lundi 7 janvier 2013

Guy Debord et le deuil de l’engagement / 3



Avant de poursuivre, je voudrais ouvrir une parenthèse. Je suis tombé récemment sur une des chroniques littéraires que faisait Michèle Bernstein pour Libération où elle rend compte de : Pour Guy Debord, ouvrage de Cécile Guilbert : c’est un texte désinvolte mais qui se révèle pourtant assez venimeux pour cette pouliche de l’écurie Sollers, si on y regarde de plus près. On peut lire cette chronique à l’adresse suivante :


Fin de la parenthèse.

Mais puisqu’on évoquait Sollers restons avec celui qui a été le grand promoteur de la debordomania dans une certaine intelligentsia. Finzi note dans l’un des chapitres de son étude intitulé : L’échec consubstantiel à la néo-avant-garde : « Cet horizon d’échecs qui s’exprime dans In girum d’une manière à la fois formelle, comme nous allons le voir, et métaphorique par des détournements spécifiques s’inscrit dans une crise plus large de la pensée avant-gardiste, de son héritage et de son souvenir. Ainsi, celui que le haut-modernisme français a sacré “pape de l’avant-garde” prononce-t-il à l’hiver 1977 une oraison funèbre de la production avant-gardiste dans le temple du Centre Pompidou récemment inauguré. Philippe Sollers y déclare en substance que la saturation de l’horizon rationnel de la pensée des deux grands systèmes interprétatifs que sont le marxisme et la psychanalyse signifie la fin de cet horizon rationaliste et donc la fin des avant-gardes. » Ce qui veut dire que la route est libre pour les récupérateurs de son genre — et en tous genres.

Finzi poursuit en resituant le contexte dans lequel apparaît In girum : « Lorsque Debord s’attaque à l’écriture du scénario d’In girum, il y a plus de six ans que les mal-nommées Trente Glorieuses et leur assurance de prospérité économique sont attaquées […]. » ; avant cela il y aura eu mai 68 ; puis la « révolution des œillets » qui, au-delà de l’échec de la révolte de mai, fera renaître brièvement l’espoir d’une révolution en Europe jusqu’à ce que tout redevienne « si mauvais » — rétrospectivement Debord parlera des « répugnantes “années soixante-dix” » dont le mot d’ordre sera : la « survie » à tout prix. Finzi écrit : « Dans sa thèse sur la figure de l’intellectuel dans l’après-mai 68, François Hourmant* montre bien comment progressivement, au travers d’une série de thème qu’elle installe dans les débats et les médias, l’intelligentsia progressiste remet radicalement en question après l’onde de choc des mois de mai et juin 1968 les certitudes sur lesquelles s’était bâti son engagement après la Seconde Guerre Mondiale – modèle sur lequel elle fonctionne encore, celui du Sartre de Qu’est-ce que la littérature ? Debord, on le verra, finit par suivre la mutation commune à une grande partie de l’intelligentsia française de gauche – même si la lisibilité en semble réduite dans In girum du fait que l’actualité internationale n’y est pas abordée. In girum présente néanmoins Debord comme le modèle du dissident intérieure. »

Il ajoute pour finir : « François Hourmant note que “l’identification à la dissidence offre la possibilité d’effectuer, à un moindre coût, un travail de deuil : elle permet le transfert d’un modèle jusqu’alors valorisé et valorisant (le révolutionnaire) à un nouveau modèle ennoblissant (le dissident).” Cette nuance, ce déplacement des fonctions de l’intellectuel est révélatrice, dans une vague d’anticommunisme violent, du mouvement plus général de reflux des clercs se traduisant dans la sphère médiatique par l’abjuration du maoïsme, la vogue de la thématique antiautoritaire, l’antimarxisme institutionnalisé, [l’éclosion] de la nouvelle philosophie et l’engouement pour l’humanitaire, la conversion américaine avec la perception “dissidente” du multiculturalisme et de l’art postmoderne. »

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* « Hournant François, Le Désenchantement des clercs, figures de l’intellectuel dans l’après-mai 68, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, collection “Res Publica”, 1997. »

(À suivre)

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