jeudi 3 janvier 2013

Documents situationnistes – La révolte des garnaultins comme si vous y étiez / 6


Annexes

3. De la merde en milieu situationniste

Pékin, 20 septembre.

« Trente gardes rouges Shenyang (Mandchourie), venus à Pékin pour y apprendre l’expérience de la grande révolution culturelle chinoise, se sont fait vidangeurs lundi dans cette ville et ont accompli toutes les opérations que comporte cette profession sou la conduite de Shin-Chuang-Hsiang « le vidangeur modèle de toute la Chine », annonce l’agence Chine Nouvelle. […] Avant de las accompagner dans leur tournée à travers la ville, Shin-Chuang-Hsiang a expliqué aux gardes rouges l’importance des tâches qu’ils devaient accomplir, et leur a dit : « En vidant les latrines, vous aidez non seulement à faire un travail de nettoyage, mais à déraciner aussi la capitalisme et le révisionnisme, que nous devons extirper de tous les coins de notre pays. »

Le Monde du 21/9/66.


L’internationale situationniste nous impose un niveau de polémique particulièrement bas, en jouant sur les illusions que son « prestige révolutionnaire savamment » entretenu a pu répandre. Qu’à cela ne tienne. À l’opposé de ces mystiques qui ferment les yeux et se bouchent le nez devant leur propre merde, ou s’efforcent  pour s’en purifier de la concentrer sur un bouc émissaire qu’il suffirait alors d’expulser pour se retrouver plus beau qu’avant, nous allons rendre la merde plus honteuse encore en la livrant à la publicité.

Il n’y a pas de prestige qui résiste à la vérité de la pratique et à la pratique de la vérité : elle seule est révolutionnaire.

La petite circulaire d’« exclusion » répandue par l’I.S. se trouve être visiblement falsificatrice sur deux points au moins :

     Nous avons démissionné, manifestant par la notre rupture avec les pratiques actuelles de l’I.S. Il n’y a eu à aucun un vote quelconque, sauf peut-être après notre départ ; c’est tout juste si un Debord en passe d’attraper la jaunisse a déclaré timidement que « démission et exclusion, c’est la même chose », allégation à laquelle il fut répondu que NON. Un tract diffusé dans la même journée affirmait nos positions face à l’I.S. et au monde.
     Elle es grossièrement antidatée : c’est le jeudi 16, aux premières heures, que nous avons donné notre démission et quitté immédiatement les lieux, malgré les invitations qui nous furent faites de poursuivre un dialogue sur les nouvelles bases créées par notre démission.

Ce sont là deux mensonges indiscutables ; les mensonges de Khayati le sont tout autant, mais mieux dissimulés, ce Khayati dont la petitesse dans la vie quotidienne reconnue par tous (réunion formalisée du mardi 10 janvier), se trouvait tacheté aux yeux de Debord par d’autres qualités, théoriques celles-là (sic), notamment comme rédacteur unique de la brochure collective publiée par l’A.F.G.E.S. !

Quel que soit le poinr de vue auquel on se place, Khayati ment : il rapporte inexactement des détails et même si ces détails avaient été « exactement » rapportés, il n’en aurait pas moins menti sur l’ensemble d’une situation qu’il connaissait bien, en réduisant une tentative de critique globale de l’I.S., à une psychose d’exclusion dont il a été le seul à présenter les symptômes. Si Khayati a entrepris de lancer des calomnies particulièrement basses contre deux membres de l’I.S., c’est dans des buts tactiques et pour camoufler ses propres manœuvres. La vérité de ces pauvres mensonges réside dans le mensonge plus global des rapports « politiques » dans lesquels l’I.S. s’est enlisée. Mustapha Khayati, soucieux de s’élever dans la hiérarchie occulte de l’I.S., et n’en imaginant la critique que sous la forme d’un travail de sape effectué en son sein pour rogner les prérogatives enciées du chef, en était réduit à pratiquer l’entrisme le plus plat assorti d’un non moins grossier usage de la double pensée.

Notre critique, qui se situe dans la perspective historique du mouvement révolutionnaire, a été communiquée par le tract déjà cité : « La vérité est révolutionnaire », et sera plus largement développée dans un texte à paraître incessamment.

La critique intérieure et la critique extérieure se rejoignent maintenant dans le même mouvement : le point de vue développé par les anciens membres de dernier bureau de l’A.F.G.E.S. dans leur texte : « Vous vous foutez de nous, vous ne vous en foutrez pas longtemps » est indissolublement lié au nôtre : une seule et même critique d’une situation de mensonge générale.

