vendredi 21 décembre 2012

Guy Debord et l’Internationale situationniste – Sociologie d’une avant-garde « totale » / Commentaire 25



Respectueux de la méthodologie sociologique Eric Brun commence par nous présenter un état des lieux de l’avant-garde politico-artistique et littéraire au moment où le jeune Debord, et les quelques « externes » qui l’entourent, s’apprêtent à y prendre pied.

« Au tournant du XXe siècle dans le cadre d’une intensification de la compétition et d’un “effet de surenchère”, “l’avant-garde” telle qu’on l’entend généralement (mouvement littéraire identifiée par un “isme”, s’expriment par manifestes, programmes et revues, revendiquant une rupture à l’égard des conventions artistiques) devient un mode d’intervention privilégier dans la microsociété littéraire parisienne. De dépassement en dépassement, ces “mouvements” successifs remettent progressivement en cause l’ensemble des conventions artistiques jusqu’à l’art lui-même, produisant un effet de “dé-définition” de l’art […]. / De nombreux historiens ou sociologues de ces “mouvements d’avant-gardes” du XIXe et XXe siècle ont alors remarqué la résurgence fréquente de tentatives de leur part pour associer  une subversion des conventions littéraires/artistiques à une transformation de l’ordre social, dans une sorte de synthèse entre avant-gardisme artistique et politique (tentative dont l’une des incarnations les plus connues en France est sans doute celle du surréalisme de l’entre-deux guerres). L’orientation politique de l’I.S. vers les courants se réclamant du mouvement ouvrier “révolutionnaire” n’est en effet guère inédite. » Les lettristes, et les lettristes internationaux dissidents emmenés par Debord, s’inscrivent donc tout à fait dans ce « créneau » où ils ne sont pas les seuls mais où ils espèrent bien se distinguer.

Il va donc s’agir, pour Brun, d’examiner la spécificité de ce qu’il nomme « l’“espace de positionnement” de Guy Debord dans les années 1950-1960 » — ce qu’il fait dûment équipé de l’appareil de catégorisation bourdieusien qui entrave quelque peu son mouvement ; mais c’est le prix à payer pour le chercheur en sociologie. Passant en revue les « années de formation » du jeune Debord, il note que« [l]’attirance de [celui-ci], dès l’époque du lycée, pour l’avant-garde littéraire, a pour corolaire une dévaluation de la certification scolaire (ou au moins l’affichage d’un mépris pour l’école). » ; il ajoute : « Il faut dire que l’abandon des études est un élément constitutif de la mythologie du mouvement surréaliste. » qui est grande référence du jeune Debord. « Dans l’ouvrage de Maurice Nadeau, on peut lire : / “Pour les membres du groupe, défense de travailler ! Aragon, Breton, Boiffard, Gérard abandonnent leurs études de médecine, d’autres la Sorbonne tou[t] ce qui leur permettait d’avoir une “situation” dans la vie. » Brun poursuit : « En résumé, tout se passe comme si Guy Debord s’appropriait lors de l’adolescence une culture hautement distinctive, marquée par le surréalisme, intériorisait l’ethos spécifique du poète d’avant-garde – rapport positif à soi dans le négatif et le tragique de la figure  du poète scandaleux, révolté, et maudit – et n’avait, par ce fait même, plus besoin d’une réussite scolaire (et professionnelle) pour se reconnaître  comme accédant à un certain statut sociale » Et plus loin : « […] tout porte à croire que les écrits de l’avant-garde dadaïste/surréaliste et leurs mythes (la vie d’Arthur Cravan par exemple, les thèmes du suicide, du désordre, de la jeunesse perdue, etc.) ont apporté au jeune Debord, adolescent bourgeois prédisposé à une rupture vis-à-vis de la destinée bourgeoise, les aliments d’une mise en question du sens de la vie et de sa médiocrité actuelle. » C’est bien dire ; mais ce n’est pas suffisant puisqu’il ne rend compte là que de « l’écorce ». Il fallait encore dégager le « noyau » ; et pour cela interroger l’enfance et les jeunes années de Debord au-delà des simples éléments biographiques : mal aimé par sa mère, élevé par sa grand-mère, écarté d’un père tuberculeux qu’il perd bientôt — bref essayer d’entrer dans la psychologie du jeune Guy ; ce qui excède le rôle et le domaine strict du sociologue, il est vrai.

(À suivre)

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