À propos de l’influence surréaliste qui
apparaît visiblement dans l’orientation de l’I.L. au moment de la relation
intense entre Chtcheglov et Debord, et notant en même temps la dévalorisation
dont fait l’objet le surréalisme de la part de Debord, Eric Brun écrit,
« Les écrits surréalistes apparaissent pourtant déterminant dans les
diverses prises de position de l’I.L., y compris dans l’intérêt qu’elle porte à
la ville. Tout d’abord, il faut noter que l’enjeu mis en avant par les
lettristes-internationaux dans l’emploi de la “ville” est la même que celui qui
présidait à “l’automatisme” surréaliste dans les années 1920. Dans son Histoire du surréalisme, Maurice Nadeau
écrit à propos de la découverte de l’inconscient freudien et de
l’automatisme : “Il existe des forces inconnues qui nous régissent, mais
sur lesquelles nous pouvons espérer agir. Il n’est que d’aller à leur
découverte.” Il s’agit bien de cela avec ce qui sera appeler par l’I.L. la
“psychogéographie” : découvrir par une investigation des villes des forces
qui déterminent le comportement afin d’agir sur elles. Comme “l’automatisme”
surréaliste en son temps, l’urbanisme est à l’époque “envisagé comme un moyen
de connaissance […]”. Plus encore, comme le montre Boris Donné, il semble bien
que ce soit au contact des écrits surréalistes – Le Paysan de Paris d’Aragon, Nadja
ou encore Pont-Neuf de breton – que
la réflexion sur la ville comme terrain poétique et possible outil pour agir
sur la vie émerge parmi les lettristes-internationaux. »
Brun ajoute : « Pour expliquer le
paradoxe que, alors que l’I.L. entend dépasser les avant-gardes précédentes,
elle reprend dans un premier temps, pour une large part, des idées déjà
formulées par les surréalistes, Boris Donné fait l’hypothèse que de telles
idées auraient été importées dans l’I.L. par Chtcheglov, à l’insu de Debord qui
ne les connaît pas. Ce dernier aurait été embarrassé en découvrant après coup
cette influence surréaliste, ce qui aurait contribué à rompre l’amitié avec
Chtcheglov, et ce qui l’aurait conduit à tout faire pour “occulter” les sources
surréalistes des propositions de l’I.L. sur la dérive et le projet d’une ville
nouvelle. » Brun ne croit pas à cette hypothèse ; avec raison. En
effet, il apparaît que le jeune Debord s’intéressait trop aux surréalistes pour
pouvoir se laisser tromper par une importation frauduleuse d’éléments de cette
provenance. D’autant plus que le surréalisme (et Breton) est — et restera — le
modèle à dépasser pour Debord.
En effet le lettrisme isouien, même s’il y a
fait ses classes, ne pouvait être pour Debord qu’un passage transitoire. Eric
Brun écrit : « Dans l’I.L. Debord entend ainsi porter à son tour le
projet “radical” de l’avant-garde surréaliste (“transformer le monde” et
“changer la vie”). […] / En d’autres termes, à côté d’un procès de
l’esthétique, on retrouve chez Debord et
l’I.L. un procès de l’inscription sociale de l’art, un procès du “monde de
l’art” actuel. […] / Un tel refus permet de retrouver la radicalité surréaliste
des premiers temps et de disqualifier la posture “mégalomaniaque” adoptée par
Isou. Cette posture est jugée ridicule par Debord, comme l’indique sa lettre de
1953 à Wolman, dans laquelle Debord assimile le discours d’Isou sur
l’immortalité à un prêche religieux ; “beau” peut-être mais surtout
“dérisoire” : “J’en fini donc avec les prêches d’Isou. Leur ton à la Bossuet
m’a toujours beaucoup plu parce qu’il nie le monde donné et le méprise. Mais
c’est au nom d’une transcendance presque aussi minable que Bossuet.” »
(À suivre)
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