Cet ensemble de mensonges « politiques » assumé par tous les signataires de la petite circulaire antidatée du 15 janvier 1967 déconsidère à tout jamais ses auteurs d’un point de vue révolutionnaire.

Strasbourg, le 19 janvier 1967.

Herbert Holl, Jean Garnault, Théo Frey



4. Rien que la merde, mais toute la merde

« Cette manière de voir exclut aussi la réflexion dite psychologique qui, servant au mieux l’envie, sait expliquer par le fond du cœur tous les actes et leur donner la forme subjective en sorte que leurs auteurs auraient tout fait, par suite d’une pasion petite ou grande, d’une affection, et n’auraient pas été à cause de ses passions et de ces affections des hommes moraux […].Ces psychologues s’attardent ensuite aussi surtout à prendre en considération les particularités des grandes figures historiques, celle qui leur reviennent en tant que personnes privées. »

G.W.F. Hegel, Introduction à la philosophie de l’histoire.

Le jour où l’Internationale situationniste répandait sa petite circulaire antidatée qui déjà se voulait définitive, nous diffusions au maximum un texte motivant notre démission, « La vérité est révolutionnaire », ridiculisant par là leur prétention à nous réduire au silence par un premier mensonge, celui de notre exclusion. Décidés à les confronter à leurs propres falsifications, nous avons alors publié « De la merde en milieu situationniste » qui expose des faits indiscutables sur lesquels nous ne reviendrons pas.

Mais gens n’en sont pas à un trucage près pour faire accréditer leur thèse : ainsi pour Edith Frey ; dans un premier temps, on « oublie » la démission d’Edith absente lors de la dernière réunion, démission annoncée par ses camarades devant tous ; le tract signé par les quatre démissionnaires ayant déjoué cette manœuvre, on essaye dans une deuxième temps de faire comme si elle n’avait jamais été membre de l’Internationale situationniste ; elle ne serait donc que la première à s’être compromise dans la compagnie de ceux qu’on a osé, par un véritable délire falsificateur, qualifier de truqueurs. Il se trouve que l’escamotage de ce détail était indispensable à la représentation cohérente de leur mensonge : la reconnaissance de la démission d’Edith eut rendu singulièrement plus malaisé la tentative de présenter la démission des trois autres comme un accident dans l’histoire de l’I.S., comme la pure et simple exclusion de trois menteurs.

Depuis ils ont fait beaucoup mieux. Soucieux de garder à tout prix le monopole de la pensée révolutionnaire, les situationnistes ne pouvaient tolérer une rupture trop bien motivée (« L’Unique et sa propriété », quand il paraîtra, en précisera le sens et la portée). Face à un tel défi, ils ont alors engagé en bloc leur « prestige » et toute leur « rigueur » pour essayer de nous la boucler une fois pour toute.

Les bruits les plus extravagants circulaient dans les milieux les plus louches : on allait nous ridiculiser définitivement. Nous attention la chose avec curiosité ; notre attente n’a pas été déçue : ils ont été ridicules comme jamais. Enfin, pour comble, les exécuteurs de leurs basses besognes se trouvent être :
     le curé Joubert, dont l’Internationale situationniste affirmait dan son numéro : « Il suffit de savoir que ce Joubert de Strasbourg est l’animateur d’une revue protestante moderniste qui se pique de citer parfois l’I.S. ou Marx. Au premier instant où de telles larves théoriciennes ont essayé de nous approcher, elles se sont entendues répondre que nous ne dialoguerons jamais avec des curés aussi aberrants qu’ils soient ou puissent devenir » (souligné par nous).
     un Bertrand, dont l’hostilité miséreuse à l’égard de l’I.S. s’est mué en aplatissement dès qu’on lui en a ouvert un soupirail,
     un Schneider, qui pousse le masochisme jusqu’à traiter de « compilation idéologique » un texte qu’il a contribué à écrire, cautionne tout ce beau monde avec la rigueur qui lui est désormais reconnue.

La façon dont ces trois crétins mènent la lutte I.S. contre nous est grotesque :
     impliquer et faire prendre parti un maximum de gens contre nous, sans aucune considération qualitative,
     étaler sur les murs de Strasbourg leur pauvre tract flicard, auquel, pour leur, donner une leçon, nous avons immédiatement accolé son digne complément un « produit des Scheidemann-Noske » que dans leur extrême crédulité ils ont pris pour un tract nazi.

