Eric Brun commente : « En résumé,
on peut penser que Guy Debord, par sa pratique qui se veut “exemplaire” d’une
vie libérée du rythme professionnel (dont découle également une disponibilité),
ainsi que par sa redéfinition de la “praxis révolutionnaire”, et son message en
rupture avec les institution, séduit un certain nombre d’individus politisés à
l’extrême-gauche mais peu disposés a priori à se sentir à l’aise dans la
pratique militante traditionnelle (avec sa discipline, sa routine, son
sérieux…), privilégiant à l’inverse un rapport libre au temps, une dimension
festive, et les sorties hors de la culture politique marxiste (l’utopie,
l’urbanisme, le cinéma, etc.) formant alors une sorte de “communauté
émotionnelle” autour du “prophète”, qui leur permet de partager le charisme de
celui-ci. » Il faut noter que cette « séduction », par ce
qu’elle fait miroiter, est naturellement dirigée vers le public
étudiant qui peut disposer de ce « temps libre » nécessaire à la
« fête » — et que, dorénavant, l’I.S. a besoin de recruter.
Il faut aussi s’arrêter sur deux traits
caractéristiques de cette « pratique » pointés par Brun : le
fait que Debord se veuille « exemplaire » ; et cette notion de
« communauté émotionnelle ». On sait que Debord se flattait d’avoir
vécu comme il avait dit qu’il fallait vivre. Est-ce à dire qu’il fallait vivre
comme Debord pour faire partie de sa pratique ?
(Pourtant, on n’est jamais exemplaire que pour soi-même — c’est vrai pour
Debord aussi bien.) Mais dans cette « communauté des égaux » qu’était
censé être l’I.S., Debord était plus égal que les autres, comme le faisait
remarque justement Ralph Rumney : c’est lui qui décidait qui lui était
égal (et pour combien de temps). Il était le meneur du jeu ; et c’est lui qui distribuait les cartes (et
les rôles). Ses partenaires, ne l’étaient qu’aussi longtemps qu’ils acceptaient
de rentrer dans son jeu.
Analysant Tout
les chevaux du roi, le roman de Michèle Bernstein, Jean-Marie Apostololidès
écrit des deux protagonistes, Geneviève et Gilles : « Ce sont les
nouveaux maîtres ; ils entendent bien asseoir leur autorité, en imposant à
leur entourage immédiat les valeurs et les comportements qu’ils jugent les
meilleurs, c’est-à-dire ceux qui leur apportent le plus de satisfaction. »
En transposant — toute proportion gardée — à l’I.S. le comportement de ces deux
personnages de roman, on a une assez bonne idée de ce que pouvait signifier
cette « exemplarité » revendiquée par Debord : comment (et
pourquoi ?) « le meilleur » ne commanderait-il pas ?
Poursuivant son analyse Apostolidès remarque que « [l]e couple de
Geneviève et Gilles reste traditionnel en ce sens que l’homme se fait servir et
que la femme prend sur elle la plus grande part des tâches ménagères. Le frère
ne libère la sœur de l’emprise du Père que pour mieux la soumettre à sa propre
surveillance. Le style a changé ; le nouveau maître est apparemment moins
autoritaire. Il préfère séduire plutôt que de donner des ordres. » Là
aussi, on peut transposer à l’I.S. — il y avait évidemment une division du travail
au sein de l’I.S. qui n’était pas que sexuelle — ; et l’on retrouve aussi,
des deux côtés, cette « communauté émotionnelle » qui vient cimenter
d’autant plus fortement les relations qu’elles reposent justement sur la
séduction.
(À suivre)
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