vendredi 18 janvier 2013

Guy Debord et le deuil de l’engagement / 12



J’avais proposé une lecture alchimique d’In girum qui a pu sembler aventureuse ; pourtant il faut savoir que l’alchimie est aussi nommée l’Art de Musique. Ainsi le dictionnaire de l’Abbé tombe à point nommé. Comme la métaphore des « semelles de plomb » destinées à se transformer en « semelles de vent ». On sait que le travail de l’alchimiste consistait à parfaire la nature des corps en leur donnant des ailes. On peut aussi rappeler qu’André Breton avait fait inscrire sur sa tombe : « Je cherche l’or du temps. » ? Debord aussi, à sa manière, aura cherché « l’or du temps » dans des « années de plomb » : en vain. Mais laissons cela.

Autre chose. Je voudrais attirer l’attention sur l’un des films détournés dans In girum et qui passe généralement inaperçu, mais que cite en passant Finzi : Il Terrorista (1964) de Gianfranco De Bosio. Des extraits de ce film sont utilisés à trois reprises par Debord de façon évidemment choisies — on notera que ces extraits apparaissent dans un ordre inverse à celui du Terrorista. L’action se situe à Venise pendant l’occupation allemande. On y assiste à différentes actions « terroristes » contre l’armée d’occupation menées par celui qui est désigné comme étant l’ingeniere : l’ingénieur, l’ingénieux (l’homme du génie). Ces trois extraits son les suivants, dans l’ordre de leurs apparitions.



 Extrait 1 (3). Debord en voix off : « Le temps brûlait plus fort qu’ailleurs. On sentait trembler la terre. » Le commentaire des images : « Un conspirateur vénitien dit à sa compagne : “Bientôt nous pourrons passer sur la terre, et alors nous pourrons nous voir un peu plus. » Il s’agit de l’ingeniere et de sa femme avec qui il doit quitter Venise où il est recherché. Celui-ci évoque les années d’avant-guerre : « Les gens avaient cet air ennuyé qui naît de la satiété. […] je me demande si, dans 20, 30 ans… (car pour l’instant out est clair)… je me demande s’il y aura de nouveau une période au cours de laquelle les gens se laisseront endormir, anesthésier, par la paix et l’abondance. […] Et pour une question matérielle les gens sont prêts à abandonner de nouveau leur liberté. Il reste la lutte. Mais nous sommes si peu.  » — Mais c’est tout le monologue de l’ingeniere qu’il faudrait citer.



Extrait 2. Debord en voix off : « Ce que nous avions compris, nous ne sommes pas aller le dire à la télévision. » Le commentaire des images : « Guetteurs et transport clandestin dans un quartier de Venise. » Les « terroristes » acheminent des explosifs sur le lieu d’un attentat (qui va échouer) par la voie de terre.



Extrait 3. (1) Debord en voix off : « C’est ainsi que nous nous sommes engagé définitivement dans le parti du diable […]. » Le commentaire des images : « Travelling sur l’eau, dans un très étroit canal de Venise. » C’est à nouveau un transport d’explosifs, par la voie humide cette fois, destiné à un autre attentat ; les « terroristes » sont déguisés en soldats allemands.

Debord s’identifie manifestement à l’ingeniere qui organise les attentats contre l’armée d’occupation ; et celui-ci est lui-même identifié au diable — qui est le « génie du mal ». Mais dans le « monde à l’envers » son action se révèle positive : il devient un redresseur de tort. L’I.S. est elle-même identifiée au « parti du diable ». La guerre dans laquelle elle est engagée est une guerre sociale ; et les situationnistes sont les résistants et les combattants de cette « cause perdue ». Il n’est pas inintéressant de visionner la totalité du film de Gianfranco De Bosio dont Debord a utilisé des extraits. En effet on peut y voir un parallèle (involontaire étant donné la date du film) avec la situation italienne à l’époque où Debord a tourné le sien. Dans un pays occupé, alors que les différentes composantes politiques coalisés — la question de la prise du pouvoir est sous jacente — tergiversent, se querellent et intriguent pour savoir qu’elle est la conduite à tenir, un groupe de partisans décidés passe à l’action directe sans attendre mettant le Comité de Libération Nationale divisé devant le fait accompli.

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