mercredi 30 janvier 2013

« In girum » à la lumière du « canon rétrograde » ou Une tentative d’« ouverture » du « canon fermé » / 5



« On m’avait reproché, mais à tort je crois, de faire des films difficiles : je vais pour finir en faire un. À qui se fâche de ne pas comprendre toutes les allusions ou même qui s’avoue incapable de distinguer nettement mes intentions, je répondrais seulement qu’il doit se désoler de sa stérilité et non de mes façons ; il a perdu son temps à l’université, où se revendent à la sauvette des petits stocks de connaissances abîmées. » Cette annonce liminaire est faite par Debord juste avant qu’il n’entre dans le « vif du sujet » de son film : lui-même ; en même temps qu’apparaît pour la première fois à l’écran le Kriegspiel « où deux armées sont déployées ». C’est dire qu’elle doit être prise au sérieux. Pourtant, à suivre le déroulement du film, il ne semble pas présenter de difficulté particulière — il est même plus facile et plaisant à voir que La Société du spectacle qui est nettement plus austère. Alors où donc réside la difficulté ? Si ce n’est pas dans la narration proprement dite, c’est dans la manière de raconter l’histoire qu’il faut chercher : dans le montage.



 On en revient au procédé auquel il est fait allusion à travers un extrait tiré d’une série B des Aventures de Zorro. On y voit le héros masqué se saisir d’une mitrailleuse et la retourner contre ses adversaires. La voix off de Debord : « Ainsi donc, au lieu d’ajouter un film à des milliers de films quelconques, je préfère exposer ici pourquoi je ne ferais rien de tel. Ceci revient à remplacer les aventures futiles que conte le cinéma par l’examen d’un sujet important : moi-même. » Cette scène de  retournement située précisément au début de l’histoire — ce qui précède n’en est que le prologue — renvoie à l’incruste finale : « À reprendre depuis le début. », que Debord commente ainsi : « […] le mot reprendre a ici plusieurs sens conjoints dont il faut garder le maximum. D’abord : à relire, ou revoir, depuis le début (évoquant ainsi la structure circulaire du titre-palindrome). Ensuite : à refaire (le film ou la vie de l’auteur). Ensuite : à critiquer, corriger, blâmer. » Il faut surtout retenir que « reprendre » fait référence à « la structure circulaire du titre-palindrome » — ce qui implique effectivement de « relire » et de « revoir ». Quant à « refaire », s’il est toujours possible de refaire un film, on voit mal comment l’auteur pourrait « refaire sa vie ». Pour ce qui est de « critiquer, corriger, blâmer », on se souviendra que Debord s’est flatté de faire une œuvre qui soit au-dessus de toute critique.

Mais « la structure circulaire du titre-palindrome » est aussi la structure de l’œuvre qu’elle titre. C’est la même structure que celle du « canon énigmatique » qui comme le rappelle Joseph d’Ortigue à la fin de son article est une variété spéciale du « canon circulaire » et du « canon perpétuel ».

(À suivre)

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