mardi 11 septembre 2012

Lectures – Le Golem



Extrait :

Dix ans après avoir été créé, le Golem retourna à la poussière. Voici comment et dans quelles circonstances. C’était le trente-troisième jour du Omer, de l’année juive 5350 (1590). En ce jour où le deuil du Omer est suspendu, la communauté évoquait Rabbi Chimon Bur Yohaï, les disciples de Rabbi Akiba, les combattants de Bétar. Selon une ancienne coutume, les gens coupaient les cheveux aux enfants, et sortaient dans les champs pour tirer à l’arc. La Maharal, lui, s’était retiré dans son cabinet d’étude. On avait le sentiment qu’il méditait sur des choses éminemment graves. / Ce soir-là, il convoqua ses deux plus éminents disciples, Rabbi Yitshak Hacohen et Rabbi Sasson et leur annonça sa décision : l’heure de Yossel était venue. Ils se rendirent tous trois au Tribunal. Le Golem somnolait. Lorsqu’il vit le Maharal, ses yeux semblèrent s’abimer. Ils s’assombrirent lorsqu’il vit ses disciples. « Mon petit Yossel » commença le Maharal, puis sa voix s’étrangla, et il fut incapable de poursuivre. « Mon cher petit Yossel » reprit-il. Le Golem retint son souffle afin de mieux entendre. « Ce soir tu dormira ailleurs » dit le Maharal. Il répéta « Ailleurs, dans le grenier de la synagogue ». Le Golem baissa la tête. Il avait dû deviner la vérité. Les yeux de Rabbi Yishak et de Rabbi Sasson, tout comme ceux du Maharal, étaient mouillés de larmes. « Viens mon cher Yossel » dit-il. Ils s’enfoncèrent dans la nuit et marchèrent en silence en direction de la synagogue. Le Maharal monta au grenier avec à sa suite le Golem, suivi de près par ses deux disciples. Pendant un moment les quatre demeurèrent complètement immobiles, comme englués dans leurs propres ombres. Puis la voix du Maharal rompit le silence. « Couche-toi cher petit Yossel. » Après une imperceptible hésitation, le Golem obéit. « Maintenant étends les bras » dit le Maharal. Le Golem étendit ses bras. « Maintenant, les jambes » dit le Maharal. Le Golem étendit ses jambes. « Baisse tes paupières » dit le Maharal. Le Golem ferma les yeux. « Respire lentement, très lentement. » Le Golem obéit. « Te sens-tu  envahi par le sommeil ? » demanda le Maharal. Le Golem voulut hocher la tête pour dire oui, mais sa force l’avait abandonné. « Tu accomplis ta destiné, dit le Maharal, tu peux être fier. Peu d’hommes ont sauvé autant de vies que toi. Puisse ton sommeil être doux, mon cher Yossel. N’aie aucune inquiétude. Personne ne viendra te troubler. Je t’en fais la promesse. » / Le Golem sombra dans un sommeil profond et sans retour. Puis le Maharal enjoignit à ses disciples de faire sept fois le tour de son corps en partant de la tête. Le maître marchait en tâte. Il récita à voix basse des formules mystiques, d’anciennes prières remontant au sixième jour de la Création. Rabbi Yishak et Rabbi Sasson, eux, récitaient des psaumes. / Après la cérémonie, le Maharal  est ses disciples prirent quelques vieux vêtements rituels et recouvrirent le Golem de la tête aux pieds. Lorsque le visage d’argile tourmenté disparut sous le talih déchiré, le Maharal émit un soupir de deuil. / Le lendemain fut un jour sans soleil pour les habitants juifs de Prague. / La soudaine disparition du Golem ne causa pas de grands remous. La rumeur circulait que « Yossel le muet », de nature vagabonde, avait décidé de retourner chez lui. Comme cela, sans raison, et sans dire au revoir. Comme les gens n’avaient jamais rien compris au Golem, ils continuèrent à n’y rien comprendre. / Afin de maintenir le mystère, le Maharal interdit formellement, et sous peine d’excommunication, le moindre accès au grenier de la synagogue. Il ne donna pas d’autre explication que celle du danger que la chose représentait. Les gens, habitués à obéir au maître, se conformèrent à sa volonté. / Peu après le décès du Maharal, le roi Rodolphe devint fou et dut abdiquer le trône. Il passa les dernières années de sa vie obsédé par la santé de son bébé lion, dont un astrologue lui avait dit qu’il partageait l’horoscope. / On raconte que bien plus tard, quelqu’un ouvrit la porte du grenier de la synagogue du Maharal, et y jeta un regard. Il perdit la raison. Un autre en perdit la vie. Un autre y laissa son âme. Et un kabbaliste sans âge de commenter : il est dangereux de regarder là où on ne doit pas. Mais un mendiant itinérant qui aimait raconter des histoires à des enfants orphelins leur confia, sous le sceau du secret sa propre explication : le Maharal avait interdit l’accès au grenier car en vérité le Golem était demeuré vivant. Immobile il attend d’être rappelé. / Quand à moi, j’aimerais bien savoir.

Elie Wiesel, Le Golem, Éditions du Rocher / Bibliophane.

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« Un Gollem avec deux “l” ; mais c’est un Ange ! » — in memoriam le Café Gollem.

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