2.
Annie Le Brun insiste, à juste titre, sur le fait que « dès 1928 Breton se réclame de l’alchimie pour ne jamais s’en dédire » ; et que « l’insistance avec laquelle il y revient après la guerre est des plus significatives » parce qu’elle marque « la distance qu’il prend alors délibérément avec une réalité de plus en plus soumise à la rationalité technicienne, à la faveur autant des idéologies de gauche que de droite ». Contrairement aux situationnistes qui prétendaient « prendre de vitesse » le changement technicien en le doublant sur sa gauche, elle rappelle aussi qu’en 1958 pendant que les surréalistes « s’illustr[aient] avec le tract “Démasquez les physiciens, videz les laboratoires !” », les situationnistes, avec Asger Jorn, prônaient les « possibilités révolutionnaires de l’automation » ; ce qui les menaient « à préconiser la “lutte pour le contrôle des nouvelles techniques de conditionnement” ».
Et Annie Le Brun met le doigt sur la différence essentielle qu’il y a entre « l’utilisation rhétorique voire esthétique de la référence alchimique par Raoul Vaneigem ou Guy Debord et l’intérêt d’André Breton pour un courant de pensé qui s’est développé clandestinement et en discordance totale avec le choix rationnel de la civilisation occidentale ». En effet l’alchimie, loin des caricatures qui en sont faites — et auxquelles n’échappe pas (malheureusement) Mandosio qui est pourtant une sorte de « spécialiste »* en la matière — a représenté, au moment clé de la Renaissance, une « voie moyenne », une alternative, dirait-on aujourd’hui, à cette « rationalité technicienne » qui allait bientôt tout emporter sur son passage et à laquelle nous devons le monde dans lequel nous sommes enfermés aujourd’hui. Au-delà de tout folklore l’alchimie, et plus généralement l’hermétisme** dont elle procède, constitue un courant de pensée orignal qui a connu une longue postérité dans le temps, de l’antiquité jusqu’à nos jours.
(À suivre)
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* Sa notice wikipédia indique qu’il est « spécialiste de la littérature néolatine » ; mais elle ne fait pas mention de sa participation à la revue Crysopoeia consacrée, comme son nom l’indique à l’alchimie où il a signé plusieurs articles (Tome IV, un ; et tome V, ou son nom apparaît trois fois)
** « Autonome par rapport au christianisme, l’hermétisme reconnut et intégra néanmoins nombre de symbole et aspirations propres au Mystère chrétien ; la mort et la résurrection du Christ devenant l’expression emblématique du désir de régénération, spirituelle et matérielle, motivant la recherche de la Pierre philosophale. […] Aussi semble-t-il avoir en fait rassemblé au cours des siècles de l’histoire occidentale une famille d’esprits avant tout désireux de “travailler”, alchimiquement parlant, au dépassement de toute forme de dualisme. / […] Fondamentalement ouvert à la pluralité, l’hermétisme n’en est pas moins orienté par un constant et ardent désir d’unité qui donna entre autres naissance à la quête philosophale dont le stade ultime fut indifféremment nommé Grand Œuvre, Pierre, Or. […] / En tant que vision du monde fondée sur les “correspondances” et “sympathies” unissant le macrocosme et le microcosme, l’hermétisme connut en effet en occident, entre le XIVe et le XVIIe siècle, un glorieux renouveau antérieur puis parallèle à ce qu’on nomme classiquement Renaissance, où est censée avoir été modelée la figure de l’homme moderne. »
(Françoise Bonardel, La Voie hermétique, Dervy poche.)
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