jeudi 1 décembre 2011

Lectures — Ailleurs et autrement

Dans Alchimie de secours, publié initialement dans la n°868 de La Quinzaine littéraire, Annie Le Brun écrit à propos du livre de Jean-Marc Mandosio, Dans le chaudron du négatif :

[…] / Ainsi, l’intérêt de cette analyse est autant d’avoir repéré la fonction salvatrice et maquillante de la métaphore alchimique afin d’élégamment passer outre à toute contradiction que d’établir à quel point cette référence à l’alchimie se manifeste très tôt dans la théorie situationniste. Sans doute de façon de plus en plus évidente chez Raoul Vaneigem qui utilisera la recette jusqu’au ridicule (son Chevalier, la Dame, le Diable et la mort en est le pitoyable exemple), mais encore de manière autrement sophistiquée chez Guy Debord avec des emprunts à l’alchimie, et pas seulement à travers le cycle arthurien comme le montre bien Mandosio, qui vont progressivement lui permettre le colmatage lyrique d’une pensée dont la rigidité rationnelle résiste de moins en moins à l’idée du passage du temps devenue pour lui obsédante. / À cette occasion, Mandosio fait apparaître à juste titre la dette envers le surréalisme que les situationnistes ont soigneusement tue, à ce propos comme à bien d’autres. Reste que concernant l’alchimie, la filiation est d’abord formelle. Au point qu’il est difficile de faire un véritable parallèle entre l’utilisation rhétorique voire esthétique de la référence alchimique par Raoul Vaneigem et Guy Debord et l’intérêt d’André Breton pour un courant de pensée qui s’est développé clandestinement et en discordance avec le choix rationnel de la civilisation occidentale. Qui plus est, si dès 1928 Breton se réclame de l’alchimie pour ne jamais s’en dédire, l’insistance avec laquelle il y revient après la guerre est des plus significatives.  Car elle participe de la distance qu’il prend alors délibérément avec une réalité de plus en plus soumise à la rationalité technicienne, à la faveur autant des idéologies de gauche que de droite. Sur ce point, le rationalisme borné dont fait preuve, Sartre aidant, toute la gauche stalinienne et antistalinienne jusqu’aux premiers situationnistes, permet de mesurer l’écart critique de Breton. Et il faut rappeler que, dès 1958, les surréalistes, loin de se préoccuper des tables tournantes comme le voudraient leurs détracteurs d’hier et d’aujourd’hui, s’illustrent avec le tract « Démasquez les physiciens, videz les laboratoires ! ». Aussi, l’intérêt que porte, la même année, Asger Jorn aux possibilités révolutionnaires de l’automation, le menant à préconiser la « lutte pour le contrôle des nouvelles techniques de conditionnement », révèle assurément un « progressisme » situationniste que Mandosio est le premier à repérer. On regrettera toutefois que, faute d’en dégager une composante plus rationnelle qu’utopiste, celui-ci prive son analyse de prolongements qui lui auraient donné plus d’ampleur. Car, à s’en tenir à des rapprochements trop formels, je dirais trop rationnels, le conduisant à évoquer l’alchimie à propos de la théorie du changement qualitatif chez Hegel et même de la théorie « marxienne » de la révolution, tout comme à retrouver dans la terminologie psychanalytique des échos alchimiques — quitte à ne pas trop faire de différence entre Jung et Freud ! —, Mandosio passe à côté de deux ou trois questions de toute importance*, pourtant inhérentes à la réflexion.

[…]


Annie Le brun, Ailleurs et autrement, Arcades Gallimard.

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* Nous reviendrons prochainement sur ces « deux ou trois questions de toute importance ».

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