Pourtant la contradiction qu’il y a pour Debord à faire l’apologie de terroristes ne serait qu’apparente : les causes perdues ne sont-elles pas las plus belles ? et les « beaux enfants » qui choisissent de les embrasser — the kiss of death — ne méritent-ils pas le respect ? Il n’empêche l’ambigüité, et un certain malaise, subsistent. Peut-on d’un côté saluer des militants de la R.A.F. et stigmatiser ceux d’A.D. ? Peut-on véritablement être à la fois libertin et libertaire ? Là encore, Debord fait des choix selon son « bon plaisir » ; on reste toujours dans la situation où c’est la subjectivité qui décide souverainement, qui prend, garde ou rejette selon des critères qui lui sont propres et dont il n’y a pas à rendre compte. Ainsi, il n’y a dans In girum aucune allusion et, à plus forte raison, aucun hommage à Raoul Vaneigem qui fut pourtant l’un des « frères » les plus appréciés de Debord ; mais il a démérité à ses yeux, il sera donc effacé de la photographie du groupe dans le plus pure style stalinien. Alors, que faut-il penser de ce ressassement mélancolique qui est à l’œuvre tout au long d’In girum ? où défilent comme à la parade les mêmes personnages et les mêmes visages, connus ou inconnus, souvent recadrés ; au-delà de sa beauté formelle qui a été assez unanimement saluée ; indépendamment du « sujet important » qui le constitue. Le meilleur — et le pire — que l’on puisse en dire c’est qu’il s’agit là de la reconstruction magnifiée d’un moment qui ne veut pas passer : une œuvre d’art. Mais cela n’est pas suffisant, s’agissant de quelqu’un qui prétendait avoir vécu comme il avait dit qu’il fallait vivre ; et qui par conséquent doit être jugé selon ce critère. De quelqu’un qui s’offusquait, à juste titre, d’une mauvaise traduction de son livre : La Société du spectacle, parce que, disait-il : « Les individus qui devront jouer leurs vies à partir d’une certaine description des forces historiques et de leur emploi ont, bien sûr, envie d’examiner par eux-mêmes les documents sur des traductions rigoureusement exactes. » Et c’est lui qui choisit, pour finir et prendre congé, de recourir au récit mythologique : au type — auquel on peut toujours opposer d’autres types qui ne seront jamais, eux aussi, que de pauvres types montrés en exemple. Cela donne, dans Le Monde, un article intitulé : « Guy Debord contre Phil Spector », rapprochement improbable de deux personnalités qui n’avaient rien de commun mais qui sont revendiquées, là, chacune, comme un emblème, par deux groupes de rock concurrents. Voilà à quelle confusion on est arrivé. Debord a-t-il voulu ça ? On peut légitimement en douter ; mais on en est arrivé là : « à cette fosse à purin ». Qu’il est loin le temps, retrouvé au passage par le récit cinématographique, où il y avait encore lieu d’écrire : « On sait que cette société signe une sorte de paix avec ses ennemis les plus déclarés, quand elle leur fait une place dans son spectacle. Mais je suis justement, dans ce temps, le seul que l’on n’ait pas réussi à faire paraître sur cette scène du renoncement. »
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