samedi 24 novembre 2012

Guy Debord et l’Internationale situationniste – Sociologie d’une avant-garde « totale » / Commentaire 5



« La fondation de l’I.S. renvoie […] à un processus de recomposition des alliances de Jorn : elle survient à une époque où Jorn est encore intéressé par les échanges entre différents types de capital qui s’opèrent dans les rassemblements artistiques et plus précisément lorsqu’il se détourne d’un écrivain francophone, Jaguer*, et cherche à sortir du milieu artistique italien**, en s’inscrivant à nouveau, entres autres espaces artistiques, dans le champ artistique français. »

Eric Brun note qu’« [e]n 1954, lorsque Jorn prend connaissance du bulletin de l’I.L., il est toujours en position de “nouvel entrant” » ; il précise qu’« alors qu’il a commencé sa carrière de peintre dans les année s1930, et alors qu’il est bien plus âgé que Debord et ses amis, il reste néanmoins dans une position sociale analogue : il est un artiste “marginal” dans la majeur partie des espaces artistiques nationaux, à commencer par le champ artistique français, n’ayant qu’une très faible notoriété en France et n’y ayant jamais exposé. » (Là encore, il convient de corriger : Debord est certes « “marginal” » mais ce n’est pas un artiste au même titre que Jorn ; et il n’est évidemment question, pour lui, de « carrière ».) Il remarque qu’au départ, Jorn et Debord sont loin d’être tout à fait sur la même longueur d’onde, et que « seul l’intérêt objectif permet de comprendre que Debord et Jorn neutralisent [les] points de désaccord réels ou potentiels » Et cet « intérêt objectif » même s’il n’est pas le même des deux côtés les rassemble. L’I.L. est en bout de course et elle est donc effectivement, « à ce moment-là disponible pour une alliance », parce qu’elle en a besoin pour se relancer ; Jorn quant à lui cherche à « sortir de l’espace artistique italien ». Le 5 octobre 1954, il écrit à son ami Enrico Baj : « Ici, tout se noie dans les petites combines. Je ne suis pas fait pour cela et je me retire bientôt à Paris […]. » Brun commente : « On voit ainsi que Jorn entend affirmer le caractère proprement artistique de son activité en s’inscrivant dans le champ artistique français, plutôt que le seul champ italien. Dans cette optique, il recherche un allié pour pénétrer ce champ, un allié qui serait en mesure, par ses instruments conceptuels et sa maîtrise du français, d’introduire un mouvement à l’avant-garde du champ artistique français et de mettre en avant son caractère désintéressé. Or, à partir de 1955, Edouard Jaguer est de moins en moins en mesure d’occuper cette fonction. »

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* Critique d’art, auteur du Premier bilan de l’art actuel (1953) où Cobra n’est mentionné que dans une note de bas de page au chapitre « Peinture belge » et par ailleurs « correspondant parisien de Cobra ».

** En 1953 Jorn entre en contact avec les « Nucléaires » italiens groupe fondé par Enrico Baj avec l’aide duquel il publie Imagine e forma qui est considérée comme le premier numéro d’un bulletin d’information du Mouvement International pour un Bauhaus Imaginiste. En 1956 paraît Eristica qui est considéré comme le second numéro, et où l’on retrouve les futurs situationnistes italiens.


(À suivre)

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