samedi 12 novembre 2011

L’exemplaire Debord — Addendum

Évoquant la constitution de l’I.S., dans In girum, Debord mythologise à souhait : « Nous sommes donc devenus les émissaires du Prince de la Division, de “celui à qui on a fait du tort” etc. » ; « Tout au long des années qui suivirent, des gens de vingt pays se trouvèrent pour entrer dan cette obscure conspiration aux exigences illimitées. Etc. » ; « Ainsi fut tracé le programme le mieux fait pour frapper de suspicion complète l’ensemble de la vie sociale : etc. » ; et, in fine : « un tel programme ne contenait nulle autre promesse que celle d’une autonomie sans frein et sans règles. » Cette dernière phrase vaut que l’on s’y arrête. Que veut dire en effet : « une autonomie sans frein et sans règles » ? si ce n’est l’anarchie (au sens courant du terme) ; c’est-à-dire la « jungle » — programme qui est en passe d’être précisément réalisé par le capitalisme arrivé au stade ultime de son développement. Pourtant, en même temps, Debord apparaît comme l’homme de la « règle », par excellence ; il écrit dans Panégyrique, après avoir parlé « des plaisirs » qu’il a goûtés : « Il est vrai aussi que j’ai exactement observé plusieurs devoirs dont ils [les « gens qui ont obéis aux malheureuses lois de cette époque »] n’ont même pas l’idée. “Car de notre vie, énonçait rudement en son temps la Règle du temple, vous ne voyez que l’écorce qui est par dehors… mais vous ne savez pas les forts commandements qui son dedans. » ; et plus loin, faisant référence à l’un de ses dadas : « J’ai donc étudié la logique de la guerre. J’ai réussi, il y a déjà longtemps, à faire apparaître l’essentiel de ses mouvements sur un échiquier simple […]. J’ai joué à ce jeu et, dans la conduite de ma vie, j’en ai utilisé quelques enseignements — pour cette vie, j’avais aussi fixé moi-même une règle du jeu ; et je l’ai suivie. » Ce qui n’est pas dit, c’est que ceux qui entrait dans la partie devaient suivre la règle de son jeu sous peine d’en être expulsés sans ménagement comme de « notables quantités d’importance nulle ».

On se souvient de cette phrase programmatique dans Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps (1959) : « Ils disaient que l’oubli était leur passion dominante. », à ce propos Jean-Marie Apostolidès écrit fort justement, dans sa recension du livre de Boris Donné : « Loin d’être un individu dont l’oubli est la passion dominante, Debord apparaît comme une éponge [sic] retenant tout, conservant pendant des années ce qu’il a absorbé, découpant, classant, rangeant et recyclant sans cesse. “Il serait plus juste de dire que la mémoire fut au contraire la passion dominante de Debord”. » En effet, Debord n’oubliait rien — surtout pas les offenses. Plus généralement, il est certain que l’oubli est nécessaire à la mémoire : si l’on se souvenait de tout, il n’y aurait pas de souvenir possible. Chez Debord, comme chez tout un chacun l’oubli conditionne le souvenir ; et tout deux sont éminemment sélectifs.

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