mercredi 23 janvier 2013

« In girum » à la lumière du « canon rétrograde » ou Une tentative d’« ouverture » du « canon fermé » / 1



À la fin du scénario d’In girum publié dans les Œuvres de Debord (Gallimard), on trouve une série de 24 photos légendées, extraites du film. (On rappellera que c’est le défilement à 24 images par seconde qui crée l’illusion du mouvement.)* Ces images ne sont évidemment pas choisies au hasard et, à travers elle, c’est une sorte d’abrégé ou (de quintessence) de l’œuvre qui nous est présenté. On peut regrouper celles-ci par séries. Les images de combats : 3, 13, 15, 16, 17, 18, 19, 22 où se succèdent des charges de cavalerie ; la 10, où des fantassins se déploient. Les portraits : images 6, 7, 8, 9, 20, 23 et 24 ; dans la première série de quatre, deux des « petites amoureuses » de Debord, Éliane Papaï (6, 9) et une autre (7), et un portrait d’Ivan Chtcheglov ; deux portraits de Debord, un à dix-neuf ans (23) et un autres à quarante-cinq (24). Deux images de jeux : le kriegspiel (2) et les échecs (14). Trois vues aériennes de Paris : Les Tuilleries (4), la rive gauche de la seine (5), et la pointe du Vert-Galant (11). Deux images de Venise : le mur de l’Arsenal (12) ; et la pointe de la Dogana avec la Salute en arrière-plan (21) — mais il convient là aussi d’inverser l’ordre.

*

Arrêtons-nous d’abord sur la première et la dernière, celle-ci renvoyant à celle-là.

1
 


24



Image 1. – Légende

« Rien d’important ne s’est communiquer en ménageant un public, fût-il composé des contemporains de Périclès ; et dans le miroir glacé de l’écran, les spectateurs ne voient présentement rien qui évoque les citoyens respectables d’une démocratie. »

Image 24. – Légende

« En ce sens, j’ai aimé mon époque, qui aura vu se perdre toute sécurité existante et s’écouler  toutes choses de ce qui était socialement ordonné. »

L’image 24 représente Debord à quarante-cinq ans. La particularité de cette photo est qu’elle est prise dans un miroir (par Alice !) : c’est donc une image inversée. Mais c’est aussi une image de l’autre côté du miroir. On y voit un Debord absent : l’air hagard, il ne regarde personne. Elle renvoie à l’image 1 où les spectateurs qui fixent « le miroir glacé de l’écran » sont renvoyés à eux-mêmes. Le film ne leur est pas destiné : De fait, In girum ne s’adresse à personne : Debord est, comme il se doit, l’unique sujet de cet œuvre réflexif.

Passons aux images 12 et 13 qui sont elles aussi sont symétriquement liées.

12



13

Image 12 – Légende

« Quant à moi je n’ai jamais rien regretté de ce que j’ai fait, et j’avoue que je suis encore complètement incapable d’imaginer ce que j’aurais pu faire d’autre étant ce que je suis. »

Image 13 – Légende

« Alors que l’on voyait notre défense submergée, et déjà quelques courages faiblir, nous fûmes quelques-uns à penser qu’il faudrait sans doute continuer en nous plaçant dans la perspective de l’offensive. »

L’image 12 montre le mur de l’arsenal de Venise autour duquel tourne le « Vaisseau des Morts » affrété par Debord ; la 13 ce qui reste de l’armée de Custer « submergée » par les indiens dont le cercle va se refermer sur eux. Ces deux images se répondent. « Maintenant, il faut des armes … », ce dialogue d’une image à l’autre a quelque chose de dérisoire comme la navigation de ce « Vaisseau des Morts » autour d’un Arsenal où il est désormais inutile de pénétrer.

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* « L’avancée du film par mouvement saccadé s’effectue sur un projecteur grâce à un tambour denté dont les dents sont engagées dans les perforations de la pellicule. Pour que ce tambour puisse effectuer une telle rotation intermittente, il est solidaire d’une came spéciale appelée Croix de Malte. Cette croix est mise en mouvement par un “doigt” qui, en tournant, s’engage dans l’échancrure de la croix, et fait tourner cette dernière d’un quart de tour (1er temps), puis ramène la base de la croix sur l’épaulement du plateau pour verrouiller la position du photogramme devant la fenêtre (2e temps : 1/48e de seconde). Ce dispositif enchaînant, 24 fois par seconde, “arrêt” et “mouvement” est inhérent au principe même du cinéma,, dans la mesure où il permet au spectateur, par une opération mentale, de reconstituer la totalité du mouvement des personnages à l’écran. » (Richard Khaitzine, La Langue des oiseaux, Tome II, De l’alchimie du verbe à la permutation des mots, Dervy Poche.)


(À suivre)

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