vendredi 30 décembre 2011

Une lecture alchimique d’In girum imus nocte et consumimur igni / 6

6. Les « petites amoureuses »

C’est dans cette thématique de la « chevalerie amoureuse » qu’il faut replacer l’évocation appuyée qui est faite par Debord dans In girum à ses « petites amoureuses » dont les images apparaissent à plusieurs reprises en des endroits choisis du film.

Nous allons en suivre le déroulement.

Pendant l’évocation par la voix-off de Debord des « charmants voyous et [d]es filles orgueilleuses » qui l’entouraient. Une séquence où : Une fille passe dans une rue, la nuit. Que suit l’évocation d’une chanson de prisonniers entendue en Italie : « C’est là que sont les petites filles qui te donnent tout […]. » sur laquelle apparaît un visage : Une mineure détournée ; suivie d’une photographie d’Andreas Baader et Gudrun Ensslin qui est appelée par la chanson des prisonniers : « La plus belle jeunesse meurt en prison. ».

Vient ensuite : Celle qui était la plus belle cette année-là.* L’liimage reste à l’écran tout le temps que Debord cite un extrait du Panégyrique de Bernard de Clairvaux : « Elle fuit, elle fuit, comme un fantôme […] ... Bernard, Bernard, disait-il, cette verte jeunesse ne durera pas toujours… ».

Une séquence des Visiteurs du Soir : Gilles et Dominique vont vers le château où ils porteront tant de trouble, sur la musique de leur chanson, « Tristes enfants perdus ». « Nous sommes donc devenus les émissaires du Prince de la Division […]. », dit la voix de Debord. La même revient : nouvelle apparition du visage de « la plus belle ». Cette arrivée des « Visiteurs », qui descendent lentement à cheval vers le Château du baron Hugues est une évocation allusive quoique transparente au couple que Guy Debord formait avec Michèle Bernstein ; comme ailleurs la mention : Le Passage de Clairvaux — où ils ont habité ensemble — sur une plaque de rue. (Il y a peut-être une autre allusion avec l’extrait du Panégyrique de Bernard de Clairvaux qui renverrait au Passage.) Il faut citer encore la séquence suivante du même film qui renvoie aussi à leur couple : « Les autres nous aiment ; ils souffrent pour nous ; nous les regardons ; nous nous en allons. Joli voyage, le diable paye les frais. » On ne verra le visage de Michèle Bernstein qu’une seule fois dans tout le film ; encore qu’elle n’apparaît que sur une photo de groupe chez Moineau, et sans que son prénom — ni son nom — ne soit jamais mentionnés. Le commentaire des Œuvres cinématographiques complètes précise pour les clichés concernés : Le visage de Celeste ; puis d’autres filles dévêtues ; Une jeune amante d’autrefois. Une autre contemporaine. D’autres amies du temps passé. Ce passage est associé à une nouvelle séquence des Visiteurs du Soir où l’on entend Gilles emprisonné reprendre la complainte entendue précédemment : « Tristes enfants perdus, nous errons dans la nuit. Le diable nous emporte loin de nos belles amies. » L’apparition de la photo où se trouve Michèle Bernstein coïncide avec ce vers de la complainte : « Notre jeunesse est morte, et nos amours aussi. », immédiatement suivie d’un portrait du jeune Debord.

Plus loin : Une autre errante. Une de ces « beautés qui ne reviendront pas », dit le commentaire.

Plus loin encore, on verra Alice et Celeste à Florence — « une des meilleures villes qui furent jamais ». Puis : Une florentine. Le commentaire cite La Divine Comédie : « Je revois celle qui était là comme une étrangère dans sa ville. » ; et Debord évoque pour finir son propre exil : « Et moi aussi, après bien d’autres, j’ai été banni de Florence. »

_____________________

* Éliane Papaï dont la rencontre a été particulièrement marquante pour Debord, son visage revient à plusieurs reprises au cours du film :

« Éliane était une révoltée, fille d’émigré hongrois d’avant-guerre qui était vitrier miroitier. Sa mère est morte relativement jeune d’un cancer. Elle était espagnole. Il y avait donc en elle un mélange hongro-espagnol qui pouvait être assez volcanique. […] Éliane s’est retrouvée dans un Bon-Pasteur, dans le seizième je crois, et elle était censée suivre des cours de dactylo, de secrétaires, le boulot classique pour les filles. […] Et puis de fil en aiguille elle s’est évadée du Bon-pasteur […]. Voilà, donc Guy l’a connue au moment où… avant qu’elle s’évade du Bon-pasteur. »

Jean-Michel Mension, La Tribu, Allia.

Jean-Michel Mension, apportera ailleurs, à propos d’Éliane Papaï, les précisions suivantes : « À la première occasion, elle se pointait dans la quartier et retrouvait Debord. Probablement par prudence il ne fumait pas de hasch, ou alors du bout des lèvres. Mais Éliane était passionnée par ce produit et nous allions fumer quelques heures sous le pont pour éviter la brigade des mineurs du commissaire Marchand. […] / Et ce qui devait se passer se passa. Fumant sous un pont, nous nous retrouvâmes une nuit chez Raymond Hains, couchés et faisant l’amour. Debord fit une tentative de suicide raté réussie, et partit se reposer quelques jours à cannes chez ses parents. » (Le temps gage, moisson rouge Éditions Noesis.)


(À suivre)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire