lundi 28 janvier 2013

« In girum » à la lumière du « canon rétrograde » ou Une tentative d’« ouverture » du « canon fermé » / 4



Nous intéresserons à présent aux deux images de jeu qui occupent respectivement la 2e  et la 14e place dans la série des 24 images rassemblées à la fin du scénario d’In girum.



Image 2 – Légende

« On m’avait parfois reproché, mais à tort je crois, de faire des films difficiles : je vais pour finir en faire un. »

Image 14 – Légende

« “C’est si simple les échecs !” »

Le Kriegspiel de l’mage 2 est une création de Debord lui-même. À la fin de Critique de la séparation (1961), il lançait déjà comme un défit : « Je commence à peine à vous faire comprendre que je ne veux pas jouer ce jeu-là. » Debord n’a jamais voulu jouer qu’à (et que) son propre jeu — et en rester le maître. Ce Kriegspiel va réapparaitre à différents reprises dans des configurations différentes.

Ainsi, quand il évoque « l’assassinat de Paris » conjointement à la révolte de mai 68 : « “[…] Il faudra la quitter, mais non sans avoir tenté une fois de s’en emparer à force ouverte ; il faudra la quitter, après d’autres choses, pour suivre la voie que déterminent les nécessités de notre étrange guerre, qui nous a menés si loin.” / Travelling sur un “Kriegspiel” où s’affrontent deus armées. »






 



  Et aussi : « “je me suis donné les moyen d’intervenir de plus loin […].” / Quelques plans rapprochés d’engagements sur un “Kriegspiel”. »






La première apparition de ce jeu vient illustrer analogiquement la difficulté du film que Debord présente : il faudra être plus qu’un simple spectateur pour en pénétrer les arcanes.

L’image 14 est extraite des Visiteurs du soir. Elle se situe juste après l’arrivée du diable au château du Baron Hugues. Après avoir examiné brièvement une partie d’échec en cours qui semble perdue à l’un des joueurs, il met échec et mat son adversaire en un seul coup, d’où sa réplique : « “C’est si simple les échecs !” » Qu’est-à dire ? La réponse est à double sens : les échecs sont un jeu facile ; ou : il est facile de perdre. Mais Debord n’ouvre pas son film sur l’image d’un jeu d’échecs. Si on le compare au Kriegspiel, le jeu d’échecs* n’est justement qu’un jeu ; mais ce n’est pas le jeu auquel Debord veut jouer. Son Kriegspiel est un simulateur de l’« étrange guerre » en cours — plus qu’un simple jeu, c’est un outil : une machine de guerre.

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* « “Et que dites-vous”, répondit le seigneur Gasparo “du jeu des échecs” ? / “C’est certainement un passe-temps honnête et spirituel”, dit messire Federico, “mais il me semble qu’il possède un seul défaut, qui est qu’on peut  y être trop savant, si bien qu’il est nécessaire, je crois, à celui qui veut être excellent dans le jeu des échecs, d’y employer beaucoup de temps, et d’y prendre autant de peine que s’il voulait apprendre quelque noble science ou faire tout autre chose de grande importance ; et pourtant à la fin, avec toute sa peine, il ne saura rien d’autre qu’un jeu. C’est pourquoi je pense qu’en cela il arrive une chose fort rare, qui est que la médiocrité est plus louable que l’excellence.” »

Baldassar Castiglione, Le Livre du courtisan.

(À suivre)

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