dimanche 1 janvier 2012

Une lecture alchimique d’In girum imus nocte et consumimur igni / 7

7. Les « petites amoureuses » (suite)

Il faut peut-être s’arrêter ici aux couples privilégiés et remarquables que formèrent Guy Debord et Michèle Bernstein ; puis, plus tard, le même Debord et Alice Becker-Ho. Remarquables, parce s’inscrivant dans une relation incestueuse frère-sœur. L’on sait que les relations que Debord entretenaient avec les membres des groupes au sein desquels il a évolué étaient basées sur une « structure fraternelle » ; et à côté des « frères », il y avait bien évidemment des « sœurs ». Et l’on sait également le grand rôle que joue l’inceste dans l’alchimie ; Dom Pernety écrit à l’article : Inceste de son Dictionnaire : « Les Philosophes disent que le grand œuvre se fait par l’inceste du frère et de la sœur. » L’alchimiste est souvent associé à sa soror mystica qui le seconde dans l’accomplissement de l’Œuvre ; ainsi de Nicolas Flamel et Dame Perennelle : « Il prit pour épouse Dame Perennelle (et non Pernelle comme on le voit souvent écrit). Cette Dame est en outre symbolique puisqu’elle indique par là qu’elle est compagne de pérennité et soror mystica tout comme Isis est à la fois mère, sœur et épouse. », comme le dit le Dictionnaire raisonné de l’alchimie et des alchimistes de Christian Montésinos. Cette « sœur » est aussi la Sagesse — la Sophia — ; c’est pourquoi l’on peut lire la dernière proposition d’In girum comme un aveu d’échec : « La sagesse ne viendra jamais. », en ce qui concerne « Guy Debord et ses prétentions démesurées » — mais : « l’aventure continue ».

On peut aussi revenir sur quelques « coïncidences signifiantes » concernant les « lieux » et les « génies » qui y sont, dit-on, attachés. Ainsi, il n’est sans doute pas indifférent que les deux bistrots parisiens où se réunirent ceux qui allaient devenir les situationnistes ne soient appelés Chez Moineau et Le Tonneau d’Or. Pour Moineau, on se souviendra que Debord décrit l’établissement comme un repaire de voyous et de « voyelles » dont certains devaient maîtriser cette « langue des oiseaux » chère aux alchimistes — rapprochement hasardeux, dira-t-on : voire. En ce qui concerne le Tonneau d’Or, le rapprochement est plus évident. À propos de la langue des oiseaux (ou du cheval) Françoise Bonardel précise : « La “cabale phonétique” pratiquée par les alchimistes (en cela Argonautes) est également appelée “langue des Oiseaux” (ou des dieux), ou encore “Gaie Science” […]. À la différence d’une simple recherche étymologique, cette langue fondée sur les jeux de mots, homophonies et anagrammes, cherche à faire jaillir la lumière de l’Esprit déposée sous l’écorce des mots et des choses depuis la Création. » ; elle est à rapprocher de l’argot des « classes dangereuses » chères à Debord ; et particulièrement au jargon des Coquillards utilisé par Villon — autre référence debordienne — dans certaines de ses Ballades.

Récapitulons à présent dans leur continuité, les apparitions sporadiques — « dans le cours du mouvement et conséquemment par leur côté éphémère » — de tous ces visages féminins. On s’apercevra que leur suite forme une petite boucle à l’intérieur du grand cercle d’In girum. Ainsi, le « fille qui passe dans la nuit » et « la mineure détournée » correspondent aux débuts, à la « belle jeunesse ». « Celle qui était la plus belle cette année-là. » à la fin de « cette verte jeunesse » — à laquelle est liée cette « autre errante ». Une place particulière est réservée à la première « sœur » de Debord que nous retrouvons sous les traits de l’androgyne* Dominique des Visiteurs du Soir dans deux séquences dont la dernière vient « boucler la boucle » : celle où l’on entend Gilles alias Guy chanter sa complainte au moment où sur l’écran passe une série de photos d’« amies du temps passé » parmi lesquelles celle de Michèle Bernstein. Auparavant, on aura vu « Alice et Celeste. » à Florence où l’« étrange guerre » menée par Debord l’aura conduit — et dont il sera chassé lui aussi « après bien d’autres ».

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*« Figure mythique de l’unité originelle […] et déterminante dans le processus de transmutation […]. Indifféremment nommé Hermaphrodite ou Rebis (Chose double), l’Androgyne, omniprésent dans l’iconographie hermétique, est donc nécessaire à la réussite du Grand Œuvre dont il exprime déjà l’autosuffisance et la fécondité, mais il n’en incarne pas encore l’accomplissement : Or, Pierre, Élixir. »

Françoise Bonardel, Philosopher par le Feu, Points sagesse.


(À suivre)

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