dimanche 15 avril 2012

L’I.S., Image et Vérité / 13

Alors l’I.S., c’était Debord ? Les « héritiers » auraient donc raison au bout du compte ? « Il n’y a pour finir que Debord, son art et son temps tels qu’il les a révélés […]. / Quand à ceux — très peu — qui se sont trouvés effectivement, à un moment ou à un autre, sur sa route, on a bien vu comment ils ont continué seuls, et ce qu’ils sont devenus. Ils le savent d’ailleurs mieux que personnes et préféreront le faire oublier. Si l’on parle encore d’eux, c’est naturellement grâce à Debord, et non le contraire. Il n’y a pas d’héritiers. C’est Debord qui doit hériter de Debord. On y veille. »* Foutre !

Jean-Marie Apostolidès commente pertinemment, comme à son habitude : « Cette vertueuse indignation vise, entre autres choses, à affirmer. que l’I.S. a toujours été la “chose” de Debord, les autres n’y ayant tenu qu’un rôle de figurants. L’intransigeance dont ses héritiers font preuve, montre qu’ils sont eux-mêmes prisonniers des mécanismes inconscients à l’œuvre dans l’Internationale situationniste. […] Debord s’est à son tour confronté à l’épreuve du feu ; son suicide est un sacrifice qui garantit à jamais sa stature héroïque. Il occupe désormais la place du Père ; il garde pour toujours l’apparence du censeur dont il a porté le masque pendant les dix dernières années de son existence. »** Et il ajoute : « Aux disciples, revient la tâche de construire un monument et d’en garder l’entrée. Debord est désormais un fantôme, le spectre qui va hanter la mémoire collective : “Plus que jamais, on sait à quel point il gène et empêche de danser en rond.” Si une nouvelle communauté devait apparaître, ce serait à partir de son monument qu’elle devrait se constituer. Il suffit de lire dans ses fragments et ses détournements pour retrouver le sous-texte, à savoir l’annonce des jours meilleurs, l’avènement d’une civilisation héroïque. Le message est déjà là ; aux fidèles de la déchiffrer. Le maître a énoncé la vérité des temps nouveaux et celle-ci est d’essence religieuse ; c’est une révélation : “Il n’ya pour finir que Debord, son art et son temps tels qu’il les a révélés” [Je souligne]. » On se retrouve là en pleine Ecclésia gnostique ; bien loin de l’image de Debord et de l’I.S. telle quelle est habituellement présentée par l’historiographie orthodoxe. On peut citer aussi ici, dans ce contexte, la fin d’Alamut, le roman de Vladimir Bartol qui s’achève sur l’occultation d’Hassan Ibn Saba, le Vieux de la Montagne, une des figures à laquelle Debord s’est identifié : « Il s’enferma dans ses appartements et mourut pour le monde. / La légende le prit sous son aile. »

Apostolidès écrit de Debord qu’« [i]l a nié  avoir reçu un quelconque héritage. » ; pourtant, poursuit-il « aucun écrivain contemporain, pas même Montherlant, ne s’est voulu comme lui l’héritier des auteurs classiques. Ils constituent, au sens littéral, la trame de son œuvre ». Il définit par ailleurs les groupes au sein desquels Debord a évolué comme des « structures fraternelles » qui excluent la figure du père : « La figure du Père, qu’elle se présente sous les traits d’André Breton, d’Henri Lefebvre ou de Jean-Paul Sartre, est a la fois haïe et désirée. D’où la référence du chef de l’I.S. pour les figures fraternelles qui, de Gil Wolman à Ivan Chtcheglov, et d’Asger Jorn à Gérard Lebovici, lui enseignent quelque chose sans lui porter ombrage. / Cependant, la seule façon de répondre à l’impératif qu’il associe à son “roman familial” consiste à se métamorphoser lui-même, peu à peu, en statue. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer la figure de Censor, tellement révélatrice de ce qu’il est en profondeur qu’il a refusé d’en partager la responsabilité, comme s’il avait voulu fuir ce qu’elle représente. »

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* Alice Debord et Patrick Mosconi, « Autour de l’héritage de Guy Debord », Le
  Monde, 1er novembre 1996.

** Les Tombeaux de Guy Debord, Champs Flammarion.


(À suivre)

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