Extraits (Fin) :
Certains jours, ils se promenaient en
bavardant pendant des heures entières. […] Il leur semblait que tout était
parfait ; ils marchaient librement, leurs mouvements étaient déliés, le
temps ne semblait plus les atteindre. […] / Ou bien, certaines nuits d’été, ils
marchaient longuement dans des quartiers presque inconnus. […] Les rues,
désertes et longues, larges, sonores, résonnaient sous leur pas synchrones. […]
Alors ils se sentaient les maîtres du monde. Ils ressentaient une exaltation
inconnue, comme s’ils avaient été détenteurs de secrets fabuleux, de forces
inexprimables.
*
Ils continuaient leur vie cahotante :
elle correspondait à leur pente naturelle. Dans un monde plein d’imperfections,
ils s’en assuraient sans mal, la plus imparfaite. Ils vivaient au jour le jour
[…]. Ils n’étaient pas loin de penser que, somme toute, cette vie avait son
charme.
*
Des générations précédentes, se disaient-ils
parfois, avaient sans doute pu parvenir à une conscience plus précise à la fois
d’eux-mêmes et du monde qu’elles habitaient. Ils auraient peut-être aimé avoir
eu vingt-ans pendant la guerre d’Espagne, ou pendant la Résistance […].
*
Ils avaient l’impression, certains jours,
qu’ils n’avaient pas encore commencé à vivre. Mais de plus en plus la vie qu’il
menait leur semblait fragile, éphémère, et ils se sentaient sans force, comme
si l’attente, la gêne, l’étroitesse les avaient usés, comme si tout avait été naturel :
les désirs inassouvis, les joies imparfaites, le temps perdu.
*
D’autres fois, ils n’en pouvaient plus. Ils
voulaient se battre vaincre. Ils voulaient lutter, conquérir leur bonheur. Mais
comment lutter ? Contre qui ? Contre quoi ? Ils vivaient dans un
monde étrange et chatoyant, l’univers miroitant de la civilisation mercantile,
les prisons de l’abondance, les pièges fascinant du bonheur.
*
Lentement, mais avec une évidence inexorable,
le groupe se disloqua. Avec une soudaineté parfois brutale, en quelques
semaines à peine, il devenait évident pour certain que plus jamais la vie
d’antan ne serait plus possible.
*
L’un après l’autre, presque tous les amis
succombèrent.
*
Le
moyen fait partie de la vérité, aussi bien que le résultat. Il faut que
recherche de la vérité soit elle-même vraie ; la recherche vraie, c’est la
vérité déployée, dont les membres épars se réunissent dans le résultat.
KARL MARX
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire