À propos de ces nouvelles recrues de l’I.S.,
Eric Brun écrit : « Au-delà des trajectoires et des usages du label
“situationniste”, plusieurs situationnistes des années 1960 ou pro-situationnistes
actifs à cette époque-là dont j’ai pu reconstituer la trajectoire sociale et/ou
scolaire sont des étudiants ou post-étudiants en faculté de lettres, d’origine
bourgeoise, qui expliquent souvent avoir eu une très bonne note en philosophie
au Baccalauréat, ce qui indique sans doute un intérêt fort pour les disciplines
qui permettent de reculer l’entrée dans la vie professionnelle et peut-être une
manière d’avouer un niveau scolaire plutôt moyen par ailleurs (pour diverses
raisons possibles il est vrai). Pour plusieurs d’entre eux, on trouve aussi des
formes de décalages entre les aspirations artistiques et intellectuelles d’un
part, et d’autre part l’avenir probable auquel ouvre leur scolarisation en
faculté de lettres (professeur du secondaire, employé de bureau…). »
Passons sur l’explication sur la « très bonne note en philosophie »
qui indiquerait une propension à vouloir échapper à « la vie
professionnelle » ; et intéressons nous au profil de quelques-uns de
ces « nouveaux situationnistes ». On y trouve effectivement quelques
premiers de la classe, souvent assez indisciplinés. Il y a les frères George,
François et Jean-Pierre étudiants en philosophie ; deux autres brillants
« philosophes » en herbe, René Riesel et Pierre-André Tagueiff :
18 en philo au bac ; René Viénet qui après avoir lorgné vers l’I.D.H.E.C.
(Institut Des hautes Études Cinématographiques) se dirigera vers les langues
orientales où il retrouvera François de Beaulieu. Parmi les cancres brillants,
on citera Daniel Joubert.
Brun ajoute : « Une autre
trajectoire fréquente est celle qui conduit aux professions
littéraires/artistiques. De nombreux situationnistes on t eu une carrière
artistique ou littéraire, même parmi ceux qui sont membres de l’I.S. d’après la
“scission” de 1962. C’est le cas par exemple de Uwe Lausen, Peter Langesen,
J.V. Martin, qui faisaient déjà figure d’artiste à cette époque (peintres ou
poètes). Mais c’est le cas également le cas de plusieurs activistes plus
directement “politiques” de l’époque, comme certain participants de groupe
“Yaka” (on y trouve un traducteur, un cinéaste, etc.). De même, Daniel
Blanchard, qui a rédigé avec Debord les Préliminaires
de 1959 sous le pseudonyme de P. Canjuers, après avoir enseigné en République
de Guinée au lendemain de l’indépendance, puis travaillé à l’A.F.P. et à
l’O.R.T.F., a exercé principalement comme traducteur, de même que Donald
Nicholson-Smith (qui a commencé par traduire des textes situationnistes et a
été membre de l’I.S. à la fin des années 1960) tandis que François de Beaulieu a été quelque temps libraire.
Jean-Pierre George quant à lui, promis à une belle carrière d’écrivain
puisqu’il a publié dès 1965, et qu’il était alors proche de Claude Roy, et de
nombreux intellectuels, est devenu pendant plusieurs années l’accompagnateur
d’une célèbre stripteaseuse, se faisant sur le tas éclairagiste. Jacques Le
Glou est devenu avec sa société Mercure distribution, l’un des principaux
exportateurs de film français à l’étranger. »
On le voit, nous sommes assez loin des
« aventuriers » et des « voyous » magnifiques — voire des
« assassins » — des débuts, que Debord se flatte d’avoir fréquenté et
continuera d’exalter comme des figures emblématiques au panthéon
situationniste.
(À suivre)
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