On trouve dans le livre une interview de Medhi Belhaj K. Le pop-philosophe ex-propagandiste de la pensée-Badiou — maoïste historique qui après avoir animé le zoo intellectuel de Vincennes est arrivé à pied par la Chine à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm — glose sur ses relations avec les tiqqunistes de Tarnac. Extraits.
[…] Un temps, Belhaj Kacem et Coupat avaient été compagnons de route littéraires. Le premier avec sa bande d’Evidenz ; le second avec Tiqqun. Le compagnonnage avait duré quelques mois, certains disaient que c’était ce qui était arrivé de mieux à la philosophie moderne […]. / Sur le revers de sa veste ; Belhaj Kacem avait épinglé un badge, Adorno’s future, avec lettrage Sex Pistols du plus bel effet. […]
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– […] À Tarnac, la supposée clandestinité mise en avant par les autorités se résumait à ne pas consentir au fichage, ne pas utiliser de portables, ne pas laisser ses empreintes génétiques… Mais ce n’était pas non plus le maquis. L’épicerie était ouverte…
– Le maquis n’est de toute façon plus possible aujourd’hui. Même ici en Corrèze, terre de résistance. Il existe autre chose qui s’appelle l’ermitage. Mais je ne crois pas que c’étais le propos de la bande à Tarnac, et de ce qui est apparenté. Leur but était de fabriquer des noyaux, des cellules politiques, qui puissent intervenir malgré tout sur la vie sociale… Maquis n’est donc pas le mot, trop connoté historiquement. On peut dire ce qu’on veut contre le capitalo-parlementarisme, le fascisme démocratique américain à la George Bush, le gouvernement Sarkozy, c’est quand même pas le régime hitlérien… […]
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[…] Le différend que j’ai eu avec Julien à cette époque de sa revue Tiqqun était lié à ce grand flou face aux catégories politiques. À mes yeux, ces catégories sont toutes à retravailler, à refonder, à reformuler. […]
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– Avec quelles certitudes étais-tu mal à l’aise ?
– Non, pas mal à l’aise. Insatisfait, disons… J’étais mal à l’aise pour d’autres choses… Un type de violence qui n’était pas tout à fait le mien… J’avais vraiment mauvaise conscience, comme plus tard avec Alain Badiou, envers cette espèce de force affirmative, un peu brutale. Je me disais : ceux-là, ils sont forts, ce sont des chefs, etc. Aujourd’hui, je ne suis plus du tout fasciné. Cette insatisfaction que j’éprouvais se rapporte aux certitudes théoriques de Tiqqun, à son négativisme pseudo-école de Francfort, postsituationniste. Cette façon de tout peindre en noir, de dire on est dans le désastre, on est foutus, tout est nul, le sexe c’est horrible, la société atroce… Cette vision stéréotypée de l’existence.
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– Que représentait le groupe Tiqqun ?
– Des situationnistes manifestement bien plus intelligents que les groupuscules « situs » habituels, beaucoup plus cultivés. Mais, rétrospectivement, il y a un échec de Tiqqun… Toutes les possibilités politiques sont à refonder aujourd’hui… L’insuffisance rétroactive du projet tiqqunien jusqu’au Comité invisible, jusqu’à L’Insurrection qui vient compris, est ici. Il s’agit maintenant de refonder… […]
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– Quas-tu pensé de L’Insurrection qui vient ?
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– Le livre m’a ennuyé, dès le premier chapitre. Toujours le même ton négativiste, sans une seule innovation conceptuelle. Comme si dépeindre l’univers en noir, quelle que soit l’endémie du phénomène dépressif dans nos sociétés occidentales et démocratiques, allait pousser les gens à se révolter ! Il n’y a pas que ça, les gens ne sont pas si dépressifs que ça, la vie n’est pas si horrible… Je trouvais la fin du livre beaucoup plus intéressante, parfois un peu, tu est bien placé pour le savoir, un peu cadeau à la police… […]
David Dufresne, Tarnac Magasin Général, Récit, calman-lévy.
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