samedi 15 octobre 2011

Dans la petite cuisine des éditions Allia

Jean-Marc Mandosio écrit dans : D’Or et de sable, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, à propos du livre d’Alfred W. Crosby, La Mesure de la réalité, dont il fit la traduction pour le compte des éditions Allia :

La traduction de La Mesure de la réalité aux éditions Allia s’inscrit dans une certaine logique éditoriale, qui conditionne la façon dont le livre est présenté au lecteur et reçu par lui. Mais pour comprendre cette logique, il faut faire un détour par la Chine. C’est en effet le sinologue Jean-François Billeter, dans un récent ouvrage, Chine trois fois muette, qui a attiré l’attention sur le livre de Crosby. » […] / À peu près au même moment que Chine trois fois muette, paraissait aux même éditions Sans valeur marchande, de Michel Bounan, qui se situait dans une perspective historique assez proche de celle de Billeter […]. / La publication en français de l’ouvrage de Crosby s’imposait d’autant plus qu’elle paraissait apporter la caution de l’érudition universitaire à l’appui des conceptions de Bounan, dont j’avais critiqué l’argumentation historique peu après la parution de Sans valeur marchande […]. / Le jugement sans appel porté sur ce livre suscita des répliques aussi virulentes que peu convaincantes de la part de l’auteur et de son éditeur. C’est donc avec un grain de sel que j’ai accepté la proposition qui me fut faite (à mon grand étonnement, étant donné la polémique au sujet de Bounan) de traduire The Measure of Reality. / L’argumentaire figurant sur le rabat de la couverture de l’édition française du livre de Crosby prend tout son sens lorsqu’on le lit à la lumière des textes de Billeter et de Bounan :

Alfred W. Crosby est professeur émérite à l’université d’Austin (Texas) et intervenant à l’université de Yale. Son œuvre, classique dans les pays anglo-saxons, tente de répondre à cette question : comment l’Occident, en si peu de temps, a-t-il pu conquérir une si grande partie du globe ? Dans La Mesure de la réalité, il s’attache à décrire le tournant qui, à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance, vit l’Europe passer d’un modèle qualitatif de pensée à un modèle quantitatif. La société occidentale entreprit alors de mesurer le temps, l’espace, la distance, de traduire en nombres chaque aspect de la réalité. Ce changement de mentalité a rendu possible le développement de la science et de la technologie, en même temps qu’il instaurait le règne de l’argent et de la bureaucratie. Il a entraîné non seulement des révolutions techniques, mais également artistiques, dans le domaine de la peinture et de la musique. Mêlant érudition et anecdotes, La Mesure de la réalité offre un panorama complet de ce moment charnière de l’histoire où se sont mises en place les conceptions sur lesquelles repose encore notre civilisation.

L’opposition entre le “modèle qualitatif” et le “modèle quantitatif” figurait déjà sur la quatrième de couverture de l’éditions originale, mais elle prend dans le contexte des éditions Allia qui ont publiées de nombreux textes liés à l’Internationale situationniste, une signification particulière : elle devient une allusion à l’un des thèmes centraux du manifeste de Raoul Vaneigem, le Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations. L’insertion du livre de Crosby dans cet “horizon d’attente” très spécifique* lui donne une portée nouvelle en l’orientant vers la critique sociale. Nous allons voir dans quelle mesure l’examen du livre lui-même confirme cette attente.

*Ultérieurement confirmé par la présence de La Mesure de la réalité dans la bibliographie placée par Bounan à la fin de La Folle histoire du monde.


Je laisse au lecteur intéressé le soin de lire lui-même l’éclairante démonstration de Mandosio qu’il termine en parlant des difficultés de traduction qu’il a rencontrées ; et où dans une note il porte le jugement suivant sur l’édition française du livre de Crosby par les éditions Allia :

Le volume est malheureusement déparé par d’assez nombreuses coquilles et même par quelques fautes de français […], ce qui aurait pu être évité si l’éditeur daignait faire relire non seulement par l’auteur ou le traducteur, mais aussi par un correcteur professionnel, les ouvrages qu’il publie. Il faut également signaler une erreur dont je suis responsable (ch. 3, p. 66) « le manuel de théologie le plus courant au Moyen Âge » n’était pas « le Commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard », mais simplement « les Sentences de Pierre Lombard », comme l’indiquait Crosby. En revanche, la disparition d’un paragraphe entier — pourtant dûment traduit et qui aurait dû se trouver à la page 35 lors de la mise en page finale — est imputable à l’éditeur et aux conditions de travail aberrantes auxquelles il soumet ses employés, qui sont pour la plupart des stagiaires non rémunérés.

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