a été.

Noyé : Non !

Yves Tenret : Elle a fonctionné !

Noyé : Non !

Yves Tenret : Elle a produit des textes, des idées.

Noyé : Oui ! Le monde produit mais il n’est pas construit. Pas construit par nous. La production n’existe pas. Tout ce qui est produit est produit par le monde c’est-à-dire par la communication. L’Internationale situationniste ne s’est pas auto-construite, elle ne s’est pas auto-définie en permanence. Ils ont eu une très grande efficacité, produit bien des choses mais les séquelles surgies après la disparition de l’Internationale situationniste proviennent de sa non-construction.

Yves Tenret : C’est cela même la négativité. Ils sont restés vivants entre 57 et 68 parce qu’ils étaient dans la non-réussite. C’est leur réussite en Mai 68 qui les a tués.

Noyé : Du point de vue de cette assemblée, ils n’étaient en rien différents du vieux monde dans son ensemble.

Yves Tenret : Si par la qualité de leurs frustrations.

Noyé : Les bolcheviques aussi.

Yves Tenret : Ils ne sortaient pas frustrés de leurs réunions.

Noyé : C’est vrai que les situs étaient frustrés. Debord me l’a dit. Ils ont même publié des autocritiques. Elles sont restées stériles. C’est à nous de réussir là où ils ont échoué.

Laurent : Leur méthode était figée, l’insatisfaction était devenue un procédé. Ils avaient prévu de se dissoudre après leur réussite. Nous, si on se définit en tant qu’êtres humains qui veulent entrer en contact les uns avec les autres, nous n’aurons pas à nous dissoudre après.

Yves Tenret : Les situs ne se sont jamais comportés comme une bande de gens repus disant : voilà, on voulait construire un truc et c’est fait...

Brame : A la fin, ils l’ont fait.

Yves Tenret : Ils ont dressé leur propre bilan mortuaire.

Fabiola : Pas mortuaire. Triomphant !

Noyé : Ils étaient des ennemis du sacrifice mais ils se sont sacrifiés quand même. C’est triste de voir ce que Debord est devenu. C’est quand même important de réussir ou de faillir sur ce point. Supposons même qu’en ce moment, en échouant sur le but, là, explicite, but qui semble être le nôtre actuellement, nous entraînions la mort d’un million de nos ennemis, ça n’empêchera pas que nous ayons failli sur notre but qui est, dans le cas présent, d’être satisfait de notre conférence, de connaître enfin la satisfaction !

Brame : Ne plus être seul pour...

Noyé : Oui.

Dynamite : Poser l’insatisfaction, c’est définir la satisfaction. Qu’est-ce que c’est la satisfaction ?

Yves Tenret : La satisfaction est donnée, elle vient d’abord, elle préexiste à la conférence qui en révèle le négatif. Le dépassement de l’insatisfaction ne sera pas la satisfaction. L’action positive de l’Internationale situationniste a été son propre sacrifice. Ils étaient prêts à tout pour rester insatisfaits.

Dynamite : Mais est-ce qu’on peut rester comme ça dans l’insatisfaction ?

Yves Tenret : Sans problème !

Noyé : Elle leur était imposée.

Yves Tenret : En groupe, c’est encore plus facile. Il y a un turn over. Toujours au moins un opposant et pas toujours le même. Ça tourne. Il n’y a pas eu de réalisation de la part de l’Internationale situationniste et c’est son grand mérite. L’impact critique en a été bien plus grand que ne l’aurait été n’importe quelle construction de situation.

Dynamite : Ça fait thérapie d’autant plus que tu ne le choisis pas. C’est le monde qui t’y plonge dans l’insatisfaction.

Yves Tenret : Mon choix n’est pas d’être insatisfait mais d’être critique. De ne pas me résigner.

Brame : C’est reconnaître d’autres insatisfactions. Tu choisis une position peu courante par rapport à l’insatisfaction ; d’habitude, on l’atténue, la cache, la nie. Toi, tu cherche à la connaître.

Maniaque : Tout ça est abstrait. Revenons au concret, à la conférence.

Tom : Oui. Nous nous sommes réunis pour parler de l’insuffisance de nos critiques dans notre correspondance.

