Voyons à présent comment Eric Brun présente
son travail. Il écrit dans son Introduction
générale : « L’internationale situationniste constitue un
cas-limite pour l’étude des rapports entre l’art et la politique. L’I.S. en
effet présente cette spécificité au moins apparente que, ayant été fondée en
1957 comme une avant-garde “artistique”, elle s’est “reconvertie” au début des
années 1960 (à l’initiative de Guy
Debord principalement) dans une activité plus directement “politique”,
abandonnant presque entièrement ses activités dans le monde des arts. » Il
précise plus loin : « Cette étude tente donc de décomposer et suivre
de près les transformations du mouvement situationniste entre les années 1950
et les années 1960, sous ses “différents” rapports (le rapport à l’art, le
rapport au politique), première condition pour les comprendre et les expliquer.
Ceci amène forcément à privilégier la figure de Guy Debord. » Et pour
terminer : « En résumé, il s’agit ici, pour une grande partie, de
faire la sociogenèse historique de la formation et de l’évolution des prises de
position de Guy Debord sur l’art et la politique, en observant ses insertions
sociales diachroniques et synchroniques. Cela ne veut pas dire qu’on peut
négliger la dimension collective du mouvement. Pour comprendre la trajectoire
de l’I.S. aussi bien que celle de Debord lui-même, il faut justement mettre en
lumière les conditions des alliances successives de Guy Debord avec différents
individus (alliances dont procède l’I.L. puis l’I.S.) ainsi que les conditions
de son “appropriation” de l’I.L. puis de l’I.S. Cela impose dans le même temps
d’étudier les relations entre les différents membres du groupe, et les
trajectoires individuelles de ceux-ci. Compte tenu de la problématique ici
soulevée, à savoir la reconversion d’un mouvement de l’art à la politique, je
me suis limité à étudier la trajectoire de Debord et de l’I.S. de la période
allant de la formation du mouvement lettriste en 1946 (rejoint par Debord en
1951) aux premières reconnaissances effectives de l’I.S. comme rivale directe
par plusieurs groupes politiques à part entière (tels la Fédération anarchiste)
ou intellectuels révolutionnaires (Claude Lefort par exemple), c’est-à-die aux
années 1966-1967. » Les choses sont donc claires et parfaitement
délimitées. On ne peut s’empêcher de faire remarquer que malgré l’affirmation
qui est faite de « ne pas négliger la dimension collective du
mouvement », tout est fait pour ramener à la personne unique de Guy Debord, qui prend plus la figure d’un
« démiurge » que celle du promoteur d’un mouvement dont il n’a été
que l’un des fondateurs — et le
principal animateur, c’est vrai.
Nous nous intéresserons donc à présent, à la « préhistoire »
de l’I.S. On s’aperçoit que cette période, dont les « nouveaux situationnistes »
ne connaissent pas grand-chose, va progressivement prendre une place de premier
plan, au fur et à mesure que l’I.S. s’achemine vers la fin. Cela devient flagrant
dans le Panégyrique ; le point
culminant de l’évocation nostalgique de cet « âge d’or » se situant dans
le film testamentaire de Debord : In
girum imus nocte et consumilur igni — véritable opéra mythologique où toutes les figures de cet illud tempus à jamais révolu sont
convoquées sur le « théâtre de la mémoire » pour une dernière
représentation — par la suite on assistera à la mise en place d’un « cirque
médiatique » où tout cela reparaîtra ; mais on ne peut en rendre
Debord directement responsable
puisqu’il n’était plus là pour le mettre en scène ; on peut penser
néanmoins qu’il avait laissé des directives
qui ont, de toute évidence, été suivies par ses fidèles — c’était le moins
qu’on pouvait attendre d’eux.
(À suivre)
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