mardi 29 janvier 2013

INTERLUDE



Sur le « procédé »

Revenons à ce « canon énigmatique » ou « rétrograde » tel qu’il est défini par Joseph d’Ortigue dans son Dictionnaire où il est exemplifié, entre autre, par le palindrome latin utilisé par Debord pour titrer son film : In girum imus nocte (ecce) et consumimur igni.

Au début de la rubrique CANON est donnée la définition générale qui n’est pas sans intérêt pour notre propos, la voici :

« Le canon est une composition qui repose sur une imitation rigoureuse de deux ou plusieurs parties les unes à l’égard des autres, de telle sorte que le caprice du compositeur se trouve limité à l’obligation étroite de se soumettre aux règles de l’espèce. […] / Autrefois, ainsi que le remarque Zarlino, on mettait en tête des fugues perpétuelles (qui étaient des imitations canoniques, car la fugue tonale n’existe que depuis la création de la dissonance naturelle), certains avertissements qui marquaient de quelle manière il fallait chanter ces sortes de fugues, et ces avertissements étant les règles de l’espèce (kanonis), s’appelaient canoni ou canone en italien. De là est venu notre nom de canon, qui veut dire règle, dans lequel, comme nous l’avons dit, l’imitation est rigoureuse, tandis qu’elle est périodique dans la fugue tonale. / […] / Après ces règles générales du canon, nous mentionnerons quelques espèces : “Le canon circulaire, qui, après avoir parcouru les douze tons majeurs ou mineurs du système, se trouve au point où il a commencé, et semble ainsi décrire un cercle parfait ; / Le canon perpétuel, qui ne diffère du canon ordinaire que par les dernières mesures de manière que le canon recommence par une voix, pendant que l’autre achève sa résolution. Le canon circulaire est nécessairement perpétuel ; […]”. »

Le canon est donc une sorte de procédé (ou une contrainte, si l’on veut). L’obligation de « se soumettre aux règles de l’espèce » si impérative qu’elle soit doit permettre un certain jeu. Tous les auteurs (Roussel, Pérec, par exemple) qui ont utilisé un procédé d’écriture ne l’on jamais utilisé systématiquement, parce que, une fois le procédé découvert (ou révélé), on est en mesure de lire à découvert tout ce que le procédé avait précisément pour fonction de masquer. Ainsi, se trouve-on face à des irrégularités : des écarts — des libertés pourraient-on dire sans lesquelles il n’y a pas d’art et par conséquent d’œuvre* digne de ce nom : pas d’aura. Le cas de Roussel qui à prétendu révéler Comment [il a] écrit certains de ses livres est exemplaire puisqu’il finit par vendre lui-même la mèche. On a fait remarqué, à juste titre que la compréhension du procédé indique « comment il a écrit, non comment il faut le lire »*.* On voit que l’affaire se complique. Le cas de Pérec est similaire, notamment dans La Vie mode d’emploi où il a révélé un certain nombre de ses fameuses contraintes ; mais on voit bien qu’il ne s’y plie pas toujours.

Pour en revenir à Debord et à In girum, il semble bien qu’il faille aussi s’orienter dans cette direction. Avis aux amateurs éclairés.

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* Dans le système d’Épicure où les atomes tombent parallèlement dans le vide, il faut un clinamen pour« faire monde ».

** Patrick Besnier, Roussel et la langue des oiseaux, Préface à Comment lire Raymond Roussel de Philippe Kerbellec, Jean-Jacques Pauvert et Compagnie.

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