vendredi 13 avril 2012

L’I.S., Image et Vérité / 11

Il est absolument évident, pour qui s’intéresse de prêt à l’histoire de l’I.S., que la manière dont elle est présentée par Debord — et à plus forte raison par les « héritiers » qui sont encore plus debordiens que Debord — ne correspond que d’assez loin à la réalité. Le simple fait de lire sans prévention ce qui en est relaté dans les documents qui sont couramment accessibles à tout un chacun devrait amener à se poser quelques questions : mais c’est justement ce qu’on évite généralement de faire. Alors, encore une fois, on peut se demander quel intérêt ont ces gens qui ont connu les choses, disons de plus prêt, à se taire ; et donc à avaliser par leur silence la « légende dorée » de l’I.S. De deux choses l’une : soit la version autorisée est la bonne et il n’y a rien à y redire ; soit ils ont un intérêt personnel à la soutenir parce qu’ils préfèrent avoir une place, même si ce n’est pas la meilleure, dans une histoire héroïque, plutôt que de la faire apparaître sous un jour moins reluisant en exhibant des dessous qui sont généralement peu reluisants. Ou bien avaient-ils signé un pacte de silence avec le Diable ? Force est de constater qu’il n’existe pas jusqu’à présent, malgré l’abondante littérature sur le sujet, d'histoire de l’I.S. qui soit digne de ce nom — si l’on excepte mon Histoire désinvolte, qui de toute façon est hors catégorie.

Mais revenons à l’Adresse précédemment citée et à l’action dont elle procède pour examiner les ressorts cachés de cette curieuse histoire belge dont le principal protagoniste est un officier de l’École royale militaire : Piet de Groof — qui deviendra général par la suite —, plus connu sous le nom de Walter Korun et qui sera exclu de l’I.S. en octobre 1958. Voyons comment il raconte l’histoire du scandale contre l’assemblée des critiques d’art internationaux réunis à Bruxelles en avril 1958 : « Cela a commencé une semaine avant. Et là, j’étais de connivence avec Debord, alors que Jorn se préparait à exposer ses tableaux au Palais des Beaux-Arts. […] / […] / J’ai d’abord choisi la cible, puis j’ai établi un programme. Dans un premier temps j’ai demandé au comte Philippe D’Arschot toutes les adresses des hôtels où logeaient les critiques. D’Arschot était aussi critique d’art et il était membre de cette Association Internationale des Critiques d’Art, l’A.I.C.A. Donc, il savait tout ça. La veille de la réunion, le 13 avril au soir, Rob Wyckaert et ma fiancée de l’époque, Wilma, ont commencé à téléphoner à chaque membre et à leur lire, comme ça, par téléphone, le fameux tract. / […] / Elles ont passé toute la nuit à téléphoner aux critiques, Rob et Wilma ! […] On leur passait alors la chambre et, tout de suite, elles commençaient à lire le tract. Et à chaque fois, et durant une nuit entière, vous imaginez ! […] De notre côté, Wyckaert et moi sommes montés sur le toit d’un immeuble pour jeter les tracts… » ; mais on ne peut pas tout prévoir : « […] ça ne marchait pas du tout dans la mesure où le vent était contre nous et nous renvoyait sans cesse les tracts… / […] / […] les soucis ont commencé avec la police lors de notre intervention pendant le discours d’ouverture de l’assemblée. Car mon plan prévoyait de jeter des tracts pendant cette réunion inaugurale. […] Cependant, j’étais quand même assez connu des Belges comme critique d’art, à cause de mon activité au Taptoe. / […] / […] J’étais quand même assez réticent à jeter les tracts moi-même, car j’allais au devant de terribles ennuis. J’ai donc demandé à mon jeune frère, Wilfred, de s’en charger. Il était à ce moment-là en dernière année de polytechnique à l’École royale militaire. Il est entré dans la salle, a jeté un paquet de tracts sur la table d’honneur puis deux autres paquets sur l’assemblée. Et il s’est tout de suite enfui. »* Étonnant, non ?

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* Les citations son tirées de : Piet de Groof, Le général situationniste, Allia.


(À suivre)

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