mardi 6 décembre 2011

À propos du livre de Jean-Marc Mandosio : Dans le chaudron du négatif et des remarques faites à son sujet par Annie Le Brun / 3

3.
Mandosio peut écrire par exemple sans sourciller : « Le Grand Œuvre est, avec la quadrature du cercle, l’exemple par excellence de la vaine recherche d’une chose impossible. » On reste d’abord confondu que quelqu’un que l’on pouvait supposer être en sympathie avec un tel sujet puisse en même temps le récuser de cette manière-là. Mais la suite est du même tonneau : « Pourquoi alors les situationnistes se sont-ils référés à l’alchimie, qui semble à première vue le plus mauvais modèle que puisse adopter une théorie révolutionnaire tant soit peu soucieuse d’efficacité ? » ; où la dépréciation se précise et pointe vers sa cible : l’alchimie est le « plus mauvais modèle » à suivre pour une organisation révolutionnaire. On fera remarquer que, si la référence à l’alchimique chez Debord et Vaneigem est purement formelle — rhétorique et esthétique comme le dit Annie Le brun —, il ne pouvait, en toute état de cause, s’agir pour eux de suivre un modèle aussi calamiteux ; mais seulement de revêtir leur propre faillite de « nouveaux habits ». Mais ce n’est pas là l’explication à laquelle s’arrête Jean-Marc Mandosio parce qu’elle ne suffit pas à sa démonstration. Il donne comme une « première raison — la plus évidente du choix de l’alchimie comme pivot d’une théorie révolutionnaire » le fait que la caution de la psychanalyse et du surréalisme réuni a permis à celle-ci de « retrouver au XXe siècle […] le crédit qu’[elle] avait depuis longtemps perdu dans le domaine physique de la transmutation des corps » — dont Mandosio vient de déclarer catégoriquement l’impossibilité*. Mais, tout à sa diatribe anti-alchimique, il ormet de signaler que la « psychanalyse » dont il parle n’est pas celle de Freud mais la psychologie analytique de Jung. Annie Le Brun pointe à juste titre la confusion faite entre les deux — voulue en l’occurrence puisque Mandosio reviendra par la suite nommément sur le rôle éminent qu’a joué Jung dans la renaissance de l’alchimie** ; en passant il se méprend sur la signification jungienne des archétypes « structurant l’inconscient collectif » qui selon lui « se maintiendrait toujours égal à lui-même, à travers les âges » en prétendant qu’ils signifieraient une négation de l’histoire. Si les archétypes sont effectivement une structure, des patterns of behaviours, elles ne sont en réalité que des formes vides, des préformations, qui attendent une actualisation ; et cette actualisation n’implique en rien qu’elle doive se réaliser toujours de manière identique ou, pour le dire autrement : même si la trame de l’histoire reste la même, cela n’empêche pas les aventures qui sont racontées d’être multiples et variées, pleines de rebondissements , de « bruit et de fureur » : de vie, pour tout dire. Mais tout cela intéresse peu Mandosio, plutôt occupé qu’il est de solder les comptes de l’Encyclopédie des Nuisances avec les situationnistes en général, et Debord / Vaneigem en particulier. C’est pourquoi sa tentative de rapprocher ceux-ci de l’alchimie, pour intéressante qu’elle soit, tombe finalement à plat.


(À suivre)

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* Pourtant ce qui était « impossible » aux alchimistes, la physique moderne a pu le réaliser — certes en mettant en œuvre une énergie considérable et grâce à appareillage sans commune mesure avec le leur. C’est ainsi que les physiciens nucléaires transforment couramment des noyaux d'atomes en d'autres noyaux d'atomes. Une transformation survenue dans le noyau se répercute aussitôt au niveau de l'atome qui change ainsi de nature chimique. Ce changement de nature fut observé pour la première fois par Rutherford en 1900. En même temps qu'il prouvait la validité de l'hypothèse atomique, jusque-là l'objet d'âpres controverses, il jetait à bas un des dogmes les plus fondamentaux de la physique d'alors : l'immuabilité de la matière et de ses atomes. Aujourd'hui, la transmutation est monnaie courante pour les physiciens. Rien ne leur interdit en principe du transformer du plomb en or ; mais de leur point de vue cela est évidemment sans intérêt.

** Jung qui curieusement refuse lui aussi d’admettre la réalité de la transmutation, ce qui l’amène à psychologiser totalement le processus alchimique au grand dam d’Eugène Canseliet qui écrit : « Le gros volume de Carl-Gustav Jung, Psychologie et Alchimie, nous apparaît non plus ni moins nocif qui dans une très personnelle et fragile interprétation, réunit, cependant une foule d’extraits d’ouvrages […]. / En dehors de cela, de ce maigre butin, que pourrait bien attendre l’étudiant en alchimie, et à fortiori, l’operateur soucieux de toute vérification dans le laboratoire, que pourraient-ils attendre tous deux, d’un écrivain spéculatif qui a si peu compris la Science, qu’il prétend la soumettre à son acrobatie psychologique et la ramener  simplement aux dimensions réduites de ses procédés banaux et de ses fallacieuses inductions ? […] / Combien fallut-il que Carl-Gustav Jung eût été mené, lui aussi, par le parti pris et la suffisance semblablement aveugles et irréductibles, pour qu’il n’eût pas su rapidement déceler, sous la trompeuse apparence de diversité, l’identité et l’harmonie indéniables des opérations physiques et chimiques, auxquelles s’appliquèrent, dans le cours des temps, les Philosophes par le feu ! » (Eugène Canseliet, L’Alchimie expliquée sur ses textes classiques, Pauvert.)

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