Maniaque : On a perdu notre insatisfaction réelle, celle de dimanche, celle qui portait sur nos rapports actuels.

Yves Tenret : On ne comprend rien à votre dimanche. Vous faites sans arrêt des interventions sibyllines en vous réclamant d’un passé récent mais révolu. C’est juste pour exclure les nouveaux arrivants ?

Maniaque : Dimanche, c’était les révolutionnaires de 1789 qui s’étaient emparés d’un parlement, des Montagnards, des Jacobins le couteau à la main. Maintenant, c’est à nouveau tombé dans le ronron. Les gens ne sont pas là. Ils sont absents. La conférence n’est pas présente à elle-même aujourd’hui.

Yves Tenret : Qu’est-ce qui divisait les gens ?

Maniaque : La satisfaction ou l’insatisfaction d’être là.

Auguste : Est-ce qu’on peut se satisfaire d’être insatisfait ?

Noyé : Le mana était présent dimanche. L’esprit de la conférence se manifestait dans la bouche de différents chamans.

Ariel : C’est peut-être parce que le sujet n’était pas l’insatisfaction ?

Noyé : Oui ! C’était notre constitution en tant qu’assemblée. Qui sommes-nous ? Comment sommes-nous ? Que faisons-nous ? Comment nous produisons-nous même ? C’était ça les questions.

Ariel : Par nature le discours sur l’insatisfaction ne peut être qu’insatisfaisant.

Noyé : Dimanche, j’étais satisfait d’avoir signalé à mes correspondants que j’étais insatisfait d’eux.

Rires lourds, gras, veules, serviles.

Noyé : Ça c’était concret !

Ariel : Oui, ça c’était concret.

Silence de deux secondes.

Raouf : Ça devient académique : on est satisfait de parler de l’insatisfaction !

Jacques et Henri ouvrent bouteille sur bouteille, je fume sans demander la permission - Raouf m’imite.

Ariel : Il y a confusion entre l’objet et la méthode. Pour moi, l’insatisfaction est un résultat pas une méthode.

Dynamite : La conférence n’a pas d’objet.

Noyé : Mais un sujet !

Dynamite : Elle devrait être un sujet.

Noyé : Elle manifeste, ou non, sa présence.

Dynamite : Notre conférence est encore enfantine, non développée, elle n’a pas de pouvoir.

Elie : J’ai été dans des groupes militants. Ils parlaient toujours de choses qui n’avaient rien à voir avec leur groupe.

Dynamite : Ils en parlent dans les couloirs, ailleurs, quand ils ne sont pas tous ensemble.

Elie : Le militant accepte l’organisation telle qu’elle est.

Yves Tenret : Chacun va sortir d’ici à un moment donné. Cette réunion va finir dans 8 jours, 15, 6 mois, peu importe. Est-ce que chacune et chacun ne vont pas sortir avec la certitude qu’il est plus que lui-même lorsqu’il est en groupe ? Etre à 40 ou tout seul, ce n’est pas la même chose. Un groupe a plus de force qu’un individu.

Tom : Ou moins, ou moins...

Brame : Nous sommes d’accord.

Yves Tenret : Comment ? Vous êtes d’accord ? Je n’en veux pas de votre accord. C’est à jouer. Dix tarés qui attaquent une banque ne valent pas plus qu’un solitaire rusé qui casse une banque tout seul.

Tom : C’est ce que je disais.

Yves Tenret : Non ! Ce n’est pas vrai. En voilà de l’implicite !

Dynamite : Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’implicite. Mais si 10 c’est comme un, 40 l’est aussi non ?

Yves Tenret : Il faut faire travailler ce nombre, qu’il devienne productif. Je me suis levé ce matin en me disant : est-ce que j’y vais ou pas ? Je suis venu parce qu’il y a ici des gens. Tu comprends ce que je dis ?

Dynamite : Très bien ! Très bien !

Sembene : Il faut du qualitatif entre nous comme dans le film d’Elie.
Raouf : Il y a des moments où l’esprit n’est pas là et la conférence est alors inférieure à la somme des individus présents. Nous restons des individualistes.
Ornas : C’est l’enjeu.

(À suivre)

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