mercredi 4 avril 2012

L’I.S., Image et Vérité / 6


C’est ainsi que l’I.L. et l’I.S. des débuts ont fonctionné comme un petit groupe affinitaire — une « secte » — dont le programme était dicté par Debord qui en assurait la direction — ou si on veut l’exprimer différemment : il ne le dirigeait pas au sens strict du terme, mais il s’arrangeait pour n’être entouré que de gens qui étaient d’accord avec lui. Écoutons le témoignage de Ralph Rumney qui fit un passage éclair dans l’I.S. : « […] Guy souhaitait trouver des égaux, mais c’est lui qui devait décider qui était égal à lui ; et dès que certaines personnes — dès l’origine, dès les pré-origines, dès l’internationale lettriste —, dès que quelqu’un manifestait une capacité intellectuelle ou d’analyse, ou d’activité comparable à la sienne, bon il lui laissait faire un peu et puis crac ! […] C’était une des choses les plus ambiguës de Guy. […] Guy était, certes, un autodidacte, quelqu’un de lumineux […] ; mais il a fait autour de lui, avec ses amis, une catastrophe, car il était […] comme ces crabes qui habitent dans [leur] carapace […] ; y rentrait de plus en plus en lui-même […]. Cela dit […] on n’est pas forcément paranoïaque sans raison ; dès fois on est persécuté aussi ; et Guy était persécuté. »*

Debord n’était certainement pas « persécuté » comme l’affirme Rumney — et par qui d’ailleurs ? Mais ce qui est sûr aussi, c’est qu’il se sentait comme un étranger au monde. La référence au gnosticisme est ici particulièrement pertinente :

« Emprisonné, “jeté” dans un monde mauvais et inférieur, le gnostique a le sentiment d’être abandonné, en proie à une immense et atroce solitude, dans le désert, la désolation : il aspire désespérément à un au-delà du monde, vers un domaine qu’il conçoit comme la “vraie vie”, de la liberté, de la plénitude. Nous sommes — c’est un des mots clefs de la gnose — étrangers au monde et, inversement, le monde nous est étranger. »** ; et aussi cette autre citation particulièrement consonante : « Ce qui paraît simple, évident, irréfutable, c’est qu’aujourd’hui comme au temps des gnostiques on voit bien que l’aliénation de l’homme est un problème global qui suppose en effet de supprimer d’abord ses causes économiques, sociales et politiques, mais qui précisément commence — et non finit — à partir du moment où ce premier stade est franchit. »***

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*Interview pour la série de quatre émissions consacrées à l’I.S. sur France Culture en 1996.

** Serge Hutin, Les Gnostiques, PUF.

*** Jacques Lacarrière, Les Gnostiques, métailié.


(À suivre)

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