jeudi 13 octobre 2011

Lectures - Lettrisme, Le Bouleversement des arts

L’internationale lettriste (IL), tout comme l’Internationale situationniste (IS), a laissé beaucoup de concepts, d’analyses et de témoignages, soutenues par certaines notions comme la psychogéographie, la théorie de la dérive, l’urbanisme unitaire ou encore la théorie du détournement, toutes magnifiées dans un grand style allégorique, proche d’un mysticisme proprement romantique. / Malgré la phraséologie situationniste, aussi bien conçue soit-elle, les paradoxes sont bel et bien présents. Le désir debordien qui consiste à réduire l’art par le biais de la révolte s’est transformé en des moments artistiques purs, croisées à certaines conceptions anarchistes, dont l’héritage tant dadaïste que surréaliste ou lettriste ne peut être écarté.
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La « dérive » serait donc née à l’époque surréaliste. Déjà, dans Nadja d’André Breton ou Le Paysan de Paris de Louis Aragon, on peut repérer les grandes lignes qui constitueront à l’avenir les thèses situationnistes. Le Paysan de Paris, ce fameux roman qui fera dire à Marcel Mariën, surréaliste belge, pourtant proche de Debord : « Le souvenir du surréalisme, auquel ils [les situationnistes] devaient cependant bien des choses (ne serait-ce que la dérive, née sous les pas du Paysan de Paris, les gênait jusqu’à le parodier. »André Breton, éternel traqueur de l’ennemi artistique, ira même jusqu’à ironiser l’attitude situationniste : « Les lettriste découvrent la promenade. »
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Ralph Rumney, un des principaux organisateur de l’IS, lèvera d’ailleurs le voile sur cette notion de dérive : « En ce procédé avait déjà été imaginé par Léo Mallet à son époque surréaliste. C’est Wolman qui me l’avait souligné. Il est évident que cela a été exploité ou redécouvert par Dufrêne, Gil [Wolman], par Rotella, par Raymond Hains lui-même » ; et de terminer : « La dérive, la psychogéographie, tout ça est contenu dans les polars de Malet. »
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André Souris et surtout Paul Nouget ont très tôt utilisés ce mode d’écriture [le détournement] […].André Souris exposera la définition de ce système d’emprunts que l’on retrouvera notamment dans le livre Fragments de Nougé : « Une opération consistant, à partir d’un texte, à s’installer dans l’univers mental et verbal de son auteur et, par de subtils gauchissements, à en altérer les perspectives. […]. »
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Malgré les vives critiques assénées par le groupe situationniste vis-à-vis de ses aînés lettristes, le groupe s’est tout de même senti dans l’obligation de replacer le plus fidèlement possible le mouvement isouien dans l’histoire ses arts. C’es à demi-mot que le peintre Asger Jorn reconnaîtra que le lettrisme a marqué son histoire : Je connais les conditions plus qu’indignes dans les quelles le mouvement lettriste a dû réaliser les remarquables travaux de son époque. »
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On retrouvera dans les textes de Debord les figures des pères qu’il souhaitait à tout prix faire disparaître : Breton et Isou (une fois n’est pas coutume) réunis dans l’histoire grâce à Guy Debord. Le dépassement de ces deux symboles deviendra même obsessionnel comme on peut l’apercevoir dans sa lettre adressée à son ami Hervé Falcou : « Nous porterons plus loin la libération éthique de Breton et je dépasse Isou en préconisant le silence, l’action directe. »
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Les événements de mai 68 donneront d’ailleurs raison aux prédications d’Isou révélées dans le Soulèvement de la jeunesse. Angelina Neveu, une femme dans l’entourage des situs, remarquera cette anticipation à juste titre : « Mai 68 n’est pas né comme ça, il y avait des liaisons, Paris, Nanterre, les trotskystes, les bolchévique…, 68 c’est une espèce de mosaïque de démarches. Les médias disent que rien ne pouvait annoncer 68, Isou avait pourtant écrit le Soulèvement de la jeunesse en 1949. »
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Celui [Debord] qui pensait que « […] la culture, même haute, est maintenant enterrée dans les musées » et qui se savait agir en dehors de la vie, se retrouve, après sa mort, muré dans les plus hautes institutions de l’État et employé, par voie de presse d’une façon assez vulgaire, pour n’importe quel fait sociétal. 

Guillaume Robin, Lettrisme, Le Bouleversement des arts, Hermann.

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