jeudi 6 février 2014

Debord et Nougé / 6



On peut noter nombre de similitudes dans les démarches de Nougé et de Debord. On remarquera aussi que le point de départ est assez similaire : une volonté de « passionner la vie » à tout prix.

Nougé écrit : « “Points de départ. / Descartes : Je pense, donc je suis. / Moi : Je désire donc je suis. / Tout est à refaire à partir de là.” Cependant “le désir n'est pas ici pris dans son sens purement érotique, sensuel ou sexuel, mais dans un sens plus large où il représente une force qui mène à l'action (mot-clé dans l'univers de Nougé). »* Le désir lui-même chez Nougé passe par la séduction ; et « [t]out le processus de séduction peut être compris comme une quête de d'affirmation de soi, de pouvoir, mais toujours dans le cadre de la complicité. En effet on trouve énoncé certains principes de la philosophie des surréalistes Bruxellois : bouleverser, chercher des complices, changer la société. »* — principes que Debord reprendra à son compte en même temps que la stratégie de la séduction qui est un « jeu de pouvoir et de manipulation, dissimulation et de connivences »* dans lequel il passera maître.

De la même façon, lorsque Debord inscrit dans le programme de l'I.S. l'objectif d'« inventer de nouvelles passions », le terme de : « passion » excède évidemment le sens restreint qu’il a dans le lexique amoureux. Il faut noter aussi que Debord insiste bien sur la rationalité de cette démarche ; et que Nougé lui-même qui « s'opposait au rôle accordé à l'inconscient par le groupe d'André Breton  […] hisse comme drapeau de guerre la conscience et l'action consciente, contrôlée — même dans l'amour. »*

Chez Debord comme chez Nougé cette démarche consciente et volontaire passe par la mise en œuvre d’une entreprise de détournement généralisée (qui inclut bien sûr celui des mineures). Que celle-ci se manifeste d'abord dans le langage ne doit pas égarer sur sa véritable finalité qui est tout sauf littéraire. Ainsi, Geneviève Michel peut-elle écrire : « Nougé veut user du langage comme d'une “matière à modifications, à expérience” pour provoquer des idées, des états, des sentiments nouveaux et non pas, comme cela se fait généralement en poésie, pour traduire ou exprimer un état, un sentiment préexistant ou même pour défendre une vérité. Il est extrêmement important de souligner le fondement antilittéraire de toute l'activité “littéraire” de Paul Nougé. On ne peut bien comprendre son œuvre qu'en gardant présent à l'esprit cette volonté qui est la sienne de comprendre le monde en le transformant. C'est de là que provient la théorie de l'action qu'il développe dans ses écrits théoriques : c'est en agissant sur le monde que l'on peut espérer le comprendre, c'est en agissant sur les us et coutumes d'un monde que l'on peut espérer les comprendre, c'est en agissant sur la langue que l'on peut espérer la comprendre et faire apparaitre des perspectives jusque-là inconnues. »

Comme on le voit, toutes ces remarques peuvent parfaitement s'appliquer à Debord. Le problème étant évidemment de savoir si ce ne sont là que simples similitudes venant du fait que Debord et Nougé sont évidemment « sur la même longueur d'onde » ; ou bien s'il y a chez Debord une véritable appropriation de la méthode de Nougé qui devait être d'autant plus dissimulée qu'elle était directe et importante. Mais, « influence », il y a certainement. On sait par ailleurs que Debord qui revendiquait ses « détournements » n'aimait pas trop que l'on mette en doute son originalité. (On en a un exemple particulièrement frappant avec “l'affaire Anders”**)

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* Les citations son tirées de : Envoûtement par le verbe, Esquisse pour une histoire de la séduction d’après Paul Nougé de Lénia Marques que l’on peut lire à l’adresse suivante :


** On peut lire à ce propos ce qu’en dit Voyer qui ne pouvait rater une telle occasion d’« anéantir » Debord :



(À suivre)

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