On peut noter nombre de similitudes dans les démarches
de Nougé et de Debord. On remarquera aussi que le point de départ est assez
similaire : une volonté de « passionner la vie » à tout prix.
Nougé écrit : « “Points de départ. / Descartes : Je pense, donc je suis.
/ Moi : Je désire donc je suis. / Tout est à refaire à partir de là.”
Cependant “le désir n'est pas ici pris dans son sens purement érotique, sensuel
ou sexuel, mais dans un sens plus large où il représente une force qui mène à
l'action (mot-clé dans l'univers de Nougé). »* Le désir lui-même chez
Nougé passe par la séduction ; et « [t]out
le processus de séduction peut être compris comme une quête de d'affirmation de
soi, de pouvoir, mais toujours dans le cadre de la complicité. En effet on
trouve énoncé certains principes de la philosophie des surréalistes Bruxellois :
bouleverser, chercher des complices, changer la société. »* — principes
que Debord reprendra à son compte en même temps que la stratégie de la
séduction qui est un « jeu de pouvoir et de manipulation, dissimulation et
de connivences »* dans lequel il passera maître.
De la même façon, lorsque Debord inscrit dans le
programme de l'I.S. l'objectif d'« inventer
de nouvelles passions », le terme de : « passion » excède évidemment le sens restreint qu’il a
dans le lexique amoureux. Il faut noter aussi que Debord insiste bien sur la
rationalité de cette démarche ; et que Nougé lui-même qui « s'opposait au rôle accordé à
l'inconscient par le groupe d'André Breton […] hisse comme drapeau de
guerre la conscience et l'action consciente, contrôlée — même dans l'amour. »*
Chez Debord comme chez Nougé cette démarche
consciente et volontaire passe par la mise en œuvre d’une entreprise de détournement
généralisée (qui inclut bien sûr celui des mineures). Que celle-ci se manifeste
d'abord dans le langage ne doit pas égarer sur sa véritable finalité qui est
tout sauf littéraire. Ainsi, Geneviève Michel peut-elle écrire : « Nougé veut user du langage comme
d'une “matière à modifications, à expérience” pour provoquer des idées, des
états, des sentiments nouveaux et non pas, comme cela se fait généralement en
poésie, pour traduire ou exprimer un état, un sentiment préexistant ou même
pour défendre une vérité. Il est extrêmement important de souligner le
fondement antilittéraire de toute l'activité “littéraire” de Paul Nougé. On ne
peut bien comprendre son œuvre qu'en gardant présent à l'esprit cette volonté
qui est la sienne de comprendre le monde en le transformant. C'est de là que
provient la théorie de l'action qu'il développe dans ses écrits
théoriques : c'est en agissant sur le monde que l'on peut espérer le
comprendre, c'est en agissant sur les us et coutumes d'un monde que l'on peut
espérer les comprendre, c'est en agissant sur la langue que l'on peut espérer
la comprendre et faire apparaitre des perspectives jusque-là inconnues. »
Comme on le voit, toutes ces remarques peuvent
parfaitement s'appliquer à Debord. Le problème étant évidemment de savoir si ce
ne sont là que simples similitudes venant du fait que Debord et Nougé sont évidemment
« sur la même longueur
d'onde » ; ou bien s'il y a chez Debord
une véritable appropriation de la méthode de Nougé qui devait être d'autant
plus dissimulée qu'elle était directe et importante. Mais, « influence », il y a
certainement. On sait par ailleurs que Debord qui revendiquait ses « détournements » n'aimait pas
trop que l'on mette en doute son originalité. (On en a un exemple
particulièrement frappant avec “l'affaire Anders”**)
___________________
* Les citations son tirées de : Envoûtement par le verbe, Esquisse pour une histoire de la séduction
d’après Paul Nougé de Lénia Marques que l’on peut lire à l’adresse
suivante :
** On peut lire à ce propos ce qu’en dit Voyer qui
ne pouvait rater une telle occasion d’« anéantir » Debord :
(À suivre)
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