lundi 24 février 2014

Lectures – Les Choses / 2



Extraits (suite) :


Peut-être étaient-ils d’emblée trop voraces : ils voulaient aller trop vite. Il aurait fallu que le monde, les choses de tout temps leur appartiennent, et ils auraient multiplié les signes de leur possession. Mais ils étaient condamnés à la conquête […].

*

Il leur semblait comprendre des choses dont ils ne s’étaient jamais occupées : il leur était devenu important qu’un quartier, qu’une rue soit triste où gai, silencieuse ou bruyante, déserte ou animée. Rien, jamais ne les avaient préparés à ces préoccupations nouvelles, ils les découvraient, avec candeur, avec enthousiasme […]. / Les chemins qu’ils suivaient, les valeurs auxquelles ils s’ouvraient, leurs perspectives, leurs désirs, leurs ambitions, tout cela, il est vrai, leur semblait parfois désespérément vide. Ils ne connaissaient rien qui ne fut fragile ou confus. C’était pourtant leur vie, c’était la source d’exaltations inconnues, plus que grisantes, c’était quelque chose d’immensément, d’intensément ouvert.

*

Ils firent dans Paris ces années-là, d’immenses promenades.

*

Ils étaient toute une bande, une fine équipe. Ils se connaissaient bien ; ils avaient, déteignant les uns sur les autres, des habitudes communes. Ils avaient leur vocabulaire, leurs signes, leurs dadas.

*

Il arrivait parfois que l’un ou l’autre d’entre eux, à la suite d’incidents plus ou moins fortuits, de provocations larvées, de mésententes à demi-mot, semât la discorde au sein du groupe. […] Des tiraillements survenaient, des ruptures se consommaient.

*

Leur plus grand plaisir était d’oublier ensemble, c’est-à-dire de se distraire. Ils adoraient boire, d’abord, et ils buvaient souvent ensemble. […] Ils aimaient la bière de Munich, la Guiness, le gin, les punchs bouillants ou glacés, les alcools de fruit. Ils consacraient parfois des soirées entières à boire, resserrés autour de deux tables rapprochées pour la circonstance, et ils parlaient interminablement […].


(À suivre)

12 commentaires:

  1. Je signale, pour ceux qui lisent l'espagnol, la réédition des textes de Jaime Semprun et Miguel Amoros sur la Transition espagnole, "Manuscrito encontrado en Vitoria" : http://www.pepitas.net/libro/manuscrito-encontrado-en-vitoria

    Je signale aussi bon un jeu de stratégie basé sur les événements de la Guerre civile espagnole, ça s'appelle 1936 guerra civil : http://www.1936guerracivil.com/

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  2. errata : Je signale aussi un bon jeu de stratégie

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  3. Je viens de recevoir "Manuscrito encontrado en Vitoria". Le livre est doté d'une préface de Miguel Amoros dans laquelle il n'est pas tendre avec Debord. Dans cette préface, Amoros prend résolument le parti de Jaime Semprun dans la querelle qui l'avait opposé à Debord en 1976 (cf. Correspondance des Éditions Champ Libre vol. 1).

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  4. J'ai entamé la traduction en français de la préface de Miguel Amoros qui est assez longue (20 pages). Il y explique le contexte de Mai 68 et l'influence de l'IS sur la jeunesse rebelle de cette époque, une génération perdue dont Jaime Semprun fut un brillant représentant. On y trouve le récit de la rencontre entre Semprun et Debord (par l'intermédiaire d'Eduardo Rothe), puis les aléas qui les séparèrent.

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  5. J'aurai fini ce soir. Je posterai ici même le lien vers cette préface de Miguel Amorós qui est, il m'a semblé, digne d'intérêt, même si elle n'est peut-être pas écrite avec toute l'impartialité du monde, étant donné la grande amitié d'Amorós envers Jaime Semprun.

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  6. Voici le texte en question : http://losincontrolados.blogspot.com.es/

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    1. Merci pour cette traduction — et pour le lien. J'en rendrai compte quand je l'aurai lu.

      Bien à vous.

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  7. De rien. J'ai apporté quelques corrections orthographiques et un mot au sujet du caractère de Debord que je ne savais pas traduire ("esquinado" que j'ai finalement traduit par "ombrageux"). Si vous détectez d'autres fautes d'orthographe, merci de me les signaler.

    Par ailleurs, j'ai une question à vous poser au sujet de Francis Pagnon, l'auteur de "En Évoquant Wagner". Connaissez-vous sa date de naissance approximative, c'est-à-dire s'il était plutôt de la génération de Debord ou plutôt de la génération suivante (Martos, Semprun, Amoros, etc.). Merci.

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  8. Je viens de remarquer que votre "Histoire désinvolte du situationnisme" sera publiée en juin par Sens & Tonka. Félicitations !
    Il ne faut plus rien attendre de bon de la part d'Allia qui n'a plus rien publié d'intéressant depuis des lustres.

    Thierry Discepolo ("La Trahison des éditeurs) ne s'est pas trompé en épinglant Allia : "[...]De même pour les éditions Allia, quand son patron en appelle à un « changement de mentalités », il demande à ne pas être « seulement [entendu] sur le plan du contenu, mais sur celui des performances commerciales », pour réclamer des « analyses du travail des équipes commerciales, une force de vente plus rigoureuse et efficace, avec des objectifs commerciaux plus ambitieux. » On reconnaît bien le style de musique symphonique de l’industrie éditoriale, mais sur un orgue Bontempi…"

    (Entretien avec Thierry Discepolo, propos recueillis par Joanna Selvidès, Ventilo, 27 novembre 2012) http://agone.org/contrefeux/latrahisondesediteurs

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  9. @ Lucarno-Bartolucci
    Vous n'avez pu avoir la "prestigieuse" Allia, vous aurez donc les petits Sens & Tonka, comme Janover ou Toulouse-la-Rose : le niveau baisse mais heureusement comme lot de consolation vous avez aussi Slashead qui vous cire sans vergogne les pompes (pensez, vous allez être imprimé, c'est la gloire !).
    Pour ma part, je rigole car il est certain que votre "Histoire désinvolte du situationnisme" sera aussi nulle que l'ouvrage de Vaneigem, "Histoire désinvolte du surréalisme".
    On pourra donc le classer directement à la poubelle.

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  10. Alex, votre défaut c'est que vous ne pouvez pas vous empêcher d'insulter les gens même pour des motifs futils. Je vous rappelle que chez Sens & Tonka il y a aussi Günther Anders, Patrick Straram, Pierre Clastres ou Jean-Claude Bilhéran, qui sont des auteurs intéressants. Tout ne commence pas et s'arrête avec Guy Debord, même si je vois en lui un vrai génie de la subversion. Pour traduire la préface de Miguel Amorós, j'ai dû me replonger dans le volume 5 de sa Correspondance. La qualité des analyses et l'élan révolutionnaire sont exceptionnels.

    L'IS n'a pas échoué, la plupart de ses analyses sont impeccables, l'IS est morte de son succès, pas de son échec. Si le mouvement révolutionnaire ne fut pas suffisamment fort, ce n'est certainement pas à l'IS que l'on peut imputer cette faiblesse.

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