lundi 19 septembre 2011

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On me signale la réédition de : Protestation devant les libertaires du présent et du futur sur les capitulations de 1980, de Jean-Claude Lutanie.


Extrait de la préface des éditeurs :

« Je demande à Gérard de te faire parvenir un petit pamphlet très louche (Protestation… sur les capitulations de 1980), qui me paraît devoir être lu avec beaucoup d’attention. »

Guy Debord, lettre à Jaap Kloosterman, 13 juillet 1981.

Protestation devant les libertaires du présent et du futur sur les capitulations de 1980 a paru en 1981 sans autre nom d’auteur que le terme d’« Incontrôlé », sans mention d’éditeur, imprimé sur du papier volé.

Protestation est un pamphlet motivé par un réflexe de solidarité avec Jean-Marc Rouillan, alors en prison. On sent cette solidarité entière et spontanée, bien que parfois gênée par des divergences fondamentales quant aux principes d’Action directe. Cette réserve tenue ici pour hors-sujet, Protestation témoigne avant tout d’une déception à l’égard de la pensée situationniste et de ses « promesses de jeunesse non tenues ». Lutanie vise essentiellement Debord, accusé, sinon de jalousie envers une radicalité dont il était bien incapable, quoiqu’il la réclamât, du moins de mauvaise foi dans son affirmation de la manipulation du groupe par l’État.


Pour faire contrepoint à lecture de ce texte, voici quelques citations extraites du livre de Leonardo Sciascia, Noir sur Noir, Fayard.

[…] l’Italie est secouée par « un extrémisme qui n’est pas aux extrêmes », mais par un « extrémisme du centre ». Bref : tous les événements criminels survenus en Italie au cours de ces dernières années et qui semblent viser l’État, le gouvernement, le statu quo, l’autorité, les institutions, ont servi en réalité à maintenir toutes ces choses intactes telles qu’elles sont, ne leur ôtant en contrepartie que du prestige. / Tout émane du pouvoir et de la manière de le gérer : même si ceux qui sont au pouvoir n’en savent rien et s’ils en sont, à titre individuel — on peut encore l’admettre —, aussi bouleversés que nous. Cela signifie qu’il existe en Italie un hyperpouvoir auquel profite, dans une gestion déterminée du pouvoir, l’hypertension civile. Celle-ci est alimentée par des actes criminels dont la caractéristique — que l’on prenne ou non leurs exécutants directs — est le caractère indéfinissable de la distinction entre extrême droite et extrême gauche, entre une forme de violence et l’autre, entre une origine sociale des exécutants soupçonnés ou avérés et une autre.

[…]

Dans les quinze jours qui ont suivi l’enlèvement d’Aldo Moro, la police avait effectué 35000 perquisitions, 9700 enquêtes domiciliaires, 1200 rafles, 3500 reconnaissances en mer et 1200 reconnaissances aériennes ; 6 700 000 personnes ont vu leur identité contrôlée, en même temps qu’on fouillait 3 880 000 voitures et 5900 embarcations : 62 000 barrages de polices ont été mis en place. Quatre autres semaines se sont écoulées depuis : il est légitime, sinon de tripler, du moins de doubler ces chiffres. Et on est pris de vertige, surtout si l’on considère celui qui se rapporte aux personnes contrôlées. On peut présumer que le terme « contrôle » veut dire la vérification d’identité, l’examen de ce que la personne contrôlée porte avec elle ou sur elle : une quinzaine de millions d’individus ont donc ce traitement — une bonne moitié de la population italienne adulte. Or, parmi ces personnes, pas une seule de qui on ait pu présumer ou soupçonner qu’elle avait quelque lien avec les Brigades rouges. / En d’autres mots, les Brigades rouges vivent dans la sphère de l’impossible théorique, de l’impossible mathématique. Elles ne se contentent pas d’échapper au contrôle de la police : elles échappent aussi au calcul des probabilités.

[…]

J’ai idée qu’un roman de Chesterton — Le Nommé jeudi — pourrait être employé ces temps-ci comme une espèce de démonstration par l’absurde de la façon dont la majorité des Italiens voient les Brigades rouges et le contexte où elles opèrent. Le protagoniste de ce roman (Syme, de son vrai nom) est un agent secret qui parvient à s’introduire dans une ténébreuse association anarchiste, au sommet de laquelle se trouvent sept individus, chacun de ceux-ci affublé du nom d’un jour de la semaine : Syme reçoit celui de Jeudi. Au cours d’une réunion où l’on doit organiser un attentat terroriste, un espion est démasqué : c’est Mardi — et il fait partie du service même dont relève Jeudi. On découvre ensuite que Vendredi lui aussi est un espion, relevant toujours du même service secret. Après quoi on découvre que c’est le cas de tous les sept y compris Dimanche : celui qui les a engagés comme espions et qui les a commandés en tant qu’anarchistes. / Et voilà : une conviction est en train de se former dans l’opinion publique italienne — celle qui circule sous les médias, le papier imprimé et les réseaux de radio et de télévision —, qui est très proche de ce que découvre aux dernières pages du roman, le jeune Syme dit Jeudi : à savoir que, au sommet des Brigades rouges, siègent des individus qui, l’un après l’autre, comme dans le roman de Chesterton, sont en mesure de sortir une carte, sinon de la même organisation, du moins d’organisations qui, dans l’immédiat, visent le même objectif, encore que leur objectif à long terme soit différent.

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