Tous ces faits donnent la mesure de l’incohérence et du désarroi présent dans une I.S. qui écrivait jadis dans son numéro 6 : « Pour venir nous parler, il convient donc de ne pas être déjà compromis soi-même, et de savoir que, si nous pouvons nous tromper momentanément sur beaucoup de perspectives de détail, nous n’admettrons jamais d’avoir ou nous tromper sur le jugement négatif des personnes. Nos critères qualitatifs sont bien trop sûrs pour nous permettre d’en discuter. »

Le tract lui-même ne vaut guère mieux que ses placardeurs, et comment pourrait-il en être autrement ? C’est aussi le plus mauvais texte publié par l’Internationale situationniste. Tout le mensonge de la version debordienne des événements apparaît déjà au niveau de l’expression. L’apparence de rigueur logique obtenue à grand renfort de d’« après quoi », « donc », « ainsi », « ainsi donc » ne suffit pas à masquer le vide du contenu : des inférences à partir de démonstrations absentes. C’est un délire logomachique où les faits apparaissent soit comme des mensonges délibérés, soit dans un embarras inextricable que révèle la gêne dans les mots et la lourdeur inhabituelle des calembours. Mais ce qu’il y a de plus con, et finalement de plus salaud dans ce placard, c’est encore ce mélange de psychologie de « maître d’école » et psychologie policière. Il ne juge que ses auteurs.

On comprend que dans ces conditions il ne leur reste qu’à faire le plus large appel à un crédit dont le moins qu’on puisse est qu’il ne risque pas de s’user très rapidement à un tel usage. En « engageant délibérément » toute sa « rigueur » dans un texte qui en est si totalement dépourvu, l’Internationale situationniste présente aux yeux de tous l’image de sa propre décomposition.

Cette dégradation se manifeste à toutes les lignes d’un texte dont ou peut encore s’amuser à relever quelques inepties :
     on assiste par exemple à un décalage par rapport à la version initiales des « faits » : nous ne serions plu seulement des menteurs mais aussi et surtout des idéologues (ceci impliquant d’ailleurs un usage assez grossier du concept). L’Internationale situationniste nous refait ici le coup de la catharsis, Debord, tel un prestidigitateur utilise les trucs les plus éculés ; pour masquer magiquement les insuffisances de l’Internationale situationniste, il accueille toute critique interne comme une manifestation de l’insuffisance de ceux qui la portent. Dans cette même « logique », il suffit alors d’« exclure » dès la formation d’une idéologie de la cohérence ceux qui ont su la déceler. Cette idéologie de la cohérence, apparaissant dans un milieu qui prétendait y échapper, ne fait que traduire et renforcer la cohérence de l’idéologie globale.
     Après quoi, on ne craint pas de nous appeler « étudiants », dans un passage particulièrement risible lorsqu’on connaît la « pratique » bornée de Paris (réunions sous- mondaines alternant avec réunions « formalisées », projet d’ouverture d’un ciné-club, etc.), et alors que personne n’ignore en quoi a consisté le parachèvement de notre « vie étudiante » à Strasbourg (Cf. le tract « Et ça ne fait que commencer »).
     Après quoi, on sombre dans le ridicule avec la révélation de nos mobiles les plus secrets : nous nous serions opposés en ennemis sournois à toutes les capacités réelles que nous envierions ! Serait-ce le manque de savoir-vivre de Vaneigem, la sotte naïveté de Nicholson-Smith, l’à-propos de Bernstein, proposant une révolution culturelle en pleine conférence de l’Internationale situationniste, quinze jours avant que la vraie n’éclate en Chine ? Nous aurions pu à la rigueur être jaloux de Viénet qui est le plus intelligent, mais sûrement pas de Debord qui est le plus bête.

Tout cela n’est pas sérieux.

À Strasbourg, le 2 février 1967.

Théo Frey, Jean Garnault, Herbert Holl, Edith Frey

*

Dans ces Annexes, on trouvait le tract-affiche : « Attention ! Trois provocateurs et son complément : Un produit des Scheidemann-Noske ». On peut lire le texte du tact-affiche (entre autres choses) à l’adresse suivante :


Quant à « Un produit des Scheidemann-Noske », il s’agit de la reproduction bilingue (allemand-français) d’une affiche anti-spartakiste : « Appel à tous les étudiants en état de porter les armes ! » dont le texte français se prolongeait ainsi :

« En placardant sur les murs de Strasbourg sont tract flicard : “Attention ! Trois provocateurs”, l’Internationale situationniste s’est engagée dans la voie de sa petite révolution culturelle. Puisse ce produit des “Scheidemann-Noske”, aussitôt accolé, contribuer à ses efforts méritoires en vue de soulever la masse des étudiants contre ses vrais ennemis. »


(À suivre)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire