Revenons à In girum. Dans la première partie de son film, il prend congé du spectateur et récuse l’époque pour se retrouver seul avec ce personnage important : lui-même. Le cercle se referme. Debord refait le parcours de sa vie à l’envers, seul, pour lui-même. À aucun moment il ne cherche à se dédouaner : c’est bien lui seul qui a tout voulu. D’ailleurs, il a toujours été « un pas en avant » de sa mauvaise troupe quand il les a mené « au cœur de la destruction » ; et jamais il n’a dévié de sa ligne générale. Ite missa est. Qu’avait-on voulu de mieux ? Tout cela n’est, à l’évidence qu’une rhétorique guerrière ; de la phrase, admirablement écrite, certes, mais pour recouvrir quelle réalité ? Rien moins qu’un immense gâchis. Debord écrit : « Je n’ai jamais trop compris les reproches, qui m’ont souvent été faits, selon lesquels j’aurais perdu cette belle troupe dans un assaut insensé, ou par une complaisance néronienne. » Mais c’est encore de la rhétorique. Il n’y a pas eu d’« assaut insensé » ; et cette « belle troupe » n’était pas, que l’on sache, une organisation armée. Pourtant la métaphore militaire est omniprésente dans In girum bien qu’elle ne corresponde à rien de réel — les barricades du Quartier Latin était plutôt symboliques. Debord a toujours montré une fascination certaine pour la chose militaire ; enfant, il jouait aux petits soldats, adulte il s’intéressera de près à la stratégie militaire et aux jeux de la guerre : « L’enfance ? mais c’est ici ; nous ne l’avons jamais quittée. » Mai 68, malgré quelques velléités n’a pas basculé dans la guerre civile. Ailleurs, en Allemagne et en Italie, des militants révolutionnaires ont décidé qu’il fallait arrêter de faire des phrases et ils ont pris les armes pour faire à guerre à l’État ; ils furent fort calomniés par Debord et les siens. Pourtant, dans In girum, Debord rend un hommage appuyé aux militants de R.A.F., Andreas Baader et à Gudrun Enslin : « La plus belle jeunesse meure en prison. » C’est pour le moins étonnant de sa part ; ils étaient révolutionnaires, certes, mais ni leur idéologie ni leurs méthodes ne trouvaient grâces aux yeux de Debord. D’ailleurs, il ne montrera pas la même indulgence ni la même solidarité pour Jean-Marc Rouillan et ses amis d’Action Directe accusés d’être manipulés. Et Debord finira par ne plus voir dans les actions terroristes que la main des services secrets. Il en fera la brillante démonstration dans son analyse de l’assassinat d’Aldo Moro par les Brigades Rouges italiennes ; et contribuera ainsi à jeter un discrédit durable sur toutes les actions dites « terroristes » qui auront lieu par la suite, à tel point qu’il de viendra impossible de parler de manipulation policière sans se voir reprocher de tomber dans la « théorie du complot » — mais la ruse suprême du Diable n’est pas d’arriver à faire croire qu’il n’existe pas ?
(À suivre)
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