Finalement, cette « spécialisation théorique »
fera le succès de l’I.S. — et surtout celui de Debord puisqu’il en a été le
maître d’œuvre — après 68. La société du
spectacle est devenue un lieu commun très fréquenté. Mais ce succès aura malgré
tout un goût amer parce que, au bout du compte, l’I.S. aura pratiquement échoué — et donc, théoriquement aussi — comme plus
personne ne devrait l’ignorer.
Revenons, avec Eric Brun, à ce nouveau
positionnement de l’I.S. décidé par Debord. « Après avoir mis l’accent sur
la science et la rationalité causale contre les surréalistes, Debord reprend
cette tradition marxiste qui postule l’impossibilité de connaître les faits
humains sans “parier” sur un certain avenir de l’homme, et qui met l’accent sur
la dialectique historique et sur la prophétie auto-réalisatrice. Celle-ci lui
permet de résister au développement des sciences humaines et la figure de
“l’expert” tout en affichant son propre caractère “révolutionnaire”. À ce
niveau, on peut dire qu’elle lui permet aussi de trouver une voie entre le
prophétisme isouien et les illusions d’“objectivité” d’une certaine sociologie
empirique. […] Il faut en effet, pour conclure, noter que c’est à partir du
thème du “pari” que Debord résume sa conception de “l’avant-garde” dans son
texte “L’avant-garde en 1963 et après adressé à Estivals. Dans ce texte, Debord
explique à son interlocuteur qu’une “sociologie de l’avant-garde” n’est
possible qu’en entrant dans le langage et ajoute : “[…] langage ne veut
pas dire ici mystère transcendant et indiscutable : non, mais un ensemble
d’hypothèses susceptibles d’être examiné, adopté ou rejeté, qui est en fait un
pari pour – et contre – un certain monde et son devenir […]” »
Il faut insister sur les conditions dans
lequel se fait ce « pari » — qui sera un pari perdu. C’est un pari
sur le retour de la révolution sociale à une époque où il semblait improbable à
beaucoup d’observateurs de la question. Là où d’autres ne voyaient plus rien
venir l’I.S. « prophétise » sur des « signes » qu’elle semble
être la seule à percevoir ; et annonce au monde incrédule l’imminence du prochain assaut prolétarien
contre la société de classes. Et, contre toute attente, l’Histoire, qui ne
s’arrête jamais de marcher même quand elle divague, semble devoir lui donner
raison. Mais il y a, au cœur de tout cela, un malentendu que l’I.S. et Debord
feront tout pour lever sans y parvenir ; et pour cause : un ensemble
de révoltes (plus ou moins spectaculaires) qui semblent faire masse, ne fait pas une révolution. La méprise vient
certainement du fait que Debord, et les situationnistes qu’il entraîne à sa
suite, se font une idée de la Révolution, qui tire encore sa poésie du passé — et que : « The times are a-changing. »
(À
suivre)
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