On s’est habitué à voir l’histoire (agitée) de
l’I.S. comme celle de la radicalisation (progressive) d’une petite avant-garde héroïque
menée par un stratège hors pair — de la préhistoire lettriste à la dissolution
finale de l’organisation — précédée par l’« apothéose’ révolutionnaire de
mai 68 qui sera venu (providentiellement) confirmer la justesse de ses thèses,
avant qu’elle ne disparaisse. S’il y a indubitablement une continuité de l’I.L.
à l’I.S., qui en reprend le programme, la « crise » de 1962 marque
une véritable rupture qui est généralement considérée — à tort — comme un
progrès. S’il est vrai que la formation de l’I.S. constitue un progrès dans la
mesure où elle rassemblait différents éléments séparés de l’avant-garde
artistico-politique dans une organisation et un programme commun, on peut
contester que l’évolution qui a suivi la crise de 1962 en soit un. On peut même
au contraire la voir plutôt comme une régression.
C’est ce que nous montrerons avec l’aide — volens non volens — d’Eric Brun.
« Après les ruptures de 1962, l’I.S. se
recompose autour du trio Debord/Kotányi/Vaneigem (puis du duo Debord/Vaneigem),
augmenté de plusieurs personnes parmi lesquelles on peut compter Michèle
Bernstein, Alexander Trocchi […], et quelques peintres permettant de ne pas
abandonner les terrains artistiques scandinaves et allemands aux exclus :
J. V. Martin [au Danemark] […], Uwe Lausen en Allemagne […]. » Il faut
noter que le « trio » n’a pas fait long feu. Debord avait retrouvé un
« frère » : Vaneigem ; avec Michèle Bernstein, la
« triade » était complète. Le cas de Trocchi mérite une attention
particulière. Debord qui professait pourtant un souverain mépris pour les
« crétin mystiques » de la Beat
Generation à fait tout ce qu’il pouvait pour maintenir Trocchi dans
l’orbite de l’I.S. : en vain.
Poursuivons, et suivons l’évolution de l’I.S. dans les années qui
suivent le virage « hyperpolitique » négocié par Debord — avec et sans Jorn. Eric brun écrit : « Le
cœur de l’I.S. bascule ainsi vers la théorie “révolutionnaire”, orientation qui
est d’ailleurs renforcée dans la seconde moitié du des années 1960, après les
départ successifs de situationnistes tels que l’écrivain Alexander Trocchi, le
poète et peintre Uwe Lausen, le poète Peter Laugesen… L’I.S. recrute à cet
époque essentiellement parmi des étudiants inscrits en lettres et/ou sciences
humaines, c’est-à-dire des aspirants intellectuels, souvent marxistes et/ou
anarchistes et liés directement ou indirectement à des réseaux militants à
Socialisme ou Barbarie (ou à la Fédération anarchiste) et / ou des étudiants
d’Henri Lefebvre. »
Voilà donc où en est réduit l’I.S. : recruter des étudiants pour étoffer son effectif. Je n’ai rien contre les étudiants :
il faut de tout pour faire un monde — et pour le défaire. Mais il suffit de
faire un bref retour en arrière pour prendre la mesure du progrès accomplit là.
(À suivre)
Tout le monde peut constater qu’avec Guy Debord on a affaire à une suite ininterrompue de recul et de régression.
RépondreSupprimerLes partisans d’Isou dénonce la rupture de l’Internationale lettriste en novembre 1952 ; Apostolidès & Donné montre le recul que constitue la rupture Debord-Chtcheglov en juin 1954 ; Piero Simondo s’oppose à la création de l’Internationale situationniste en juillet 1957 ; Jacqueline de Jong dénonce l’exclusion des artistes en 1962…
Maintenant, Xavier Lucarno va nous expliquer comment Guy Debord a mené l’I.S. dans une impasse à partir des choix pris en 1962 jusqu’à l’autodissolution de 1972.
Mais ce qui intéresse au plus haut point le lecteur n’est pas cette litanie des erreurs de Debord mais de savoir ce que Xavier Lucarno aurait, lui, choisi de faire s’il avait été en quelque sorte à sa place.
Bon, il n’aurait pas pris le virage politique de 1961 ni exclu les artistes. Et ensuite ? Qu’aurait-il fait pour ne pas amener l’I.S. dans cette impasse ? Quels auraient été ses choix après (ou avant) la conférence de Göteborg ?
On attend avec impatience les réponses à ces intéressantes questions car il ne suffit pas de condamner les décisions de Guy Debord, encore faut-il nous dire ce qui aurait dû être fait et pourquoi.
La question n’est pas de savoir ce que j’aurais fait à la place de Debord. Je ne tiens pas à refaire l’histoire de l’I.S. : cosa fatta, capo ha. Je fais une critique ; un point c’est tout. Il se peut qu’elle ne plaise pas : on ne peut pas plaire à tout le monde.
SupprimerUne critique qui ne dit pas ce qui autrement aurait pu être est une critique d'impuissant, autrement dit une masturbation intellectuelle.
RépondreSupprimerIl ne m'étonne donc pas que vous ne trouviez aucun éditeur pour cela.
Vous vous faites une idée absolument démesurée de la critique et de sa « puissance ». À quoi bon dire « ce qui autrement aurait pu être » quand « ce qui est fait est fait » et ne peux plus être corrigé.
SupprimerCe qui est fait est fait, certes, mais ce que vous racontez, ce ne sont pas les faits mais une interprétation de ceux-ci, déjà orientée sinon biaisée. Vos présupposés sont connus, vos conclusions tout autant et votre démonstration n'aboutit à rien d'autre qu'à de la récrimination : Debord a tout raté depuis 1962… mais heureusement Zorro-Voyer est arrivé ?
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