mardi 11 février 2014

Debord et Nougé / 9



Je poursuis avec une série de citations dont l’intérêt ne devrait pas échapper au lecteur.

Sur les « objets bouleversants » : « Le bouleversement est synonyme de révolution totale, de subversion généralisée et revêt donc un caractère indéniablement politique. Notons que ce bouleversement est recherché, voulu, puisqu’il s’agit de construire, d’inventer des objets bouleversants. Et Nougé d’opposer cette attitude à celle de l’automatisme, “formule d’un nouveau quiétisme” qui s’en remet — et je le cite : “aux jeux du hasard et de la destinée” et où nous demeurerions immobiles, penchés sur nous-mêmes comme sur un immense gouffre d’ombre, à guetter l’éclosion des miracles, l’ascension des merveilles”. Nougé, quant à lui, tient pour essentiel un pouvoir d’action et, s’il ne sous-estime pas l’importance du hasard, de l’inconscient, il se refuse à leur sacrifier l’urgence et la nécessité d’agir. »

« Le bouleversement dont il est ici question touche à la fois à la vision et aux rapports qu’entretiennent les objets. Nougé a esquissé une théorisation de la vision. “Voir est un acte” selon lui et il ne suffit pas d’être ou de créer un objet pour qu’on le voie, car en réalité “nous ne voyons que ce que nous avons intérêt à voir”. Dès lors, il convient d’exposer l’objet, en existant le désir, le besoin de le voir. D’où diverses manipulations comme l’agrandissement, la suppression, le détournement, la substitution, etc. »

« Car le but pour Nougé est de bouleverser dans un même mouvement la vision, les relations humaines matérialisées dans et par les objets, et ce qu’il appelle dans la Conférence de Charleroi, “la notion d’esprit humain” de l’époque et sa principale tare, l’attitude contemplative, définitivement ruinée selon lui par la première guerre mondiale et la révolution russe. »

« L’enjeu est de donner à voir, de rendre sensible, de faire exister ce qui à force d’être banal était invisible, n’existait plus. Se dessine ici une des caractéristique de cette théorie : la dialectique entre le banal et le mystère, le quotidien et le merveilleux ; une dialectique dont le cœur et le moteur sont la révolte. »

« Ainsi, l’usage détourné par les surréalistes belges de formes non littéraires comme la publicité, un livre de grammaire et la photographie correspond à cette volonté de faire éclater le cadre artistique en usant du médium dont la distance assure à l’art assure la plus grande efficacité. Cette liberté par rapport aux moyens utilisés, le refus de se laisser circonscrire par un médium ou un métier — celui de peintre ou d’écrivain — se double d’une volonté expérimentale dont les objets bouleversants constituent l’un des points culminants. »

« Les objets bouleversants, leur création, correspondent à la fois à la finalité extra-artistique de la stratégie surréaliste — le renversement d’un monde — et aux moyens d’un art qu’ils veulent efficace, aux armes propres à la poésie ; une manière complexe et fragile, mais la mieux à même de lier art et politique, poésie et révolution sans réduire l’un à l’autre, ou l’un par l’autre. »

« Mais, plus largement, il s’agit aussi de faire réagir, de dénoncer le danger et le caractère monstrueux et idéologique d’un manque de réaction, d’une passivité où le rapport neutre aux objets ne se différenciait pas de nos relations aux autres, marquées par le souci de notre sécurité. Elle ne serait que le pendant de notre incapacité à vivre à la hauteur de l’aventure, du merveilleux, de la sommation et du bouleversement de l’amour, de l’amitié, de la poésie et de la révolution : bref, des seules qui valent encore la peine de vivre aujourd’hui. »*

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* Les citations qui précèdent sont tirées d’un article de Frédéric Thomas intitulé : Expériences photographiques et pratique bouleversante, Paul Nougé et la subversion des images que l’on peut lire à l’adresse suivante :



(À suivre)

2 commentaires:

  1. Il faudrait peut-être dire aussi quelque chose de l'engagement communiste (stalinien) de Marcel Mariën et Paul Nougé. J'aimerais savoir si cet engagement a été renié à un certain moment.

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    1. @ Slashead
      Il semble certain que tout comme Scutenaire, Nougé (qui a participé en 1919 à la création de la section belge de la IIIe Internationale, qui deviendra le Parti communiste belge) soit resté admirateur de Joseph Staline jusqu'au bout.
      Quant à Mariën, après un séjour de 16 mois en Chine en 64-65 comme corecteur à la revue "La Chine en construction", il en reviendra déçu par le «pseudo communisme chinois».

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