dimanche 16 septembre 2012

Debord, Mauray et Sollers sont sur un bateau (fin)

Revenons brièvement sur le cas Sollers pour ce qu’il a de symptomatique et d’exemplaire — et à ce titre c’est un modèle. Le système Sollers est aussi une méthode que l’on peut résumer en une phrase : m’as-tu vu ? et qui consiste principalement dans une posture. Rien de plus facile en apparence. Vous choisissez une personnalité éminente dans son domaine. Vous posez pour la photo à ses côtés. Vous répétez la chose autant de fois que vous le souhaitez avec autant personnalités choisies qu’il est nécessaire pour constituer une galerie. Il s’agit d’en mettre plein la vue : d’épater avec la galerie, en somme : m’as-tu vu en petit marquis sadien ; m’as-tu vu en célinien gourmand ; m’as-tu vu en debordien de la dernière heure ; m’as-tu vu en nietzschéen farouche. Le but immédiat est évidemment de s’égaler à ces à ces personnalités éminentes ; le résultat à long terme, qu’on en vienne à se demander : mais qui est donc ce quidam à côté de Sollers ? 

(Le Système Sollers, août 2011)

Je ne porte évidemment aucun jugement sur l’écrivain Sollers que je n’ai pas lu — si, quand même, j’ai lu sa pauvre Fête à Venise où il joue les faussaires (déguisé en Guy Debord comme il se doit) ; j’aurais pu m’en passer — ; mais je m’intéresse à sa méthode (publicitaire) qui est brièvement définie ci-dessus. Elle se trouve exposée et compilée in extenso dans les trois recueils qu’il a lui-même publiés chez Gallimard : La Guerre du goût (706 pages.), Éloge de l’infini (1169 pages) et Discours parfait (1056 pages) — pour ceux que ça intéresse et qui n’ont rien d’autre à faire. Compacté, ça fait nettement plus lourd que le gros pavé de Muray (1812 pages) — qui reste malgré tout une compilation pesante. Le nombre de célébrités de la philosophie, de la littérature et des arts aux côtés desquels il pose (complaisamment) est impressionnant — Sollers mérite de figurer dans Le Livre des records où il a certainement sa place.

Nous retournerons, pour finir, sur ce bateau à la dérive où il ne reste plus que Philippe Sollers, navigateur désormais solitaire, capitaine abandonné (ohé, ohé…). Mais sur une vielle photo (numérisée depuis) on voit toujours Muray, Debord et Sollers : c’est en quelque sorte l’Antéchrist flanqué de deux larrons qui n’ont pas voulu rater l’occasion d’y figurer en bonne place — elle a été recadrée depuis et on n’y voit plus que Sollers tenant affectueusement par l’épaule un Debord, qui a l’air d’être absent.

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