Ce qui fait l’originalité de L’I.S. dans
cette nouvelle phase politico-révolutionnaire des opérations réside évidemment
dans sa nature artistico-politique de départ. En reprenant les termes employés par
Laurent Chollet, on pourrait dire que l’I.S. qui se voulait « le plus
politique des mouvements artistiques », se revendique maintenant comme « le
plus artistique des mouvements politiques » — et, qu’en somme, on assiste
là à un simple renversement des polarités : les deux termes restent les mêmes,
mais ils échangent leur place. L’I.S. qui se trouvait en pointe dans la
première phase de son activité centrée sur le domaine de l’avant-garde artistique,
se devait donc de retrouver cette position dans la seconde plus proprement
politique — on pourrait dire plus justement : hyperpolitique.
C’est ainsi qu’Eric brun écrit : « Tout
porte les situationnistes à s’inscrire dans ce travail collectif de redéfinition
des fondements de la critique du capitalisme, de renouvellement de la prophétie
révolutionnaire. Ils sont des nouveaux venus dans la production d’une théorie politique
(comme Gorz, Cardan/Castoriadis, Mallet, Morin, Axelos…). » Il poursuit :
« Lorsque l’I.S. commence à s’inscrire directement dans les luttes propres
aux prétendants au monopole de la définition de la politique et de la théorie
“révolutionnaire”, elle le fait d’une manière quelque peu inédite, qui la rend
d’ailleurs difficilement classable. L’I.S. met en pratique une conception de
“l’avant-garde” qui rejette toute forme de “spécialisation”, si ce n’est à la
limite l’aveu d’une présence limité à la “culture” au sens large, mais
désormais dans une acception si large de “culture” qu’elle inclut la formulation
d’une théorie politique, la diffusion de celle-ci, et l’avancée dans la
construction d’une organisation des révolutionnaires capables de la mettre en
œuvre. »
Il s’agit évidemment pour l’I.S. de se démarquer
fortement de la concurrence. C’est ainsi que « [d]ans cette même opération
de redéfinition du mouvement révolutionnaire à partir des représentations du
monde moderne et contre le communisme officiel, les situationnistes entreprennent
de réévaluer la figure du “lumpenprolétariat”. […] / En résumé l’I.S. retrouve
en quelque sorte la position du “prophète” (en tentant de fonder “scientifiquement”
celle-ci […]) annonçant de prochains bouleversements, et pour l’heure à la
recherche des signes de ceux-ci : elle cherche la confirmation de sa
prophétie révolutionnaire dans différentes figues sociales et gestes “radicaux”
sortant du cadre traditionnel de la “politique” […]. » Brun conclut par
cette remarque pertinente : « Cette position de prophète du mouvement
révolutionnaire, qui a l’intérêt de fonder politiquement ce qui est
généralement rejeté dans l’insensé, le sauvage et l’illégitime, risque toujours
de tomber dans le finalisme et la surinterprétation. » On ne saurait mieux
dire.
(À suivre)
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